Le rapport Campbell vient tout droit des Etats-Unis et propose de modifier notre alimentation pour se prémunir contre les maladies dégénératives qui frappent les pays riches. Il s’ajoute à ceux déjà écrits par Robert Atkins, Jean Seignalet, Richard Belliveau, David Servan Schreiber, David Khayat… Personne à ma connaissance n’a effectué à ce jour une analyse critique de ce livre. Pourtant ce pavé de plus de 480 pages mérite une étude approfondie de ses prétentions à la lumière des dernières connaissances scientifiques. Il me semble intéressant que les lecteurs et les scientifiques qui liront ces lignes apportent également leurs avis.
Le livre a été écrit par le Dr Colin Campbell, biochimiste et professeur émérite du département de biochimie nutritionnelle à l’Université Cornell. Pour rédiger ce rapport, il reçut l’aide rédactionnelle de son fils, un coureur de marathon. Il n’est donc pas contresigné par d’autres chercheurs qui partageraient l’opinion de l’auteur. Colin Campbell est un véritable homme de labo spécialiste de la nutrition ayant dirigé et participé à des équipes de recherches. Il a rédigé plus de 300 rapports publiés dans la presse spécialisée à comité de lecture. Il a bénéficié de plus de 35 ans de subventions et il a participé à la découverte de la dioxine.
En 1982, Colin Campbell participa à la rédaction d’une étude de l’Académie Nationale des Sciences des États-Unis sur l’alimentation la nutrition et le cancer. Ce fut la première étude sérieuse réalisée par un panel d’experts dénonçant l’association entre gras alimentaire et cancer. Puis Colin Campbell fut désigné comme conseiller scientifique principal de l’AICR (Amerain Institute for Cancer Reserarch) nouvellement créé. L’AICR publia des recommandations faisant un lien entre l’alimentation et le cancer et préconisa la réduction de la consommation des aliments riches en gras, une augmentation de la consommation des fruits, des légumes et des céréales entières. L’AICR pris par la suite de l’expansion avec la création à Londres d’une organisation internationale, le World Cancer Research Fund (Fonds Mondial de Recherche contre le Cancer).
Les recommandations des années 80 de l’AICR reprises par le WCRF sont toujours d’actualité. Elles ont été complétées depuis cette époque par l’intégration de nouvelles données provenant de la recherche sur l’alimentation et le cancer. Dans les recommandations du WCFR et de l’AICR, il n’est pas question d’interdire toutes les protéines animales y compris les œufs et les produits laitiers. Par contre, Colin Campbell suivra un autre parcours plus restrictif en devenant un adepte du végétalisme. Son livre tente d’apporter une justification scientifique à cette pratique alimentaire en s’appuyant sur ses études aux philippines et en Chine et sur une interprétation personnelle d’une sélection de comptes-rendus publiés dans la presse spécialisée rédigés par d’autres chercheurs dans différents domaines de la nutrition.
Des découvertes extraordinaires ?
Le rapport Campbell a été écrit en 2005, publié en 2006 est traduit en français en 2008. Il est présenté comme la plus vaste étude internationale sur la nutrition. Le sous-titre racoleur annonce déjà la couleur : « Révélations stupéfiantes sur les liens entre l’alimentation et la santé à long terme ». Il commence par la publication de quelques éloges de scientifiques proches des opinions de l’auteur comme Dean Ornish ou ayant participé à ses recherches comme Junshi Chen (Institut national pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle de Chine) ainsi que de personnalités diverses. L’auteur insiste souvent sur ses titres, ses fonctions et ses nombreuses publications dans la presse spécialisée à comité de lecture afin de se démarquer par rapport à des études contestées comme celle d’Atkins, mais aussi pour mieux justifier ses recettes qu’il veut faire avaler aux lecteurs de son rapport. C’est une méthode assez classique de tous ceux qui écrivent des livres destinés au public contenant des affirmations en marge des théories officielles. L’ambition de ce rapport est gigantesque, car il s’agit ni plus ni moins de démontrer que les produits synthétiques et toxiques présents dans notre alimentation ne sont pas la principale cause des cancers, que les gènes hérités de nos parents ne sont pas les facteurs principaux qui favorisent les maladies dégénératives les plus connues, que le contrôle obsessionnel de certains nutriments comme, les hydrates de carbone, les matières grasses, l’indice de cholestérol dans votre sang, l’équilibre en oméga-3… n’auraient pas un impact positif à long terme sur notre santé, que les progrès de la chirurgie sont illusoires...
L’œuvre a donc pour objectif de valoriser le régime végétarien strict (végétalisme) auquel l’auteur lui attribue une panoplie d’effets bénéfiques capables de luter contre toutes les maladies dégénératives promues par notre mode de vie occidentale, y compris les cancers. Non seulement le régime végétarien strict aurait des facultés préventives contre ces maladies, mais il serait aussi curatif pour certaines d’entre-elles rebelles aux traitements classiques. Son blason couvert de titres de publications et de quelques éloges suffit-il pour accepter d’emblée ce qu’il préconise ? L’auteur exploite pourtant des fantasmes très à la mode de nos jours concernant la relation entre maladies dégénératives liées au vieillissement et le mode de vie des pays riches. Dans un premier temps il tente de démontrer que la santé des occidentaux se dégrade se traduisant par un nombre croissant d’obésité, de diabète, de cancers, de maladies cardiovasculaires … Ces maladies des pays riches sont bien réelles, mais, c’est la manière dont leur survenue est analysée qui devient une imposture en oubliant des données fondamentales : l’évolution de l’indice d’espérance de vie dans chaque pays et la relation entre cet indice et les causes des décès.
Le Saint-Grall est dans votre assiette
En ce qui concerne les causes du cancer, l’auteur signale avoir trouvé le Saint-Grall quand il eut connaissance d’une expérience effectuée aux Indes parue dans une revue obscure comme il le dit lui-même(1). Celle-ci montrait que des rats exposés à un agent très cancérigène, l’aflatoxine, développaient un cancer uniquement lorsqu’ils étaient nourris avec 20 % de protéines dans leur nourriture. Les autres rats qui avaient mangé très peu de protéine (5%) ne développaient aucun cancer. Comme à la même époque Colin Campbell avait constaté aux Philippines que l’indice de cancer du foie était également dépendant d’une nourriture riche en protéines polluée d’aflatoxine, il soupçonna les protéines animales d’être la cause fondamentale de l’explosion des cancers et non pas l’agent cancérigène réservant à ce dernier un rôle secondaire beaucoup moins dangereux qu’on le pense. Ses soupçons lui semblèrent évidents quand il s’aperçut que le régime alimentaire des pauvres aux Philippines carencés en protéines animales, les protège du cancer du foie en présence d’aflatoxine, par rapport aux riches qui eux ne se privent pas de manger des viandes et sont plus affectés par ce cancer. La question qui lui vient vite à l’esprit est de se demander si d’autres agents cancérigènes agissent de la même manière avec un régime riche en protéines. Cette hypothèse devait donc être vérifiée par d’autres études surtout pour un chercheur qui avait l’habitude de consommer 2 litres de lait par jour avant de se convertir au végétalisme.
Dans un premier temps, des études épidémiologiques effectuées sur des porteurs du VHB où l’indice du cancer du foie primitif est plus important que dans les pays occidentaux, montrèrent qu’il existe aussi une relation entre le développement d’un cancer du foie et un régime alimentaire riche en protéines, et cela quelque soit l’incidence du VHB dans la population. Colin Campbell reçut alors de nouvelles subventions qu’il utilisa pour vérifier si d’autres essais effectués de manière différente sur des rats aboutissaient aux mêmes résultats. Tous ces essais montrèrent qu’il existe effectivement une relation entre le taux de consommation de protéines et le développement de cancers induits par des substances chimiques ou des virus. La relation entre la quantité de protéine consommée et le niveau de promotion des cancers après initiation par un cancérigène, fut également établie.
Après ses travaux sur le cancer du foie, Colin Campbell participa à l’une des plus grandes études sur l’alimentation jamais réalisée en Chine : Le « China Projet », une vaste étude épidémiologique sur les taux de mortalité de douze types de cancer différents réalisée sur 880 millions de personnes de la Chine rurale et des États-Unis durant une période de vingt ans. Cette étude a été menée conjointement par les universités de Cornell, d’Oxford et l'Académie Chinoise de Médecine Préventive. L’équipe de Colin Campbell compara l'alimentation des Chinois et celles des Américains et se rendit compte que par rapport aux États-Unis, les maladies de la prospérité (cancers, diabète, maladies cardiovasculaires, cécité, etc.) sont très faibles dans la Chine rurale où les protéines animales trop couteuses sont peu consommées. Cela suffit à Colin Campbell pour le convaincre une nouvelle fois qu’il existe une corrélation entre la consommation de protéines animales et le développement de ces maladies.
D’autres substances naturelles qui boostent les cancers
Il est intéressant de rappeler que les expérimentations effectuées par Colin Campbell sur des rats utilisaient la caséine du lait. Est-ce qu’il n’existe pas d’autres substances qui joueraient un rôle identique à cette protéine dans l’initiation et la promotion des cancers avec ou sans la présence d’un cancérigène ? Colin Campbell ne le signale pas dans son rapport et ne semble donc pas l’avoir recherché. Il existe pourtant d’autres substances naturelles présentes dans l’alimentation qui favorisent la promotion des clones néoplasiques. On sait que le glucose est particulièrement apprécié par les cellules cancéreuses et des expériences in vivo et in vitro similaires à celles de Colin Campbell ont depuis montré des effets identiques aux protéines (2). Faut-il s’abstenir des végétaux riches en hydrates de carbone assimilables comme les céréales alors qu’elles constituent l’alimentation principale des végétaliens ?
Voici un autre exemple très embarrassant. Le rôle dans la prolifération cancéreuse et la dissémination métastatique des polyamines (putrescine, spermidinie et spermine) a été mis en évidence depuis vingt-cinq ans par le Pr Moulinoux, directeur du groupe de recherche thérapeutique anticancéreuse de la faculté de Médecine de Rennes I. Les polyamines agissent comme des facteurs de croissance pour les cellules, qu'elles soient saines ou malades. Les cellules cancéreuses prolifèrent quand elles sont en présence de polyamines plus abondantes dans certains aliments courants. Par contre, quand cet apport est interrompu, les cellules cancéreuses ne se multiplient plus. Si ces aliments sont réintroduits dans l’alimentation, le schéma de prolifération reprend. Ainsi, ces substances produisent les mêmes effets que la caséine du lait mis en évidence sur des lots de rats par Colin Campbell dans la phase de promotion des cancers.
Où trouve-t-on ces polyamines ? Dans des viandes et des fromages, mais aussi dans des fruits et des légumes : amandes, bananes, oranges, le blé tendre, aubergine, brocolis, choux-fleurs, courgettes… La liste est longue et pour un végétalien voici un casse-tête qui ne semble pas avoir effleuré Colin Campbell. Plusieurs essais cliniques ont montré l’intérêt d’une carence en polyamines dans l’alimentation de patients atteints de certains cancers comme celui de la prostate (3). Bien entendu, pour ceux qui sont en cours de traitement ou qui souhaitent adopter un régime accès sur la prévention alimentaire des cancers en vue de réduire les risques, l’abstinence d’aliments riches en polyamines dont une liste a été établie par le Pr Moulinoux, est une solution envisageable. Mais comment concilier les exigences du régime végétalien qui n’admet aucun aliment provenant des animaux, et celles suscitées par les découvertes du Pr Moulinoux qui interdissent un nombre important de produits végétaux ? Et pourquoi ne pas interdire en même temps les aliments trop riches en hydrate de carbone !
Comme on le constate, se focaliser sur un seul facteur alimentaire qui produirait dans un contexte précis des effets négatifs sur notre santé, est dès plus réductionniste. C’est la porte ouverte à des pratiques alimentaires reposant sur des données superficielles, en définitif sur un discours pseudo-scientifique.
1) The effect of dietary protein on carcinogenisis of aflatoxin – Madhavan TV , and Gopala C.
2) Glucose restriction can extend normal cell lifespan and impair precancerous cell growth through epigenetic control of h TERT and p16 expression Yuanyuan Li, Liang Liu, and Trygve O. Tollefsbol
3) Polyamine contents in current foods : a basis for polyamine reduced diet and a study of its long term observance and tolerance in prostate carcinoma patients - CIPOLLA B. G. ; HAVOUIS R. ; MOULINOUX J. P.
-----