Hello,
Contexte
Les amplificateurs de puissance les plus répandus sont basés sur la classe B: c'est un des meilleurs compromis entre rendement, complexité et linéarité.
Avec ces amplificateurs, LE problème pratique le plus délicat à résoudre est la polarisation de l'étage de puissance: comment effectuer proprement la transition entre les deux éléments du push-pull.
On pourrait croire que cette difficulté est apparue en même temps que les transistors, particulièrement les complémentaires. En fait, ce n'est pas le cas, même avec les tubes, le problème existait déjà, que ce soit dans la version classique du PP avec transfo de sortie, ou avec les tentatives préhistoriques de faire de la quasi-symétrie, de type circlotron.
Mais à l'époque, il y avait des soucis bien plus importants à résoudre, au niveau de la qualité générale, et le reste apparaissait comme relativement mineur.
Avec les transistors, et la symétrie complémentaire, les choses ont changé: les problèmes de linéarité, contre-réaction, et bande passante ont pu être résolu de façon assez simple, et le problème de la polarisation est devenu l'ennemi N°1, surtout avec la sensibilité des semiconducteurs à la température.
Le problème et ses solutions classiques
Il faut arriver à faire fonctionner les deux éléments actifs de façon parfaitement complémentaire, sans "trous" ni artefacts au moment de la transition. En plus, il faut que ce mécanisme de transition soit insensible à la T°: par définition, en classe B, la puissance dissippée, et donc la T° varie dans des proportions très importantes.
Avec des composants réels, ces exigences se heurtent à des impossibilités:
Les transistors, qu'ils soient bipolaires ou MOS, n'ont pas de seuil de conduction défini: leur fonction de transfert est exponentielle, et toute tentative de définir un seuil est arbitraire.
En plus, la variation des paramètres avec la température rend cette approche impossible: il faudra une compensation, qui sera forcément imparfaite.
Puisque la "vraie" classe B n'est pas possible, les designers se sont tournés vers une alternative: la classe AB.
En classe AB, on va non seulement exploiter le phénomène de conduction progressive, mais le renforcer, p.ex. en insérant des résistances d'émetteur.
De cette manière, il n'y a plus de transition brutale et précise à gérer, mais un transfert progressif d'un élément vers l'autre, et s'il y a un petit décalage d'un côté ou de l'autre, l'effet sera minime.
En plus, les résistances d'émetteur vont introduire une contre-réaction qui va stabiliser thermiquement l'ensemble, et diminuer le risque d'emballement.
Problème réglé donc?
Non, pas réellement:
Les défauts des solutions classiques
Contrairement aux apparences, une transition "douce" ne permet pas une meilleure linéarité que la classe B idéale; en fait, c'est même le contraire: avec la fonction de transfert exponentielle des composants réels, il est impossible de trouver une loi de transition qui soit parfaitement linéaire, et il y aura toujours des artefacts au niveau de la transition: distorsion de croisement, variation du gain, variation de l'impédance de sortie.
Ces défauts sont minimisés par le choix d'un courant de repos optimal, et réduits ensuite par la contre-réaction générale de l'ampli.
On essaye d'autre part de stabiliser le courant de repos avec une contre-réaction thermique entre les transistors et les éléments de compensation. Là non plus, il n'est pas possible d'atteindre la perfection: il y a inévitablement un décalage en amplitude et en temps entre la T° des transistors et de la compensation, ce qui cause des variations de Iq.
La classe B idéale
Pour faire de la vraie classe B avec des composants réels, il faudrait une transition brutale, qui s'effectue non à 0, mais à un certain courant, arbitrairement élevé, pour éviter les problèmes dûs à la mise en conduction progressive. Il faut donc que les deux transistors fonctionnent de façon séparée, avec le signal d'entrée totalement commuté sur l'un ou sur l'autre en fonction de la polarité du signal.
Des tentatives ont été faites dans ce sens: des usines à gaz avec des comparateurs, et des transistors utilisés en interrupteurs. Inutile de dire que les résultats n'ont pas été à la hauteur des espérances....
Une voie sans issue donc?
Pas nécéssairement. Après Tropicalisation, le problème a trouvé un certain nombre de solutions. En voici une, assez gratinée, mais voyons d'abord en quoi consiste la Tropicalisation.
La Tropicalisation
Les électroniciens sont probablement familiers avec la tropicalisation des composants et des équipements, mais moins avec la Tropicalisation des concepts et problèmes. Voyons en quoi elle consiste:
Il s'agit de s'imprégner simultanément du concept à Tropicaliser et de divers adjuvants: p.ex. Piña Colada, Mojito, Daïquiri, Margarita, Cubanita, etc
La liste n'est pas limitative, et peut être adaptée au problème.
Lorsque les quantités et variétés sont suffisantes, il suffit de laisser l'imprégnation faire son oeuvre, et comme par miracle, la solution apparait (accompagnée parfois il est vrai, d'un léger mal de crâne).
Si elle ne convient pas, ou que l'on en souhaite d'autres, il suffit de répéter le processus: il est inépuisable.
---!-Avertissement-!---
Toi qui a des oreilles en or, ne lis pas plus loin, car tu aurais tes rétines brûlées à jamais par ce que tu verrais, tes convictions seraient irrémédiablement ébranlées, et tu ne pourrais plus connaitre la paix de l'âme. Tu serais un damné de l'audiophilie, et le doute te rongerait jusqu'à la fin de tes jours. Seuls les détenteurs d'oreilles en zinc peuvent continuer sans risque le paragraphe suivant.
A bon entendeur!
La classe B Tropicalisée
Voyons comment l'appliquer à des amplis. L'image crossover 1 représente un étage en classe B sans aucune polarisation ou compensation. Les résultats sont visiblement épouvantables: une distorsion de croisement monstrueuse, et une THD totale de plus de 24%! Et dire que les premiers AOPs, genre µA709 étaient construits ainsi!
On peut améliorer les choses: si on prend la contre-réaction de l'AOP à la sortie, on obtient crossover 2. Une belle amélioration: il faut maintenant zoomer pour bien voir les défauts, et la THD est tombée à 0.109%.
Mission accomplie? Non, car cette distorsion qui a l'air assez minuscule est en fait très gênante, même pour des oreilles en zinc comme les miennes: la distorsion de croisement est d'un type très déplaisant, et le moindre soupçon est audible. En plus, la fréquence n'est ici que de 1KHz; à 10KHz, les choses seraient bien pires.
Découvrons maintenant la vraie classe B, sur pureB 1: là, miracle, plus la moindre distorsion de croisement. La THD est de 1.168%, mais ce sont des distorsions "aimables", principalement d'ordre 2 et 3, dues aux non-linéarités des transistors.
Si nous prenons la CR à la sortie, on obtient pureB 2, et la distorsion est tombée à 5 millièmes de %. Et même en zoomant, plus l'ombre de phénomènes de croisement.
Assez bluffant, non?
Et tout cela grâce à Q3, qui se charge de la comparaison, commutation/aiguillage et polarisation. Pas de résistances d'émetteur, pas de compensation thermique, rien, et une commutation "au rasoir" entre les deux transistors, tellement fine et précise qu'elle est totalement invisible...
Dans les prochains posts, j'expliquerai en détail le "miracle", et je proposerai des versions d'ampli plus élaborées.
A bientôt
-----