Remarque liminaire : Le « nombre d’éléments » d’un ensemble n’est pas une notion première en mathématiques, mais une notion intuitive expérimentée tous les jours dans le cas fini.
La notion intuitive de « nombre d’éléments », dans le cas fini, est parfaitement illustrée par l’action de comptage des éléments d’un ensemble fini ; l’action de comptage proprement dite consistant à associer un nombre entier à chaque élément de l’ensemble à compter, en commençant par 1, puis 2, puis 3, etc. jusqu’à un certain nombre entier n, et c’est cet entier que l’on appelle le « nombre d’éléments » de l’ensemble.
On constate que cette action de comptage correspond, du point de vue du mathématicien, très exactement en la création d’une bijection entre l’ensemble à compter et un ensemble d’entiers de la forme [1, n] ; petite concession de l’intuition aux mathématiques, il est plus naturel de compter les entiers naturels (justement) à partir de 0 et non de 1, on dira donc que l’action de comptage d’un ensemble fini consiste à créer une bijection entre cet ensemble et un ensemble d’entiers de la forme [0, n[.
Définition 1 : Soit E un ensemble est dit fini si et seulement si il existe un entier n et une bijection entre E et l’ensemble .
Il existe d’autres définitions d’un ensemble fini, mais celle-ci est la plus appropriée au sujet de ce post.
Définition 2 : Soit E, un ensemble fini, on appelle « nombre d’éléments de E » le nombre entier naturel qui apparaît dans la définition N° 1.
Jusque là rien de bien original, mais cela permet de poser correctement une base de réflexions ; on peut aussi remarquer que, jusqu’ici, rien ne justifie de créer un vocabulaire particulier, tant la définition précédente correspond bien à l’intuition que l’on peut en avoir.
Il est temps d’explorer les propriétés de cette notion de « nombre d’éléments de E », et pour plus de légèreté dans l’écriture, nous noterons n(E) le « nombre d’éléments » de E (à ce stade, E est toujours fini).
1) n(E) ne dépend que de l’ensemble E et pas d’éventuelles structures définies sur E.
2) Principe d’Aristote (PA) : Le tout est plus grand que la partie.
3) Principe d’Aristote Fort (PAF) : le tout est strictement plus grand que la partie stricte.
4) Principe de Cantor (PC) : deux ensembles ont le même nombre d’éléments si et seulement si il existe une bijection entre ces deux ensembles.
5) Principe de Cantor Faible (PCF) : Si deux ensembles ont le même nombre d’éléments, alors il existe une bijection entre les deux.
6) Principe du Singleton (PS) : Le nombre d’élément(s) d’un singleton est égal à 1.
7) Principe de l’Union (PU) : le nombre d’éléments de l’union de deux ensembles disjoints est égal à la somme du nombre d’éléments de ces ensembles (ce principe couvre le cas de l’union d’un nombre fini d’ensembles finis, deux à deux disjoints).
8) Principe du Produit Cartésien (PPC) : le nombre d’éléments du produit cartésien de deux ensembles finis est égal au produit du nombre d’éléments de ces ensembles.
La liste n’est surement pas exhaustive, chacun peut en rajouter selon son humeur.
Traduction mathématiques des principes précédents, et quelques conséquences (je noterai la relation d’équipotence :
1) Le cadre naturel pour utiliser correctement cette notion est la théorie des ensembles (a priori ZF, éventuellement enrichi de certains axiomes).
2) PA :
3) PAF :
4) PC :
5) PCF :
6) PS :
7) PU :
8) PPC :
On peut noter :
1) La classe d’ensembles auxquels on peut appliquer la définition précédente est la classe des ensembles finis.
2) n(E) doit prendre ses valeurs dans un ensemble, ou une classe, où une addition et une multiplication sont définies ; n(E) prend ses valeurs dans (ou ), et peut prendre toutes les valeurs de .
3) La fonction n est parfaitement définie.
La question naturelle qui se pose est, évidemment, de savoir si on peut prolonger cette notion de « nombre d’éléments » de façon que :
1) Sur les ensembles finis, il y a identité entre le prolongement de n et n elle-même (donc l’ensemble des valeurs de ce prolongement doit contenir , et des opérations qui prolongent l’addition et la multiplication de , en particulier, 0 et 1 doivent continuer à jouer leurs rôles (neutre et/ou absorbant) dans les opérations).
2) La nouvelle définition s’applique à une large part des ensembles infinis (tous si possible).
3) La nouvelle notion doit respecter « au mieux » les huit principes précédents (tous si possible).
Une première réponse est donnée par Cantor et la notion de Cardinal.
La notion de cardinal de Cantor trouve son cadre idéal dans ZFC (donc avec axiome du choix), grâce au théorème de Zermelo.
Rappel : Soit E un ensemble, le cardinal de E noté Card(E), ou |E| (mais cette dernière notation, très pratique, est parfois ambigüe) est le plus petit ordinal tel que (c’est le théorème de Zermelo qui assure que existe).
On peut noter :
1) La classe d’ensembles auxquels on peut appliquer la définition précédente est la classe de tous les ensembles.
2) Card(E) prend ses valeurs dans la classe des cardinaux.
3) La fonction Card est parfaitement définie.
On peut aussi remarquer que la fonction Card prolonge bien la notion de « nombre d’éléments » définie sur les ensembles finis.
Quant à la vérification des principes :
1) Oui avec axiome du choix en plus
2) PA : Oui
3) PAF : Non
4) PC : Oui
5) PCF : Oui
6) PS : Oui
7) PU : Oui
8) PPC : Oui
La liste ci-dessus à l’air assez flatteuse, puisqu’un seul principe est pris en défaut, mais en y regardant de plus près, il appert que la vérification des principes 7) et 8) est relativement simplifiée par l’arithmétique des cardinaux, puisque si est un cardinal infini et un cardinal différent de 0, alors : .
Il semble logique de se poser la question : peut-on améliorer le « score » de la notion de cardinal ?
Plusieurs axes de recherches (en conservant l’idée que cette notion doit être un prolongement de la notion de « nombre d’éléments », telle que définie supra) sautent aux yeux (d’autres sont sans doute possibles) :
1) Trouver une fonction qui vérifie les 8 principes.
2) Trouver une fonction vérifiant les mêmes 7 mêmes principes mais avec une arithmétique moins triviale.
3) Trouver une fonction vérifiant d’autres principes que ceux du Cardinal de Cantor, si possible avec une arithmétique moins triviale.
4) Remplacer un ou plusieurs des 8 principes par des principes plus faibles (sachant que PA est déjà une version faible de PAF, et PCF une version faible de PC).
Évidemment c’est le premier de ces axes qui paraît le plus intéressant, malheureusement c’est impossible :
Supposons qu’il existe une fonction n qui vérifie tous les principes énoncés ci-dessus.
Soit a un ensemble quelconque, on pose :
; et pour et finalement on pose .
On peut remarquer que :
, en application du PPC.
Or , en application du PS.
On obtient donc (1 reste l’élément neutre de la multiplication)
Or est un sous ensemble propre de B, le résultat précédent est donc en contradiction avec le PAF.
L’axe 1 est donc fermé et les axes 3 et 4 sont relativement bouchés, puisque les principes PPC, PS et PAF sont incompatibles.
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