J'avais promis de parler de cela un jour ou l'autre, je viens de trouver le temps de le faire ^_^
Le papier original est là (en libre accès): http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21807577
Les dioxines sont des composés classifiés comme toxiques, mutagènes et cancérigènes, parfois teratogènes (perturbent le développement embryonnaire). Leur production est pourtant inhérente au mode de vie occidental moderne dans la mesure où ces molécules se forment lors de tout processus de combustion incomplète (usines, incinérateurs, métallurgie, échappements des véhicules à essence, tabagisme…), on les retrouve aussi durant la production de papier (utilisation de chlore) et dans les pesticides (le tristement célèbre agent orange). Rependues quotidiennement dans l’atmosphère, elles ont pourtant surtout suscité l’inquiétude lorsqu’elles ont été répandues en masse au décours d’accidents industriels (Séveso, Italie, 1976). De fait, leurs effets sur l’animal comme sur l’homme ont étés largement étudiés, et il est apparu dans plusieurs études qu’ils pourraient être en relation avec une perturbation du fonctionnement de la vitamine A dans l’organisme. Cependant la relation entre dioxine et vitamine A restait à éclaircir. Ainsi, le but de notre étude était d’apporter un nouvel éclairage sur la question en prenant pour modèle d’étude l’induction de fentes palatines par la dioxine 2,3,7,8 tetrachloro dibenzo para dioxine (TCDD ; composé considéré comme le plus toxique de la famille des dioxines).
Il n’est peut être pas nécessaire d’entrer dans le détail de toute la biologie qui sous tend ce papier, cependant, certaines choses doivent être dites afin de pouvoir comprendre la suite.
(1) L’administration de TCDD à une femelle souris gestante entraine la formation (ou plutôt la persistance) d’une communication entre la cavité orale et la cavité nasale. Cette persistance est le témoin d’un défaut de formation du plafond osseux de la cavité orale, le palais (que chacun peu sentir avec sa langue). Ce défaut s’appelle une fente palatine. De manière intéressante, il s’agit d’un défaut fréquemment observé dans le monde occidental (si tant est que ceci signifie quelque chose). Par exemple, en Europe cette malformation touche 1/2500 personnes.
(2) La vitamine A est métabolisée dans l’organisme par des enzymes au doux nom de rétinaldehyde deshydrogénases (RALDH) en acide rétinoïque (AR) ; c’est ce dernier qui est la principale forme biologiquement active de la vitamine A.
(3) Les dioxines et l’AR fonctionnent en se liant à des molécules (des récepteurs) qui se fixent sur l’ADN et induisent le fonctionnement de gènes. Pour les dioxines le récepteur s’appelle AHR (récepteur des hydrocarbures aromatiques) ; pour l’AR les récepteurs s’appellent les RAR (récepteur de l’AR) dont il existe trois version A, B, G (alpha, beta, gamma).
Notre question principale de travail était : est ce que la TCDD a besoin de l’AR pour induire une fente palatine. Pour y répondre, nous avons inactivé les gènes codant pour (1) RALDH3, la seule enzyme de synthèse de l'AR présente dans la région du palais au moment de sa formation, la conséquence est une absence de production d’AR ; (2) RARA et RARG qui sont les récepteurs qui jouent un rôle dans la formation du crâne, la conséquence est que l’AR ne peut plus agir. Si la TCDD fonctionne en interaction avec l’AR, alors en cassant le fonctionnement de l’AR, nous devrions casser le fonctionnement de la TCDD. C’est exactement ce qui c’est produit pour les souris mutantes pour RALDH3 et RARG. Ainsi, nous avons montré que la TCDD a besoin d’AR pour induire une fente palatine et que l’AR agit par le biais de RARG dans le processus.
A ce stade, la question était : est ce que la TCDD agit sur la voie de l’AR pour induire une fente palatine ?
Nous avons utilisé, entre autres, des souris porteuses d’un gène qui, quand l’AR est actif, nous permet de colorer les cellules concernées en bleu. Ceci a un double intérêt, il permet de savoir dans quelles cellules l’AR est actif et de quantifier son activité de manière indirecte (cellules plus ou moins bleues). Cette expérience, et d’autres, ont permis de montrer que l’activité de l’AR n’est pas modifiée par la TCDD.
Ainsi si la TCDD n’agit pas sur l’AR, alors une autre hypothèse était que c’est l’AR qui agit sur la TCDD. Ceci nous amené à quantifier l’activité du gène codant pour AHR chez nos mutants RALDH3, et il est apparu que cette activité y est largement réduite. Afin de mieux étudier le lien entre AHR et l’AR, nous avons donné de l’AR à des cellules cultivées en présence de cycloheximide, un inhibiteur de la synthèse protéique. C’est-à-dire que si l’AR a un effet sur l’activité du gène Ahr, alors cela signifie qu’il agit directement sur ce gène, sans intermédiaire. L’expérience a montré que même en présence de cycloheximide, l’AR active toujours le gène Ahr. Pour aller encore plus loin, nous avons utilisé des cellules dans lesquelles tous les RAR ont étés inactivés, dans ce modèle, l’AR n’active plus le gène Ahr. Ainsi nous avons montré que l’AR active le gène Ahr par le biais de RARs qui se fixent directement sur le gène.
En conclusion, nous avons montré que l’AR contrôle, grâce à RARG, la toxicité des dioxines sur le palais des souris en contrôlant l’activité du gène Ahr, c'est-à-dire la quantité de récepteurs disponibles. Cette observation renforce une observation similaire qui avait été faite chez le poisson. Ainsi, on peut penser que ce que nous montrons est un mécanisme général, conservé dans l’évolution et qui pourrait être à l’œuvre dans plusieurs des autres effets toxiques des dioxines.
Voilà pour la petit histoire un peu simplifiée.
piwi
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