Bonjour,
Les questions que je veux aborder sont plus précisément
1) Que ne peut-on dire avec la logique classique du premier ordre ?
2) Peut-on parler de limite de cette logique ?
Je suis contraint, par ce sujet, à présenter des mathématiques, mais je n'en éprouve aucune honte, car je ne vois pas comment on pourrait discourir sur l'épistémologie des mathématiques et plus encore sur la logique mathématique sans connaître un minimum le sujet ; Μηδείς Αγεωμέτρητος Εισίτω, comme dirait l’autre.
Je précise aussi que les opinions émises ainsi que les exemples sont de moi donc sujet à critiques et sans doute non exempts d’erreurs et/ou de fautes de frappe diverses.
Tout ce qui suit prend donc place dans le cadre de la logique égalitaire classique du premier ordre.
La première piste est, bien sur, le théorème d'incomplétude de Gödel (ce n'est pas le sujet principal de ce fil, mais il est impossible de ne pas en parler un minimum), que j'aime bien exprimer de la façon suivante :
Théorème de Gödel : Toute théorie suffisamment compliquée (pour formaliser l'arithmétique) et suffisamment simple (récursivement axiomatisable) est incomplète.
Ce qui veut dire que l'on peut tenter d'ajouter des axiomes (tout en restant récursif) à cette théorie sans pour autant que l'on arrive à une théorie dont tous les modèles vérifient les mêmes énoncés dans un langage donné (autre définition d'une théorie complète)
Mais que se passe-t-il lorsque l'on modifie l'une de ces deux hypothèses ?
1) Théories plus compliquée (non récursivement axiomatisable)
En supprimant l'hypothèse de l'axiomatisation récursive, il semble (c'est une position épistémologique proche de la thèse de Church-Turing) que l'on obtienne une théorie non manipulable par un être humain (et encore moins par un ordinateur), on peut se demander, néanmoins, si cela apporte quelque chose de supprimer cette hypothèse :
Levin répond, partiellement, que non, en ayant démontré qu'une telle théorie où " récursivement axiomatisable " est remplacé par " aléatoirement axiomatisable " est toujours incomplète. Encore faut-il comprendre ce que cela veut dire (je renvoie à l'article de JP Delahaye, et à la revue j'en ai faite : http://forums.futura-sciences.com/le...decidable.html), à savoir que la probabilité de tomber sur une théorie complète en ajoutant aléatoirement des axiomes à ceux de l'arithmétique, est nulle. Mais cela ne veut pas dire qu'il n'en existe pas (de même que la probabilité de tomber sur un rationnel en tirant un nombre réel au hasard (si jamais cela veut dire quelque chose) est nulle, et pourtant, il constitue la très grosse majorité de ce que nous manipulons).
L'exemple le plus " simple " est la théorie , c'est-à-dire l'ensemble des énoncés du langage vrais dans le modèle , cette théorie est bien complète, mais à quoi sert-elle si je ne peux pas la manipuler, donc pas la décrire (à part la satisfaction de dire qu'elle existe), et donc pas en épuiser les théorèmes (même potentiellement) ?
2) Théories plus simples (ne permettant pas de formaliser l'arithmétique)
Ci-dessous nous allons nous intéresser uniquement aux théories complètes, sinon il est trop facile d'affirmer que la théorie ne dit pas tout.
D'abord il faut noter que des théories complètes, cela existe :
Ordre total dense sans extrémums
Corps réels clos
Corps algébriquement clos d'une caractéristique donnée
Etc.
Distinguons d'abord deux cas très différents :
Théorie complète ayant un modèle fini et donc un seul modèle, à isomorphisme près, bien sur (je ne préciserai plus ce segment de discours répété à partir de ce paragraphe).
Théorie complète ayant un modèle infini et donc une infinité de modèles (au moins un en chaque cardinal infini (plus grand qu'une certaine borne), c'est le théorème de Löwenheim-Skolem.
Donc deux cas extrêmes, soit un seul modèle, soit une infinité.
Est-ce qu'une théorie complète dit tout de ses modèles finis ? Elle dit tout de ce qui est dicible dans son langage, mais en tant qu'être humain on pourrait vouloir en dire plus. Prenons un exemple :
Soit le langage purement égalitaire, et la théorie qui dit simplement que le modèle contient cinq éléments ; clairement ces cinq éléments ne sont pas discernables, alors que dans le modèle {1, 2, 3, 4, 5}, nous sommes capables de les distinguer, mais le langage choisi ne le permet pas, cependant on peut noter que :
1) Cela tombe bien, puisqu'il n'y a aucune raison de les distinguer
2) Si on veut vraiment les distinguer, il suffit d'ajouter des symboles de constantes (au moins 4 ici)
A partir de ce paragraphe, je vais m'intéresser aux théories ayant des modèles infinis.
Avant de continuer, je veux rappeler l'importance de la notion de langage pour définir les isomorphismes, par exemple : possède un automorphisme non trivial, alors que n'en possède pas, j'ai déjà abordé ce sujet : http://forums.futura-sciences.com/ma...ematiques.html.
L'isomorphisme étant impossible dès que les modèles ne sont pas de même cardinalité, la question de savoir compter les modèles pour un cardinal infini donné devient plus naturelle que de compter les modèles.
Prenons un exemple simple :
Soit le langage constitué d'un ensemble dénombrable de symboles de relation unaire indexés par des entiers naturels non nuls (un symbole de relation unaire permet de définir des sous-ensembles dans le modèle, d'où certains abus de langage dans ce qui suit).
Les axiomes sont les suivants :
Les sont disjoints :
Chaque contient exactement i éléments :
On peut facilement démontrer quelques résultats sur une telle théorie :On a donc une théorie très simple (à part de ne pas être finiment axiomatisable), possédant une infinité de modèles non isomorphes de cardinal , et, un seul de cardinal ; un point qui peut paraître bizarre : en augmentant considérablement le cardinal, en fait on simplifie le modèle. Il y a d'autres exemples plus intéressants dans le même cas (Les corps algébriquement clos de caractéristique donnée sont -catégorique ( est unique), mais pas catégorique (il y a plusieurs corps algébriquement clos dont le corps premier est , et plus précisément il y en a , les différentes possibilités pour une base de transcendance).
- Elle est consistante (par compacité, toute partie finie de cette axiomatisation possède un modèle fini très simple à construire).
- Elle ne possède que des modèles infinis (un modèle fini de cardinal n ne pourrait pas être un modèle de ). Donc elle possède des modèles en toutes cardinalités infinies (théorème de Löwenheim-Skolem)
- Elle n'est pas finiment axiomatisable (pour la même raison que pour la consistance).
- Elle n'est pas -catégorique (elle possède même modèles dénombrables)
où est un sous-ensemble quelconque (éventuellement vide) de
Et on interprète les de la façon suivante :
, les axiomes sont bien vérifiés, et on peut aussi facilement vérifier que deux modèles de ce type sont isomorphes si et seulement si leurs parties négatives sont de même cardinal, il y a donc, autant de modèles non isomorphes (de ce type, mais on peut démontrer que tout modèle est de ce type) que de cardinal possible pour des sous-ensembles de , c'est-à-dire .- Elle est -catégorique (puisque la seule façon d'atteindre le cardinal est que la partie n'appartenant à aucun soit de cardinal ) donc complète et donc catégorique en toutes cardinalités infinies non dénombrables (théorème de Morley).
Cela veut bien dire que nous ne pouvons pas distinguer dans notre langage entre ces différents modèles dénombrables, non isomorphes (puisqu'ils sont élémentairement équivalents), nous ne pouvons pas dire combien d'éléments ne sont dans aucun ni même s'il en existe … Ce point pourrait-il être amélioré ?
En s'autorisant les conjonctions et disjonctions infinies c'est à dire en utilisant une logique différente, utilisant une langage infini () (par exemple en ajoutant l'axiome :
qui impose que les forment une partition de l'ensemble de base) !
Autre aspect : il n'est pas possible de distinguer entre les différents éléments de chaque , en fait un seul élément est définissable : le seul qui est dans , par contre il existe beaucoup d'ensembles définissables : tous les bien sur, sans que l'on puisse distinguer leur contenu (sauf pour ), mais aussi les unions finies des et les complémentaires des ensembles définis ci-dessus.
Ajouter un axiome : ne sert à rien (idem pour un nombre fini puisque un nombre fini d'axiomes n'est en fait qu'un seul axiome)
Ajouter une infinité d'axiomes exprimant qu'il existe un élément qui n'est dans aucun
On a ajouté des axiomes qui, en fait, sont des théorèmes de la théorie donc qui, individuellement "ne servent à rien".
On n'a pas changé la théorie (les théorèmes y sont les mêmes), mais on a précisé ses modèles (" réduits " le nombre de classes d'isomorphie)
Sur le même modèle on peut axiomatiser qu’il y a au moins n éléments (mais pas exactement n) dans aucun des , et même au moins , ce qui rend la théorie -catégorique, donc catégorique en toute cardinalité, c’est à dire qu’elle n’a qu’un seul modèle en toute cardinalité, chacun de ces modèles ne différant que par la partie qui n’est dans aucun et dont le cardinal est celui du modèle tout entier.
Que se passe-t-il si on ajoute des symboles de constantes pour chacun des éléments des (avec les axiomes adéquats) ? On se donne ainsi les moyens de définir chacun des éléments des d'un modèle, certains éléments qui ne sont dans aucun , mais on ne peut toujours pas définir complètement l'ensemble des éléments dans aucun (et pourtant je viens de le définir ).
On pourrait me faire remarquer que la théorie ci-dessus n'est pas si simple que cela, puisque son langage contient une infinité de symboles de relation. Mais ce n'est pas un point essentiel, et j'aurais pu obtenir le même résultat avec un seul symbole binaire et les axiomes de la relation d'équivalence auxquels on ajoute les axiomes pour qu'il existe une et une seul classe ayant n éléments pour tout n (n > 0), mais c'est plus compliqué à écrire, à manipuler et les modèles dénombrables sont plus " compliqués " et elle n'est pas -catégorique (laissé en exercice).
Un autre exemple intéressant est la théorie des ordres totaux denses sans extremums qui est -catégorique (donc complète) mais non -catégorique.
Un exemple très simple (mais moins exemplaire) est la théorie, dans le langage avec un seul symbole de relation unaire , qui asserte que n’est ni fini ni cofini.
Messages de conclusion :
1) Pas besoin de convoquer Gödel dès que l'on veut parler des limites des systèmes formels, et bien comprendre que la " limite " que semble imposer le théorème de Gödel n'est, en fait, pas celle des systèmes formels (qui en ont d'autres, plus simples, moins frimes et moins médiatiques), mais est la limite de notre capacité à manipuler ces systèmes formels.
2) La logique du premier ordre ne permet pas de forcer les ensembles, mêmes définissables, infinis à être d’un cardinal particulier (mais on peut forcer « au moins de cardinal avec un langage suffisamment grand).
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