Le dogmatisme chez Kuhn
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Le dogmatisme chez Kuhn



  1. #1
    Gwyddon

    Le dogmatisme chez Kuhn


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    Bonjour à tous,

    J'ai une question qui me taraude depuis quelques temps (en fait depuis que j'ai commencé la lecture d'un cours d'épistémologie ) : d'après ce cours, Kuhn fait la distinction entre "science" et "science normale", cette dernière se référant à l'activité scientifique au quotidien.

    Or cette dernière serait entachée de dogmatisme, contrairement à l'idéal de l'activité scientifique tel qu'il est défini sous le vocable premier "science". Cela me laisse perplexe, je demande donc ici que signifie "dogmatisme" dans ce contexte ? Se réfère-t'il aux moyens de diffusion et de contrôle des connaissances de la part des organismes scientifiques, qui ne répondraient pas uniquement à des critères objectifs ?

    Merci d'avance pour toute réponse

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    A quitté FuturaSciences. Merci de ne PAS me contacter par MP.

  2. #2
    shokin

    Uo

    Salut, 09Jul85 !

    Tout d'abord, définissons ce qu'est l'épislémologie :

    Le mot épistémologie vient du grec épistémê («connaissance », «science ») et logos (« discours »).

    Le terme est employé dans trois acceptions.

    * Pour la première, l'épistémologie est une réflexion sur la science : c'est une partie de la philosophie qui s'intéresse au discours rationnel sur la connaissance scientifique. La philosophie des sciences étudie ainsi la connaissance scientifique d'un point de vue critique.

    L'épistémologie peut s'intéresser à établir une classification des sciences, à définir des catégories.

    * La seconde acception est celle de l'étude des épistémès comme époques de production de discours positifs par des disciplines appelées ou non « sciences ».

    * La troisième acception, issue de l'emploi du terme « epistemology » dans le monde anglo-saxon, est celle de théorie de la connaissance. Qu'est-ce que le savoir ? Comment l'acquérir ? Comment s'en servir ? Pourquoi le chercher ou s'en servir ? en sont les questions.

    Questions épistémologiques fondamentales

    Le problème du protocole d'observation

    Au début du XXe siècle, certains philosophes, dans une perspective fondationaliste, se sont posés la question de savoir s'il était possible d'isoler des faits d'observation, bases de la généralisation et de la connaissance. On peut distinguer schématiquement deux points de vue :

    * un point de vue atomiste pour lequel des faits peuvent être isolés ; cette thèse est notamment celle du positivisme logique (cf. Carnap) qui, en séparant les vérités analytiques et synthétiques, admet que des faits relatifs à un sujet doivent permettre de fonder la connaissance scientifique ; une théorie est alors une construction logique, dont la matière est la connaissance privée ;
    * un point de vue holiste, pour lequel aucun fait n'est séparable d'une théorie (cf. Quine par exemple). Il n'y a donc pas de protocole d'observation décisif ; c'est la vérité cohérence qui est déterminante. Dans ce cas, il n'y a pas non plus une limite précise entre la théorie et l'expérience, ce qui invalide l'idée que des hypothèses seules soient falsifiables. La conséquence la plus extrême de cette thèse est que l'on ne peut tout simplement pas réfuter une théorie car la falsifiabilité de l'hypothèse n'atteint pas la théorie dans son ensemble et dans la mesure où des hypothèses ad hoc sont toujours possibles (comment prouver qu'un cygne est blanc?).

    Épistémologie générale : Théories de la validation

    L'inductivisme

    L'induction consiste à passer de cas singuliers à une proposition générale. Le problème est de savoir si nous sommes justifiés à croire que nous pouvons prédire un quelconque fait d'après nos théories. Par exemple, nous avons observé que le soleil, jusqu'ici, se lève le matin. Mais rien ne semble justifier notre croyance au fait qu'il se lèvera encore demain. Ce problème a été jugé insoluble par Hume, pour lequel notre croyance relève de l'habitude.

    Falsificationnisme

    Karl Popper critique le raisonnement par induction. Ce dernier a certes une valeur psychologique mais pas une valeur logique. De nombreuses observations cohérentes ne suffisent pas à prouver que la théorie qu'on cherche à démontrer soit vraie. A contrario, une seule observation inattendue suffit à falsifier une théorie. Ainsi, mille cygnes blancs ne suffisent pas à prouver que tous les cygnes sont blancs ; mais un seul cygne noir suffit à prouver que certains cygnes ne sont pas blancs.

    Lakatos

    Imre Lakatos a dépassé la thèse de Popper. Sa réflexion a été finalement plus loin. Pour lui existe deux facons de recherche(positive/négative): au niveau du heuristique positive et celle au niveau du heuristique négative. L'heuristique positive, qui se trouve autour de l'heuristique négative, peut être modifiée. Elle est dynamique. L'heuristique négative présente le noyau dur, une base de programme qui est inchangeable et est protégée de toute forme de modification (ceinture protectrice). Le noyau contient toutes les hypothèses fondamentales et se trouve au centre du modèle de recherche. Lakatos considère le noyau comme infalsifiable par décision méthodologique du chercheur.

    Ainsi, deux programmes de recherche peuvent coexister même si un des deux est dynamique et l'autre stagne.

    Lakatos exclut les hypothèses ad hoc.

    Si le noyau, enrichit par les chercheurs, est détruit par des preuves scientifiques qui s'opposent, Lakatos prédit un changement du programme de recherche.

    Kuhn

    Mettant l'accent sur la discontinuité dans le processus de la construction scientifique, Kuhn discerne des périodes relativement longues pendant lesquelles la recherche est qualifiée de « normale », c'est à dire qu'elle s'inscrit dans la lignée des paradigmes théoriques dominants, périodes pendant lesquelles de brefs et inexplicables changements constituent une véritable « révolution scientifique ». Le choix entre les paradigmes n'est pas fondé rationnellement. Cette posture implique que chaque paradigme permet de résoudre certains problèmes et, de là, les paradigmes seraient incommensurables.

    Feyerabend

    Feyerabend observait à l'exemple de la naissance de la mécanique quantique que souvent l'avancement scientifique ne suit pas de règles strictes. Ainsi, selon lui, le seul principe qui n'empêche pas l'avancement de la science est « tout est bon » et on ne devrait surtout pas critiquer une théorie simplement parce qu'elle n'utilise pas la méthode scientifique falsicationiste. (Ce qui n'empêche pas de la soumettre à la méthode falsicationiste et la critiquer si elle est falsifiée.)

    Son œuvre principale, Contre la méthode, fut reçu très négativement par la communauté scientifique, car il accuse la méthode scientifique d'être un dogme et soulève la question si la communauté devrait être aussi critique de la méthode scientifique que des théories qui en résultent.

    Les lois de la nature

    La loi a d'abord été conçue comme une relation entre une cause et un effet. Mais face à la contingence de la nature, certains penseurs, et notamment Guillaume d'Ockham, furent amenés à formuler l'idée que l'expression de la nécessité des lois de la nature s'exprime sous la forme d'une proposition hypothétique du type : si... alors...
    Wikipedia

    Précisons alors la pensée de Kuhn, puisque c'est de sa pensée dont il est question :

    Thomas Samuel Kuhn (18 juillet 1922 - 17 juin 1996) : épistémologue et historien des sciences américain.

    Pensée

    Critique de Karl Popper. Il montre que, dans l'histoire, les théories scientifiques ne sont pas rejetées dès qu'elles ont été réfutées, mais seulement quand elles ont pu être remplacées. Ce remplacement est un phénomène social qui engage une communauté de chercheurs, en accord sur un agenda centré sur l'explication de certains phénomènes ou de certaines expériences. Cette communauté est dotée d'une structure qui lui est propre (conférences, publications). Il n'est pas rare dans l'histoire que plusieurs écoles coexistent dans une relation d'opposition et d'ignorance réciproque relatives.

    Conception : le Paradigme

    Kuhn est le promoteur du concept de paradigme, ensemble d'idées et de pratiques qui imprègnent les esprits à un moment donné. La science peut être dans une période calme où le paradigme est admis par presque tous: les expériences ne font que nourrir le paradigme existant. Lorsque les insuffisances du paradigme en cours deviennent de plus en plus évidentes, et qu'un paradigme de remplacement se dessine, il se produit un changement brutal de paradigme: une révolution scientifique.

    Critiques

    La thèse de Kuhn a été contestée sur deux points :

    * d'une part, le fait que le contenu de la science normale résulte d'un consensus au sein de la communauté scientifique (et non de critères objectifs), conduit Lakatos (par exemple) à suspecter Kuhn de relativisme.
    * d'autre part, l'histoire des sciences de la nature, et plus encore des sciences sociales, montre que pendant de longues périodes plusieurs paradigmes concurrents cohabitent de façon conflictuelle sans que l'un d'eux s'impose comme « science normale ». Ce point, en donnant à l'expression kuhnienne « science normale » une connotation normative, part d'une incompréhension pure et simple de la théorie de Kuhn. En effet, le terme de « science normale » n'a pas le sens de science normative, mais s'applique à un mode de fonctionnement des sciences « dans des conditions normales », c'est-à-dire hors des épisodes (rares) où la remise en cause du paradigme ancien conduit les scientifiques à pratiquer une « science extraordinaire », qui s'oppose chez Kuhn à la « science normale » et vise à établir un nouveau paradigme, tandis que la « science normale » explore le paradigme en résolvant les énigmes ("puzzles" en anglais) que celui-ci peut proposer. Il n'y a donc pas d'incompatibilité entre la coexistance de plusieurs paradigmes fonctionnant dans le cadre de la « science normale » et la théorie de Kuhn. Il faut noter que la confusion, de la part d'un physicien tel que Kuhn, eût été extraordinaire, la physique étant divisée depuis le début du XXe siècle en deux paradigmes incompossibles: la relativité générale et la physique quantique.

    Ouvrages

    * la Structure des révolutions scientifiques.
    * La révolution copernicienne, 1957 (Livre de Poche, 1992, ASIN 2253059331)

    Compilation d'essais et d'articles dans « la Tension essentielle ».

    Le paradigme chez Heidegger

    En termes heideggeriens le paradigme est un champ délimité reposant sur un système d'hypothèses dont on n'est pas a priori conscient. Un paradigme est donc une superstructure (au sens marxien) adaptée à un certain état du développement, et l'histoire des sciences procède par révolutions (paradigm shifts).

    Voir aussi

    paradigme
    Wikipedia

    En gras se trouve un point essentiel lié à ta question, il me semble.

    Un autre lien très intéressant que je n'ai pas fini de lire :

    http://www.pensifs.com/techniques/epistemologie.php

    Le dogmatisme est une attitude philosophique qui consiste à admettre la possibilité pour l'esprit humain de parvenir à des vérités assurées. A ce dogmatisme s'oppose le scepticisme.

    Chez Kant, le dogmatisme est une attitude philosophique qui consiste à penser que la raison peut construire a priori, sans l'expérience, des systèmes valables sans critique préalable. Le dogmatisme accorde trop de pouvoir à la raison. A ce dogmatisme s'oppose l'emprisme.

    NB : Je rappelle que tout message, dans le forum Sciences et Humanités, doit être cohérent, argumenté, voire accompagné de ses sources.

    Shokin
    Dernière modification par shokin ; 25/08/2005 à 22h50.
    Pardon, humilité, humour, hasard, tolérance, partage, curiosité et diversité => liberté et sérénité.

  3. #3
    Gwyddon

    Re : Le dogmatisme chez Kuhn

    Merci beaucoup pour cette réponse si claire

    En effet, c'est ce point (qui apparaît très clairement dans le cours que je lis) qui me laissait perplexe, surtout d'un point de vue critique.

    Le dogmatisme selon Kuhn consisterait donc au fait qu'il existe des périodes où deux paradigmes (sinon plus) concurrents cohabitent et que le remplacement de l'un par l'autre (après réfutation) se fait aussi par un consensus au sein de la communauté scientifique.

    Je n'ai pas encore lu le lien que tu proposes, j'y reviendrai demain.

    PS : ah oui désolé je n'ai pas cité : Epistemologie des Sciences Humaines, 3e partie du livre Cours de Psychologie, tome 2 aux Editions Dunod http://www.amazon.fr/exec/obidos/ASI...342070-7093042
    A quitté FuturaSciences. Merci de ne PAS me contacter par MP.

  4. #4
    Gwyddon

    Re : Le dogmatisme chez Kuhn

    J'ai lu le lien que tu as cité, et je te remercie de l'avoir fourni dans ton message, car il m'éclaire d'autant plus.

    Le dogmatisme de Kuhn est donc très proche de celui que tu annonces dans ton message

    Le dogmatisme est une attitude philosophique qui consiste à admettre la possibilité pour l'esprit humain de parvenir à des vérités assurées. A ce dogmatisme s'oppose le scepticisme.

    En lien avec la notion de paradigme concurrent, et de consensus au sein de la communauté scientifique ; ce qui est en opposition avec le rationnalisme critique de Popper qui affirme au contraire que toute proposition dite vraie l'est jusqu'à ce que l'on parvienne à la réfuter, et que donc toute l'activité d'in scientifique consiste à émettre des hypothèses en même temps que des moyens de les réfuter, de mettre à l'épreuve ces hypothèses.


    Merci en tout cas, tout cela m'a permis d'y voir plus clair.

    A bientôt,

    Julien
    A quitté FuturaSciences. Merci de ne PAS me contacter par MP.

  5. A voir en vidéo sur Futura
  6. #5
    invite2a6b8224

    Re : Le dogmatisme chez Kuhn

    Le "constructivisme psychologique" de Kuhn, selon le point de vue d'où on le voit, peut être interprété de façons très diverses.
    Il peut être perçu comme la "preuve" que les scientifiques fonctionnent par consensus. On glisse là vers le dogmatisme, comme tu le signales. Mais il peut être perçu comme une occasion de réfléchir aux idées qui, issues de notre contexte culturel, peuvent mettre en difficulté l'objectivité de notre regard sur le monde. Or, cette occasion est recherchée par tout "falsificationniste" cohérent, désireux de ne regarder en face que la réalité et rien d'autre.
    Conclusion ? Ne laissons pas les "constructivistes sociaux" considérer Kuhn comme un des leurs ...

  7. #6
    invite5456133e

    Re : Le dogmatisme chez Kuhn

    la physique étant divisée depuis le début du XXe siècle en deux paradigmes incompossibles: la relativité générale et la physique quantique.
    "Kuhn a ensuite cherché à mieux distinguer les différents aspects de ce qu'il avait dans un premier temps appelé globalement "paradigme". À cette fin, il a rebaptisé "matrice disciplinaire" l'ensemble des convictions fondamentales qui unissent les membres d'une communauté scientifique." (Barberousse, Kistler et Ludwig; La philosophie des sciences au XXe siècle. Flammarion. 2000)
    Dans cette optique, ces deux "théories" ne font-elles pas partie effectivement d'un ensemble plus vaste, une matrice disciplinaire, ensemble d'acquis sur lequel on ne peut revenir?
    Elles peuvent peut-être devenir compatibles au sein de ce paradigme (certains recherchent dans ce sens), mais sûrement ne le deviendront-elles que dans un nouveau paradigme, ces théories se "réduisant" alors dans une autre plus fondamentale.

  8. #7
    invite2ca586bb

    Re : Le dogmatisme chez Kuhn

    Citation Envoyé par DINOULIX
    Ne laissons pas les "constructivistes sociaux" considérer Kuhn comme un des leurs ...
    Ca sent le dogmatisme, ca...

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