Vous avez sûrement raison. Si nous considérons que la science n'est qu'un outil qui cherche à décrire de mieux en mieux la réalité, mais pas la nature de la réalité, la notion de « réalité » est donc du ressort philosophique et non scientifique. La réalité physique du monde devient alors sans intérêt car ce qui importe c’est la compréhension de la phénoménologie permettant d’élaborer des modèles théoriques qui prédisent les résultats des expériences, point. De manière générale, la science ne traite que de modèles plus ou moins complexes, précis et adaptés à ce que nous voulons faire. Au mieux, ces modèles n’offrent qu’une puissance prédictive pour les expérimentations que nous réalisons, mais la question du « pourquoi » sort du cadre de ce que ceux-ci peuvent dire. Aucune théorie physique ne dit ce que sont réellement les objets qu'elle décrit. En sciences, tout ce qu’il y a, ce sont des modèles mathématiques « mimant » et expliquant le comportement de ces objets. C’est le territoire de la science. Inévitablement, le parcours du raisonnement seul, sans intuition, aboutit à un cul-de-sac à un moment donné durant sa conquête. Un certain seuil d’approfondissement ou d’analyse rationnelle sera inéluctablement rencontré parce que la structure des « modèles », mathématiques ou pas, que la science crée et se sert comme outil d’exploration (la méthode scientifique) est utilisée. Avec cette stratégie d’enquête, il me paraît aussi impossible de retrouver l’autre bout de la pelote, hélas. C'est donc très certainement par un moyen autre que celui de la « démarche scientifique » qu'il sera possible de déterminer la vraie nature de notre réalité (si cette « vraie nature » existe, je sais). Ou la science devra admettre que, pour faire un pas de plus dans la compréhension, elle n’a pas le choix et qu’elle doit changer son fusil d’épaule sur sa stratégie et sur ses outils de travail.
En revanche, d’un autre point de vue, si nous prenions la situation autrement, nous constatons que l’évolution humaine dans le monde du vivant nous a offert des outils nous permettant d’avoir une perception du monde (yeux, oreilles, etc.) Tous et chacun avons hérité d’une perception telle que l’évolution au fil du temps nous l’a apportée naturellement. Mais est-ce que le point de vue scientifique, sa démarche, est la seule façon « fiable » pour appréhender l’environnement qui nous entoure? Et si nos ressentis, notre relation avec l’univers qui nous entoure, ne pouvaient faire sens que relativement à notre conscience? Est-ce possible? Ce que je propose, et je ne suis pas le premier à le faire, est ceci. Ne pourrions-nous pas ajuster la méthode scientifique afin de nous permettre d’observer l’univers autrement, et ce, en ne modifiant qu’un seul paramètre : la direction de notre attention? Ainsi, au lieu de chercher la solution à l’extérieur de nous, regardons différemment la situation, changeons la stratégie d’approche et creusons plutôt vers l’intérieur, entre nos deux oreilles, tout en restant cohérent dans la démarche, bien évidemment. Pour ce faire, il suffit de tout oublier les connaissances acquises sur nos représentations des phénomènes physiques et de ne nous concentrer que sur la perception en elle-même comme la couleur ou le goût.
En suivant cette nouvelle approche, ne serait-il pas alors préférable, pour être efficace dans notre démarche, de « vivre pleinement l'effet » du ressenti que cela nous fait, sans nous poser de questions, sans chercher des causes en soi que nous pourrons de toute façon qu'imaginer? « La rose est sans pourquoi ; elle fleurit parce qu'elle fleurit. N'a souci d'elle-même, ne se demande pas si on la voit » disait Angelus Silesius au XXII siècle et mentionnée souvent par vous. Et vivre pleinement l’effet, tout comme font souvent les artistes, ne revient-il pas à dire vivre l’instant présent dans notre conscience, le fameux ici et maintenant?
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