monde ARN avant ADN
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monde ARN avant ADN



  1. #1
    invite6cbf8f24

    monde ARN avant ADN


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    Bonjour à tous , quels sont les arguments valables sur l'hypothèse qu'un monde ARN ait précédé un monde à ADN ? Le sujet est vague donc si quelqu'un pouvait me les citer en quelques mots ( j'aurais ainsi un point de départ pour mes recherches) ou me rediriger sur des post déjà posés car je ne parvient pas à trouver. Merci d'avance

    -----

  2. #2
    invite75144d9c

    Re : monde ARN avant ADN

    Bonjour,

    Une des principales preuves est celle de l'ATP qui est un ribonucléotide et non un désoxyribonucléotide. Pour vous inspirer, je vous suggère cet ouvrage de microbio à partir de la page 472:

    http://books.google.ca/books?id=saCo...reuves&f=false

  3. #3
    invite97d0881c

    Re : monde ARN avant ADN

    Salut,

    Sur ce forum il y a un post qui traite sur l'origine de la vie http://forums.futura-sciences.com/bi...determine.html
    Dans ce post il y a une vidéo d'une conférence sur l'origine virale de l'ADN de Patrick Forterre. Il postulerait que les ARN seraient les précurseurs de l'ADN.
    lien conférence : http://www.canal-u.tv/video/universi..._forterre.3806
    Et voici un article qui l'a écrit sur l'origine du génome : http://www.larecherche.fr/savoirs/do...-11-2000-88350

    Bonne journée

  4. #4
    Nemoclay

    Re : monde ARN avant ADN

    La réplication de l'ADN dépend de tout l'appareil de décodage et de transcription de cette molécule en un ensemble de protéines. C'est si compliqué qu'il est impossible d'imaginer que ce système ait pu émerger comme la première forme de réplication. Mais cet appareil de décodage n'est pas nécessaire, la même molécule peut à la fois être la forme qui se réplique et pro-céder à l'activité enzymatique comme certains ARN (ribozymes).
    Dernière modification par Nemoclay ; 02/01/2013 à 13h51.

  5. A voir en vidéo sur Futura
  6. #5
    Geb

    Re : monde ARN avant ADN

    Bonjour,

    L’histoire de l’hypothèse du monde à ARN commence avec la publication en 1967 d’un livre de Carl R. Woese intitulé "The Genetic Code: The Molecular Basis for Gene Expression". Selon lui, en analysant la complexité de ce qu’on savait à l’époque de l’appareillage moléculaire impliqué dans la biosynthèse des protéines, l’ARN de transfert aurait précédé les molécules plus complexes comme les aminoacyl-tARN synthétases, ou le complexe ribonucléoprotéinique comme le ribosome.

    En 1968, Francis Crick et Leslie Orgel publièrent deux publications scientifiques dans lesquelles ils stipulaient que l'ARN de transfert (le seul type d'ARN dont la structure était connue à l'époque) "ressemble à la tentative de la Nature pour faire faire à l'ARN le boulot d'une protéine" (tRAN looks like Nature's attempt to make RNA do the job of a protein" selon les mots de Francis Crick).

    Ensuite, vinrent les publications de Usher & McHale en 1976 et Harold B. White la même année (White étant considéré comme "l’inventeur" du concept de "monde à ARN"). Il convient de noter également les travaux de Visser & Kellogg en 1978.

    C'est Harold B. White, troisième du nom, un spécialiste des vitamines, qui défendit l'idée dans son papier de 1976 (intitulé "Coenzymes as fossils of an earlier metabolic state") que beaucoup de cofacteurs impliqués dans la catalyse enzymatique étaient soit des ribonucléotides contenant de l'adénosine monophosphate, soit ils ressemblaient à des ribonucléotides, avec une structure phosphate-sucre-base. D'après lui, on pouvait supposé, grâce à cette simple observation, que la moitié des catalyseurs enzymatiques étaient peut-être les reliques d'une époque ou la catalyse reposait sur des composés chimiques qui n'étaient pas des acides aminés mais des ribonucléotides.

    Dans un papier intitulé "In vitro splicing of the ribosomal RNA precursor of Tetrahymena: involvement of a guanosine nucleotide in the excision of the intervening sequence" et publié en décembre 1981 dans la revue Cell, Thomas Cech et ses collaborateurs font la découverte chez l’organisme eucaryote unicellulaire Tetrahymena thermophilia des propriétés catalytiques de l’ARN. Aujourd’hui, les brins d’ARN capables de biocatalyse sont appelés ribozymes.

    L’équipe de Sidney Altman publie une découverte similaire en étudiant la bactérie Escherichia coli, dans un papier publié le 1er décembre 1983, dans la revue Cell également : The RNA moiety of ribonuclease P is the catalytic subunit of the enzyme.

    Environ 10 ans après la proposition de Harold White, apparaît la formule consacrée de "monde à ARN", que l’on doit au prix Nobel de chimie 1980, Walter Gilbert, dans un article de seulement une page publié dans l’édition du 20 février 1986 de la célèbre revue Nature : Origin of life: The RNA world.

    Sur la base des travaux de Cech et Altman, Gilbert y postule un système auto-réplicatif à l'origine uniquement composé de molécules d'ARN.

    Ces travaux de Thomas Cech et Sidney Altman sur l’épissage de l’ARN par l’ARN (qui leur valurent à tous les deux le prix Nobel de chimie 1989, se poursuivirent, attirant l’intérêt d’autres scientifiques comme Jack Szostak (également Prix Nobel en 2009 pour ses travaux sur les télomères), Steven A. Benner, Jennifer A. Doudna et beaucoup d’autres. Voir par exemple :

    - Modern metabolism as a palimpsest of the RNA world (Benner et al., 1989)
    - RNA-catalysed synthesis of complementary-strand RNA (Doudna & Szostak, 1989)
    - Selection of a ribozyme that functions as a superior template in a self-copying reaction (Green & Szostak, 1992)
    - Isolation of new ribozymes from a large pool of random sequences (Bartel & Szostak, 1993)
    - An RNA motif that binds ATP (Sassanfar & Szostak, 1993)
    - In vitro evolution of new ribozymes with polynucleotide kinase activity (Lorsch & Szostak, 1994)
    - In vitro evolution of a self-alkylating ribozyme (Wilson & Szostak, 1995)
    - Ribozyme-catalysed amino-acid transfer reactions (Lohse & Szostak, 1996)

    Au final, les réactions catalytiques des ribozymes se sont révélées peu variées et leur pouvoir de catalyse (le facteur d'accélération des réactions) beaucoup moins important que celui des protéines modernes.

    Cela dit, une autre découverte importante est venue de l’analyse de la structuration du ribosome, qui synthétise les protéines de tous les organismes vivants modernes. Il se trouve que le site actif du ribosome (l’endroit ou l’assemblage des acides aminés composant les protéines s’effectue) est composé d’ARN. Autrement dit, le ribosome est un ribozyme !

    Cette découverte a été annoncée la même année par 3 équipes différentes dans la même édition de la revue Science le 11 août 2000 :

    The complete atomic structure of the large ribosomal subunit at 2.4 Å resolution (Ban et al., 2000)
    The structural basis of ribosome activity in peptide bond synthesis (Nissen et al., 2000)
    A single adenosine with a neutral pKa in the ribosomal peptidyl transferase center (Muth et al., 2000)

    Donc, en résumé, certains brins d'ARN (appelés ribozymes) peuvent présenter diverses propriétés catalytiques et le ribosome (l'énorme molécule qui existe chez tous les êtres vivants cellulaires dans lesquels il synthétise les protéines modernes), est un ribozyme. Ces deux seuls arguments constituent les observations expérimentales les plus fortes en faveur de l'hypothèse qu'un "monde à ARN" aurait pu existe à une époque de l'évolution du vivant sur Terre il y a plusieurs milliards d'années.

    La grande énigme reste toujours la synthèse abiotique des acides ribonucléiques.

    À ma connaissance, il y aussi deux polémiques principales vis-à-vis du monde à ARN :

    1) La température à laquelle LUCA (pour "Last Universal Common Ancestor") vivait.

    Était-il hyperthermophile (c-à-d que sa croissance est maximale à des températures supérieures à 80°C), thermophile (entre 50 et 80 °C), mésophile (entre 20 et 50°C) ou cryophile (inférieur à 20°C) ?

    Pour illustrer la polémique, je vous propose la lecture d'un passage d'une publication relativement récente (2010) du célèbre William Martin et ses collègues :

    Genome Networks Root the Tree of Life between Prokaryotic Domains

    Life at the Root

    The debate about the position of the root in the tree of life has focused mainly on its position and to some extent on the biology of the first organisms. The issues of microbial lifestyle (autotrophy vs. heterotrophy: Lane et al. 2010) and cellularity, that is, the transition from replicating molecules in inorganic compartments to genetically specified replicating cells (Martin and Russell 2003; Koonin and Martin 2005; Branciamore et al. 2009) have received attention of late. However, by far the most heavily debated aspect of life at the root concerns temperature.

    The view of thermophilic origins attracted much attention following the suggestions by Karl Stetter (Stetter et al. 1990) and Pace (1991) that prokaryotes inhabiting many of the extreme kinds of environments we see today are, to some extent, inhabiting environments that existed in a fully “modern” form on early earth: anoxic volcanic settings and hydrothermal vents, both which are often quite hot (>80 °C). In trees rooted between the prokaryotic domains, the hyperthermophiles branched first, suggesting that maybe the first organisms were hyperthermophilic archaea and bacteria (Stetter et al. 1990; Pace 1991). That view spawned the counterhypothesis of thermoreduction (Forterre 1995, 1996), which posits that the hyperthermophilic origins scenario is wrong by virtue of a misplaced root. In that view, the eukaryotes are seen as the ancestral form of life on earth, prokaryotes having evolved from them via reductive evolution. Although thermoreduction in the original sense can now be excluded because all eukaryotes either have or had mitochondria (Cox et al. 2008; van der Giezen 2009), meaning that eukaryotes as we know them cannot be ancestral to prokaryotes, the issue of temperature at life’s root remains current.

    Recently, gene trees have been used to infer the temperature of early earth environments based on statistical arguments (Gaucher et al. 2003, 2008). Boussau et al. (2008), for example, suggested that the first organisms (the common ancestor of archaeabacteria and eubacteria in their view) arose and lived at about room temperature (∼20 °C) based on the estimated GC content of inferred ancestral sequences in maximum-likelihood trees. Is such a low temperature for life at the root realistic? Amend and McCollom (2009) recently calculated that in geochemically promising environments for the origin of life, the Gibbs energy of reaction (ΔGr) toward the synthesis of total prokaryotic cell mass was unfavorable (+500 Joules per gram of cells) at 25 °C but exergonic at 50, 75, and 100 °C, with values of –1,016, –873, and –628 Joules per gram of cells, respectively, dropping sharply again at 125 °C (Amend and McCollom 2009). Clearly, the synthesis of the first cells must have entailed a fundamentally exergonic reaction, as life cannot have arisen against the laws of thermodynamics. If thermodynamics are favorable in the range of 50–100 °C but not at 25 °C, then this can be taken as a constraint for phylogenetic models rather than a variable for estimation, when it comes to considering temperature at the root.

    Part of the rational against the view of thermophilic origins was once founded in the circumstance that nucleoside triphosphates are very unstable at temperatures around 100 °C (Forterre 1996), for which reason such temperatures were deemed to be incompatible with the notion of an RNA world. However, Constanzo et al. (2009) recently reported that RNA chains dozens to over 100 nucleotides in length arise spontaneously, in hot (>80 °C) water, and without catalysts yet not from nucleoside triphosphates rather from the ribonucleoside 3′,5′ cyclic monophosphates at concentrations around 1 mM. Temperatures around 85 °C yielded rapid polymerization, below 60 °C the reaction rates dropped sharply (Constanzo et al. 2009). Thus, from the thermodynamic and chemical perspective, life at the root might be more likely in the range of 50–100 °C than at values approaching room temperature. That view is consistent with the recent discovery of a novel bifunctional fructose-1,6-bisphosphate aldolase/phosphatase from thermophilic eubacteria and archaebacteria that provides comparative biochemical evidence in favor of chemolithoautotrophic origins (Say and Fuchs 2010).
    On voit bien ici que les vues de Forterre quant à la température à laquelle LUCA pourrait avoir vécu (c'est-à-dire à des températures relativement basses selon Forterre), ne font pas l'unanimité parmi les spécialistes. Pour l'instant, des arguments solides existent dans les 2 "camps". Pour ma part, je penche actuellement pour l'hypothèse d'un LUCA à haute température (~50°C ou plus, soit thermophile).

    2) LUCA était-il déjà équipé d'un génome à ADN (comme tout le vivant cellulaire actuel) ou plutôt d'un génome à ARN (hypothèse de l'origine virale de l'ADN) ?

    Certains, comme Forterre, pensent que LUCA était encore équipé d'un génome à ARN et que l'ADN a été utilisé par les organismes cellulaires après une infection virale. Ce n'est pas non plus une hypothèse consensuelle, d'où le débat à ce sujet. Bien que pour ma part, je pense que dans ce cas Forterre a peut-être raison.

    Cordialement.
    Dernière modification par Geb ; 02/01/2013 à 14h31.

  7. #6
    Geb

    Re : monde ARN avant ADN

    Au fait, il me semble important d'ajouter que le célèbre chimiste exobiologiste André Brack, grand vulgarisateur des sciences, a parlé brièvement de l'hypothèse du monde à ARN dans son dossier pour Futura-sciences sur l'exobiologie :

    Une vie primitive plus simple que la cellule ?

    Dans les années 1980, les biologistes ont découvert que certains ARN étaient capables non seulement de véhiculer l'information mais aussi d'exercer une activité catalytique, comme les enzymes protéiques (Zaug et al., 1986). Très vite s'est développée l'idée d'un monde d'ARN berceau de la vie sur Terre. Le monde de l'ARN a constitué vraisemblablement un épisode dans l'histoire de la vie.

    La démonstration que l’étape clé de la formation de la liaison peptidique au cours de la biosynthèse des protéines est réalisée par catalyse de l’ARN sans intervention quelconque d’un acide aminé confirme l’existence probable d’un monde d’ARN ancestral de même que la découverte des mimivirus à ADN, macrovirus possédant des gènes communs à tous les organismes des trois branches du vivant, eucaryotes, bactéries et archées et qui pourraient être les descendants d'un monde viral ancestral. Reste cependant à comprendre la formation prébiotique de l’ARN qui n'a trouvé, à ce jour, aucune explication convaincante.
    Pour information, le dossier de Futura-sciences, mis en ligne le 7 janvier 2008, est tiré presque intégralement du chapitre 11 (celui rédigé par André Brack) d'un livre intitulé "Formation planétaire et exoplanètes", sorti en 2005 :

    L'exobiologie ou l'origine chimique de la vie

    Il parle donc des deux découvertes que j'avais mentionné :

    1) "Dans les années 1980, les biologistes ont découvert que certains ARN étaient capables non seulement de véhiculer l'information mais aussi d'exercer une activité catalytique, comme les enzymes protéiques", référence à la découverte des ribozymes par Cech et Altman.
    2) "La démonstration que l’étape clé de la formation de la liaison peptidique au cours de la biosynthèse des protéines est réalisée par catalyse de l’ARN sans intervention quelconque d’un acide aminé confirme l’existence probable d’un monde d’ARN ancestral", référence à la découverte annoncée en 2000 que le ribosome est un ribozyme.

    À propos de l'évolution moléculaire du ribosome, je vous suggère cet article, mis en ligne le 20 février 2009 : Deconstructing the Ribosome (le centre actif composé d'ARN est en vert fluo).

    On pourrait ajouter un troisième argument. La synthèse des acides désoxyribonucléiques (autrement dit l'ADN) s'effectue à partir de précurseurs composés d'ARN. C'est donc que l'ARN est apparue avant puisqu'il faut de l'ARN pour fabriquer de l'ADN.

    À ce propos, je vous suggère vivement de regarder un cours disponible en ligne, du chimiste de formation Marc Fontecave, actuellement professeur au Collège de France et grand spécialiste des ribonucléotide réductases (une classe d'enzymes qui catalyse la réaction de synthèse d'ADN à partir d'ARN). Voir ici :

    Cours du 1er juin 2011. Du monde à ARN au monde à ADN, quelle ribonucléotide réductase ?

    Cordialement.
    Dernière modification par Geb ; 02/01/2013 à 22h39.

  8. #7
    Geb

    Re : monde ARN avant ADN

    Bonjour,

    J'ai oublié de mentionner un cours de Marc Fontecave au Collège de France, qui résume la plupart des arguments en faveur du monde à ARN :

    Du monde à ARN au monde à ADN : les ribonucléotide réductases

    Pour le passage du monde à ARN au monde à ADN, je te suggère de te documenter sur les travaux de Patrick Forterre. Voici un papier de Forterre publié en 2005 :

    The two ages of the RNA world, and the transition to the DNA world: a story of viruses and cells

    Le résumé des travaux de Patrick Forterre sur ce sujet (actualisé pour la dernière fois en mai 2007) sur le site de l'Institut Pasteur (l'employeur de Patrick Forterre) :

    Descriptif des travaux réalisés

    Le génome de LUCA et l’origine des génomes à ADN

    Ces dernières années, suite aux données obtenues grâce à la génomique comparative, le problème de la nature du génome de LUCA, ADN ou ARN est venu à l’ordre du jour. Nos premiers travaux sur les ADN polymérases et ADN topoisomérases des archéobactéries, m’avaient conduit à insister sur l’idée selon laquelle LUCA était un organisme du monde à ADN (Forterre et al., 1993). Cette idée se basait sur la présence de certaines enzymes clefs du métabolisme de l’ADN dans les trois domaines du vivant, en particulier les ADN topoisomérases de type II et les ADN polymérases de la famille B. Or, nos travaux de phylogénie plus récents, basés sur les données accumulées grâce au séquençage des génomes, ont montré que cette répartition ubiquitaire était en fait due à des transferts de gènes entre domaines (Filée et al., 2002, Gadelle et al., 2003). Il ne reste donc plus que très peu de protéines du métabolisme de l’ADN dont on peut inférer la présence dans l’ancêtre commun de chacun des trois domaines (donc sans doute chez LUCA). En particulier, les protéines de réplication de l’ADN ne sont pas ubiquitaires, puisque l’on distingue deux systèmes non homologues, celui des bactéries et celui des archéobactéries/eucaryotes. Les arguments en faveur d’un LUCA à ADN ne sont donc plus très nombreux.

    Afin d’expliquer pourquoi le système de réplication de l’ADN des bactéries est si différent des deux autres, Koonin et ses collaborateurs ont repris l’idée, avancée par Carl Woese dès 1977, d’un LUCA dont le génome était composé d’ARN (Muschegian & Koonin, 1996, Proc Natl Acad Sci., 93, p10268). Selon eux, les mécanismes de réplication de l’ADN ont été inventés deux fois indépendamment au cours de l’évolution, une fois dans la lignée conduisant aux bactéries, et une autre fois dans celle conduisant aux archéobactéries et aux eucaryotes (Leipe et al., 1999, Nucleic Acids Res., 27, p3389).

    Pour ma part, j’ai proposé que les protéines du système de réplication ancestral avaient été remplacées chez les bactéries par un nouveau système d’origine virale (Forterre, 1999). Cette hypothèse se base sur l’existence de nombreuses protéines de réplication virales formant des familles non homologues de leurs analogues cellulaires. Cette observation suggère une très grande ancienneté des mécanismes de réplication des virus à ADN.

    Pour explorer plus avant cette idée, Jonathan Filée a entrepris l’analyse phylogénétique systématique des protéines virales du métabolisme de l’ADN dans le cadre de sa thèse (dirigée par Jacqueline Laurent, une Maître de conférence dans notre équipe). Leur travail a confirmé l’existence de transferts anciens de protéines réplicatives entre cellules et virus (Filée et al., 2002 ; 2003). Ces transferts sont généralement difficiles à polariser (ont-ils eu lieu des virus vers les cellules ou bien des cellules vers les virus ?). Trois cas de transferts de virus vers cellules ont toutefois pu être clairement mis en évidence : le transfert d’une ADN polymérase virale dans le génome de l’archéobactérie halophile Halobacterium NRCI, et ceux d’une ADN polymérase et d’une hélicase de la famille des bactériophages T3/T7 vers les mitochondries (Filée et al., 2002, 2003). Le cas des mitochondries est particulièrement intéressant, puisque l’on savait déjà que l’ARN polymérases mitochondriales est apparentée non pas aux ARN polymérases cellulaires mais aux ARN polymérases virales du groupe T3/T7. C’est donc tout le système de transcription et de réplication bactérien qui a été remplacé par des systèmes viraux au cours de l’évolution qui a conduit des a-proteobactéries aux mitochondries (Figure 13). Cet exemple montre que les mécanismes informationnels peuvent être sujet à des remplacements non orthologues importants.

    L’hypothèse du transfert d’un mécanisme de réplication de l’ADN d’origine viral vers des cellules a été reprise par Villareal et De Philippis (J. Virol. 2000, 74, p221) qui ont proposé une origine virale pour l’ADN polymérase d des cellules eucaryotes. Effectivement, cet ADN polymérase branche avec tout un groupe de polymérases virales dans une phylogénie des ADN polymérases de la famille B (Filée et al., 2002, 2003). La phylogénie des ADN topoisomérases de la famille IIA suggère également une origine virale, à la fois pour les enzymes eucaryotes et procaryotes (Figure 14).

    Pour concilier ma proposition initiale (une origine virale des protéines de réplication bactérienne) avec celle de Villareal et De Filippis, et avec les données sur l’évolution de la famille Topo IIA, j’ai proposé l’hypothèse “ radicale ” selon laquelle toutes les protéines de réplication seraient d’origine virale (Forterre, 2002, Forterre et al., 2003) (Figure 15).

    Cette idée s’appuyait également sur une nouvelle hypothèse que j’avais formulée quelque temps auparavant : l’origine virale de l’ADN lui-même (Forterre, 2000). Dans cette hypothèse, l’ADN serait apparu par modifications progressives du génome d’une lignée de virus à ARN, afin de rendre le génome de ces virus résistant vis-à-vis des mécanismes de leurs hôtes (Forterre, 2000, 2002, Forterre et al., 2003) (Figure 16). La poursuite de ce mécanisme aurait conduit à l’apparition de virus dont les génomes sont constitués dont l’ADN est à son tour modifié. C’est le cas par exemple du bactériophage T4, dont l’ADN contient de l’hydroxyméthyl-cytosine. Ce scénario permet d’expliquer quelle pression de sélection a favorisé l’apparition de l’ADN-U (ADN avec de l’uracile), puis de l’ADN-T, au niveau d’un individu. Les avantages généralement invoqués pour expliquer l’apparition de l’ADN (plus grande stabilité, possibilité de corriger la désamination des cytosines) expliquent bien en effet pourquoi les cellules à ADN ont éliminé les cellules à ARN, mais ils n’expliquent pas comment la première molécule d’ADN a pu être sélectionnée au niveau d’un individu.

    L’hypothèse d’une origine virale de l’ADN est en accord avec l’existence de virus à ADN-U, (par exemple le bactériophage pBS-1 de Bacillus subtilis) qui pourraient représenter des formes “reliques” intermédiaires entre l’ARN et l’ADN-T (Figure 16). D’autre part, il est frappant de constater que de nombreux virus codent pour leur propre ribonucléodide reductase (RNR) et thymidylate synthase (TdS) (ThyA ou ThyX) qui sont souvent très éloignées de leurs homologues cellulaires. L’analyse phylogénétique de ces protéines réalisée par Jonathan Filée est en accord avec une origine virale de certaines RNR ou TdS cellulaires (Myllykallio et al., 2002, Forterre et al., 2003).

    Dans l’hypothèse d’une origine virale de l’ADN, on comprend bien comment différents mécanismes de réplication ont pu apparaître indépendamment dans plusieurs lignées de virus à ADN, par recrutement de différentes protéines impliquées dans la réplication de l’ARN. L’ADN aurait pu être ensuite transféré une ou plusieurs fois indépendamment des virus aux cellules, avant ou après l’émergence de LUCA, (selon que l’on imagine un LUCA à ADN ou à ARN). Comme on le voit, le problème de la nature de LUCA est loin d’être résolu. Pour bien souligner le problème soulevé à cette occasion par l’origine des virus, je suggère maintenant de considérer que l’acronyme LUCA correspond à the Last Universal Cellular Ancestor (Forterre, 2002). Quelle que soit la validité de ces hypothèses, elles ont selon moi l’avantage d’attirer à nouveau l’attention des évolutionnistes sur le monde des virus. Par la force des choses, les virus avaient été plus ou moins évacués de la problématique évolutive suite au développement des phylogénies et des modèles d’évolution basés sur les ARN ribosomaux.
    Une conférence (du 16 juin 2008) de Patrick Forterre à l'Université de Tous les Savoirs (UTLS) :

    Nouvelles questions et hypothèses sur l'origine et l'évolution des génomes

    Le compte-rendu écrit de la conférence susmentionnée :

    L'origine des génomes modernes

    Une des conférences (du 5 mai 2009) de Patrick Forterre au Collège de France :

    Manipulation des synthèses cellulaires et nature des virus : les virus sont-ils vivants ?

    Cordialement.
    Dernière modification par Geb ; 26/01/2013 à 08h16.

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