Bonjours mesdames et messieurs.

Par simple curiosité, je me suis intéressé dernièrement aux anneaux adéliques. Dans un souci de vulgarisation, les spécialistes de ce domaine expliquent souvent que ces structures "englobent" ou "réconcilient" les mondes p-adiques et réel, un(e) adèle (sur ) étant une suite de la forme dont le premier terme est un nombre réel et les suivants, des nombres p-adiques (plus exactement : des entiers p-adiques à l'exception d'un nombre fini d'entre eux).

Pour autant, cette "participation" des nombres réels (et même des p-adiques) à la notion d'adèle me semble limitée pour les raisons suivantes.

Certes, on explique bien qu'il existe un plongement canonique des rationnels dans , l'anneau adélique sur , faisant correspondre "diagonalement" à chaque rationnel x, l'adèle (x, x, x, x, ...). Comme l'addition et la multiplication de deux adèles (a, b, c, d, ...) et (a', b', c', d', ...) sont définies par la donnée de l'adèle résultant de ces opérations composante par composante ( (a+a', b+b', c+c', d+d', ...) et (axa', bxb', cxc', dxd', ...) ), la structure algébrique des rationnels est préservée par son injection dans : la somme (respectivement, le produit) des images (par cette injection) de rationnels quelconques est l'image de la somme (respectivement, du produit) des mêmes rationnels. On peut donc identifier les rationnels dans à ceux dans , de même qu'on identifie par exemple le 3 des entiers naturels au 3 des réels, le de au de , etc.

Malheureusement, on comprend bien qu'il est impossible de procéder de façon analogue pour les réels (et même pour les p-adiques ) : à chaque rationnel correspond certes un réel ou p-adique dans chaque place (archimédienne ou non) de , mais ce n'est pas le cas de la plupart des réels (ni même de la plupart des p-adiques, qui ne peuvent être plongés dans une place différente).

J'ai cru comprendre qu'une façon naturelle (canonique ?) d'injecter les p-adiques ou les réels dans était de leur faire correspondre leurs adèles locales, c'est-à-dire les adèles dont les termes valent 1 pour toutes les places sauf celle renvoyant à l'ensemble qu'on veut injecter, le terme de ladite place prenant plutôt la valeur du réel ou p-adique correspondant. Par exemple, le réel 2 aurait comme image l'adèle (2, 1, 1, 1, ...), le 3-adique 2 aurait comme image (1, 1, 2, 1, 1, ...), etc.

Du fait, sans doute, de ma piètre connaissance de cette matière, j'ai du mal à cerner l'intérêt de cette injection. Elle me semble présenter au moins deux gros inconvénients :

1) les injections (définies selon ce principe) des différents ensembles p-adiques et autres réels sont incompatibles entre elles : le réel 2 injecté de la sorte dans n'a pas la même image dans les adèles que le 3-adique 2 par l'injection correspondante (ni - à plus forte raison - que le rationnel 2 par son plongement canonique dans les adèles diagonales, il va sans dire).

2) encore plus grave : cette injection ne préserve presque rien de la structure algébrique des ensembles injectés : par exemple, l'image du réel 3 dans étant (3, 1, 1, 1, ...), l'addition de cette adèle avec elle-même donnerait, composante par composante : (6, 2, 2, 2, ...), soit une adèle qui n'est pas l'image d'un réel (celle du réel 6 étant par définition (6, 1, 1, 1, ...)). L'ensemble des images des réels dans n'est donc pas stable par l'addition. On fera certes valoir qu'il est au moins stable par la multiplication de sorte que, sauf mienne erreur, cette injection préserve la structure de groupe multiplicatif des réels, mais enfin - même si la notion de groupe n'est pas anodine aux mathématiciens - ça reste une sorte d'amputation.

Alors, sans doute pourrait-on imaginer une autre façon de plonger dans , par exemple en identifiant le réel x à l'adèle (x, 0, 0, 0, 0, ...) mais (à moins de définir de façon assez ad hoc la multiplication dans ), on ne pourrait pas diviser l'image d'un réel par l'image d'un autre, ce qui ne semble pas très naturel. Et même en acceptant cela, il resterait l'inconvénient n° 1) vu plus haut.

Quoi qu'il en soit, je n'ai pas entendu mentionner d'autre façon d'associer naturellement les réels aux adèles que via la notion d'adèle locale en une certaine place (archimédienne, s'agissant des réels).

Mes questions sembleront sûrement trop larges et imprécises aux mathématiciens rigoureux. C'est que mon amateurisme, je m'en doute, m'empêche de cerner tout à fait l'intérêt de la notion d'anneau adélique, quand même les explications des spécialistes m'aident à l'apercevoir : les adèles permettent, nous assurent-ils, de résoudre les problèmes d'un corps global comme (ou ses extensions algébriques de degré fini) en les transposant simultanément dans tous les domaines locaux (correspondant aux métriques particulières, archimédiennes ou non). Pour autant, le fait qu'on ne puisse pas (pour ce que j'en ai compris) généraliser la notion de réels au moyens des adèles de la même façon qu'on le fait, par exemple, au moyen des nombres complexes me semble retirer beaucoup à la profondeur, à l'universalité, qu'on prête à la notion d'adèles. Voici donc mes questions.

Existe-t-il une façon d'envisager les adèles de nature à relativiser ou dépasser le "problème" qu'elles me posent ? En découvrant ces structures, les vrais mathématiciens ont-ils brièvement rencontré un inconvénient proche de celui dont je parle ? L'ont-ils contourné grâce à quelque évidente solution (très simple à leurs yeux, sans doute, puisqu'ils n'en font guère état) ? Ou bien ce genre de question ne s'est-il jamais posé aux spécialistes ? (dans ce cas, je serai preneur de toute indication d'un meilleur angle sous lequel aborder ce sujet, bien entendu).

Merci d'avance aux bonnes âmes qui trouveraient un intérêt à mes questions. Bien à vous.