Chez les vertébrés, le développement embryonnaire conduit après la gastrulation, à la formation d’un embryon triploblastique. D’une manière extrêmement schématique, cet embryon peut être assimilé à un cylindre creux. Sa paroi externe serait formée par l’ectoderme qui formera le revêtement cutané et le système nerveux central. Sa paroi interne serait formée par l’endoderme, interface entre le milieu environnant et l’intérieur de l’embryon, principalement le tube digestif et l’appareil respiratoire. Enfin, entre les deux, on trouverait le mésoderme qui formerait l’intérieur de l’embryon, ce qui représente en gros les vaisseaux, les muscles et les os.
Ainsi, en fin de gastrulation on a quelque chose d’organisé mais de parfaitement identique à tous niveaux. On pourrait couper notre embryon en tranche, toutes seraient identiques. Il est pourtant évident que nous ne sommes pas ce tube creux. Tout le monde connait le thorax qui surplombe l’abdomen. Il y a donc après la gastrulation une étape dans le développement embryonnaire qui conduit à délimiter des régions, des segments, afin de leur conférer une identité propre et y mettre en place les structures spécifiques qui doivent s’y trouver. Il doit donc exister un mécanisme de segmentation virtuelle qui renseignera les cellules sur leur position dans l’organisme et dictera la bonne mise en place des éléments constituant le corps.
Cette segmentation, encore appelée métamérisation (on peut définir clairement ce qu’est un métamère mais cela s’avèrerait un peu fastidieux ici, restons général) est réalisée par l’expression des gènes Hox. Ces gènes qui codent pour des facteurs de transcription sont présent dans tout le règne animal (on en décrit des homologues chez les hydres ou encore les méduses). Les protéines pour lesquelles ils codent appartiennent à une famille dont tous les membres ont en commun un domaine conservé, l’homéodomaine. Cet homéodomaine est formé d’environs 60 acides aminés formant 4 hélices (3 hélices alpha + une autre hélice). Ce sont les hélices 2 et 3 qui se fixent dans le grand sillon de l’ADN au niveau d’une séquence consensus spécifique à chacune des différentes sous-familles d’homéogènes. Toutefois, général, la liaison proprement dite à l’ADN est réalisée par le 50ème acide aminé, souvent une glutamine. La liaison de l’ADN peut aussi être contrôlée par des phénomènes épigénétiques tel que la condensation de l’ADN ou la présence de co-facteurs. (McInnes et Michaud Clin Genet 2008 Vol 73 : 212-226).
Chez les vertébrés, il existe 39 gènes Hox répartis dans 4 complexes de gènes appelés HOXA-D. Les gènes à proprement parlé sont nommé par exemple Hoxa1 puis Hoxa2 etc. selon leur position dans le complexe à partir de l’extrémité 3’. Cette numérotation repose sur une propriété unique des complexes Hox. La limite antérieure de l’expression des gènes le long de l’axe antéropostérieur de l’embryon suit la position des gènes dans le complexe considéré. Ainsi Hoxa1 aura une limite d’expression antérieure plus antérieure que celle de Hoxa2 qui lui-même aura une limite plus antérieure que Hoxa3. C’est ce que l’on appelle la colinéarité spatiale. Il existe encore une autre colinéarité qui suit elle aussi la disposition des gènes dans leur complexe. Les gènes les plus en 3’ s’expriment en premier au cours du développement embryonnaire puis les autres vont s’exprimer progressivement selon une séquence 3’->5’. C’est ce que l’on appelle la colinéarité temporelle. (Graham et al, Cell 1989 Vol 57 : 367-378). Nous avons donc 4 complexes qui s’expriment dans l’organisme selon une séquence antéro-postérieure et il convient à présent de s’interroger sur comment cette structure parvient à mettre en place une segmentation du corps.
L’expression des gènes Hox permet d’imaginer deux modalités de codage de la position antéro-postérieure.
• On a vu que les domaines d’expression avait des limites de plus en plus postérieures selon que les gènes sont situés en 5’ dans le complexe. Donc si l’on considère un complexe donné on s’aperçoit qu’on a un échelonnement de l’expression des gènes le long de l’axe antéro-postérieur du corps. A partir de cela certaines observations ont été faites. Une des plus intéressantes est la suivante. L’oreille moyenne est formée par trois os, le marteau, l’enclume et l’étrier. A ce niveau seul deux gènes Hox s’expriment. Hoxa1 puis Hoxa2. Hoxa1 va déterminer l’identité du segment où va se former l’enclume et le l’étrier alors que Hoxa2 va donner son identité au segment où se développe le marteau. Si l’on créer une souris mutante nulle pour Hoxa2 le segment qu’il contrôle change d’identité et devient une duplication du segment Hoxa1 (Rijli et al cell 1993 Vol75(7) : 1333-1349)
L’idée qu’il resort de ces études (pas seulement celle présentée) est qu’il existe une dominance des gènes les plus antérieurs dans le complexe sur les gènes postérieurs et que c’est toujours. Ainsi dans un segment donné, c’est toujours le gène à la limite la plus postérieure qui domine les autres et impose l’identité du segment.
• Une autre idée est que l’expression de tous les gènes Hox prise dans son ensemble forme un code interprété par les cellules pour déterminer sa position le long de l’axe antéro-postérieur.
Il y a donc modèles possibles. Le premier modèle semble être relativement plaisant et simple mais cependant il a pour limite de ne tester que les régions où le code si il existait serait le moins robuste et le plus binaire. Or il se trouve que chez les vertébrés le mécanisme qui permet la prise d’identité des segments est très robuste. A l’exception du cas que j’ai cité et de quelques autres, les mutations d’un seul gène Hox ne conduisent au mieux qu’à des modifications mineures de l’identité d’un segment. L’idée du code Hox n’est donc pas éliminée.
Par la suite nous ferons le point sur une question qu’il reste à éclaircir : qu’est ce qui détermine au niveau moléculaire l’existence de la colinéarité spatiale et temporelle entre la position des gènes Hox dans leurs complexes et leur expression selon l’axe antéro-postérieur. Disons-le tout de suite, la réponse n’est pas tranchée et nous nous bornerons à n’envisager que quelques modèles d’explication.
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