femtochimie
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femtochimie



  1. #1
    invite2387337b

    Bon, ce sujet s'intitule "Femtochimie" , mais je pense qu'il a plutôt sa place en Physique (dites moi si je me trompe).

    Voilà .
    Je recherche actuellement des informations sur la femtochimie
    (utilisation d'impulsions laser ultra-brèves pour observer des
    réactions chimiques). J'ai trouvé un certain nombre de choses
    sur les laser eux-même et les propriétés des matériaux qui sont
    utilisés pour cette classe de laser.

    Par contre peu de chose sur l'observation qui permet de déduire
    la position des molécules étudiées, si ce n'est une vague
    analogie (qui me paraît simpliste) avec l'effet stromboscopique.

    Donc en gros ce que je cherche c'est :

    - Comment sont organisé les capteurs ?
    - Sur quelles longueurs d'onde ? (puisque d'après ce que j'ai lu,
    la brieveté des impulsions fait intervenir le principe
    d'incertitude, donc un étalement du spectre émis par le laser)
    - Y'a t-il des phénomènes de diffraction importants? (ou d'autres
    phénomènes optiques notables)
    - Comment ces informations sont prises en compte pour déduire
    les informations utiles ?

    -----

  2. #2
    Cécile

    J'ai trouvé un article sur ce sujet dans La Recherche de juin 1996. Je te le copie :
    Des réactions chimiques décortiquées à coups de flashes ultrabrefs
    La chimie au millionième de milliardième de seconde

    Que se passe-t-il durant le laps de temps extrêmement court que dure une réaction chimique ? Les chercheurs commencent à le savoir grâce à des lasers capables d'émettre des éclairs d'une fantastique brièveté. Inimaginable il y a quelques années, cette reconstitution du film des événements qui se déroulent à l'échelle atomique préfigure la chimie de demain.
    Au-delà du tube à essai ou de la cornue, la chimie plonge de plus en plus ses racines dans le monde microscopique. A ce niveau, la réaction chimique se joue entre molécules, ions, atomes et électrons. En interagissant, ils donnent naissance à de nouvelles espèces ou, brisant leurs liens, s'éloignent les uns des autres. Que se passe-t-il entre le moment où des réactifs sont mis en présence et celui où apparaissent les produits ? Quelles sont les étapes intermédiaires de la formation d'une liaison chimique ? Pourquoi certaines espèces se forment-elles et pas d'au-tres ? C'est de l'exploration à l'échelle atomique ou moléculaire que l'on attend la réponse à ces questions. En témoigne toute une série de prix Nobel de chimie attribués à des scientifiques qui se sont consacrés à cette voie, comme le Français Jean-Marie Lehn (en 1987) ou les Américains Rudolph Marcus (en 1992(1)) et George Olah (en 1994), pour ne citer que les plus récents.

    Pour élucider les mécanismes qui régissent la création ou la transformation des molécules, quel chimiste n'a pas rêvé de filmer les événements ? Mais l'action ne dure que des instants incroyable- ment brefs, inférieurs à la picoseconde (1 ps = 10-12 s, millième de milliardième de seconde) et se passe sur des distances extrêmement courtes, des fractions de nanomètre (l nm = 10-9 m, millionième de millimètre). Dans une molécule, deux atomes distants de quelques dixièmes de nanomètre vibrent à un rythme qui se mesure en fractions de picoseconde ou moins. Enfin, sous l'effet de l'agitation thermique, les molécules d'un liquide sont animées de mouvements désordonnés et se heurtent les unes aux autres plusieurs fois par picoseconde. La compréhension des phénomènes chimiques, même le plus simples, est ainsi un défi aux confins de deux mondes, l'infiniment petit et l'infiniment bref.

    Enregistrer des événements si fugitifs demande un éclair de lumière d'une grande brièveté. Comme en photographie, il s'agit d'éviter le flou du « bougé ». Depuis les années 1980, certains lasers pulsés délivrent des impulsions lumineuses ultrabrèves : les « lasers femtosecondes » (1 fs = 10-15 seconde). Ces lasers ne permettent pas de réaliser de véritables clichés photographiques. Mais ils aident le chercheur à suivre le déplacement infinitésimal des atomes, à traquer, en temps réel, le changement de conformation des molécules dans un gaz ou un liquide, voire à identifier des états chimiques intermédiaires. Depuis une dizaine d'années, l'utilisation de ces lasers femtosecondes a bouleversé les connaissances sur le comportement des atomes ou des molécules à l'échelle microscopique (fig. 1).

    Avec ces nouveaux instruments, les chercheurs se sont trouvés dans la situation d'entomologistes qui, habitués à observer les insectes avec une loupe binoculaire, disposeraient tout d'un coup de microscopes d'un grossissement fabuleux. Dans le foisonnement des informations recueillies, il a fallu apprendre à identifier les phénomènes très fugaces et à les distinguer les uns des autres. Les événements sont donc disséqués en réactions élémentaires qui, mises bout à bout, permettront de reconstruire le film complet d'une réaction chimique.

    Mais « éclairer » au bon moment les molécules en train de réagir n'est pas chose facile. Les interactions sont si brèves que la quête serait sans espoir si l'on n'aidait pas un peu la nature. Aussi, au lieu de mettre les réactifs en présence comme on le ferait en chimie classique, les chercheurs s'arrangent pour déclencher à un instant bien précis la réaction qu'ils étudient. Ils s'aident en général d'une première impulsion laser (une « étincelle ») précédant celle qui sert à l'observation. Soulignons que la mise en oeuvre et l'interprétation de ces observations ne serait pas possible sans l'apport de simulations numériques des phénomènes. Des simulations d'une telle complexité qu'elles sont le plus souvent réalisées sur des supercalculateurs.

    Plutôt que sur la photographie, l'étude des réactions aux temps ultracourts repose sur la spectroscopie. Par cette méthode, on analyse la lumière absorbée ou réémise par les atomes (ou les molécules) après le passage d'une impulsion laser. La couleur et, plus précisément, les caractéristiques spectrales de cette lumière, sont porteuses d'informations sur les événements et les transformations qui se sont déroulés.

    La première impulsion femtoseconde déclenche la réaction dans un milieu où rien ne se passait. Elle donne le top de départ. La seconde impulsion, retardée par rapport à la première, a pour mission de tester les acteurs de la réaction chimique en cours d'évolution. Après son passage, les chercheurs recueillent la lumière qui sort de la cellule contenant le milieu en réaction. De quoi est-elle constituée ? D'une part, de l'impulsion laser elle-même, modifiée par l'absorption d'une partie de ses photons par les atomes et les molécules en présence ; d'autre part, de la lumière réémise et diffusée dans diverses directions par ces mêmes atomes et molécules.

    Ce faisant, on se rend compte qu'on enregistre un seul « instantané » au cours de la réaction. Comment accéder à son déroulement ? En répétant cette séquence autant que nécessaire... La réaction complète est reproduite à l'identique et, à chaque fois, le décalage entre les deux impulsions laser est modifié. De cette manière, il est possible de reconstituer le film des événements qui interviennent entre 50 femtosecondes et 100 picosecondes après le top initial.

    Comment agissent les impulsions lumineuses ? Les photons de la première impulsion apportent de l'énergie à la molécule ou à l'atome visé et les mettent dans un état inhabituel, dit excité. Dans cet état, les atomes et molécules sont éventuellement plus aptes à réagir avec leurs voisins ou encore à changer de conformation. Dans une molécule, les liaisons de covalence unissent en effet les atomes entre eux par la mise en commun d'électrons. La répartition des nuages électroniques autour de chaque atome confère aux espèces chimiques des propriétés réactives particulières. Ce sont les nuages électroniques que les photons de l'impulsion laser perturbent, modifiant les propriétés chimiques des molécules qui les absorbent.

    Le transfert d'énergie des photons à la molécule est si rapide que les atomes ne subissent pratiquement aucun déplacement pendant le passage de l'impulsion excitatrice. Des événements chimiques prennent alors naissance : dissociation de molécules, éjection d'électrons ou d'ions, changement d'architecture moléculaire. L'effet de la seconde impulsion est tout aussi instantané. Le rayonnement sortant de la zone active emporte l'empreinte de la réaction à l'instant précis où cette impulsion est passée. Que les molécules tournent comme des toupies ou que leurs atomes vibrent comme s'ils étaient montés sur des ressorts, le chercheur est capable de le voir dans la lumière qu'il recueille.

    L'étude de la matière à l'échelle des femtosecondes a réellement commencé au début des années 1980 lorsque sont apparues, aux laboratoires Bell (Etats-Unis) puis au Laboratoire d'optique appliquée de Palaiseau (commun à l'Ecole nationale supérieure de techniques avancées et à l'Ecole polytechnique), les impulsions optiques femtosecondes délivrées par des lasers à colorants (voir l'encadré). Au cours de la dernière décennie, la course aux impulsions de plus en plus brèves a été principalement menée par le groupe de Charles Shank au laboratoire américain Lawrence Berkeley(2). On dispose désormais d'impulsions d'une dizaine de femtosecondes dans une large gamme de couleurs allant de l'ultraviolet à l'infrarouge lointain.

    Pionnier de cette technique, Ahmed Zewail (California Institute of Technology) a étudié dès 1985 les premières étapes de la fragmentation, par la lumière, de molécules polyatomiques comme le cyanure d'iode (ICN). L'énergie apportée par une impulsion femtoseconde porte la molécule dans un état électronique très excité, où elle atteint facilement le seuil de cassure de la liaison entre l'atome d'iode I et le groupement cyanure CN(3). La rupture, analysée en temps réel par un second faisceau laser ultrabref, est consommée en 205 fs ; c'est le temps qu'il faut aux fragments pour s'éloigner l'un de l'autre d'un dixième de nanomètre (fig. 2).

    Le mouvement des atomes amorcé par une impulsion femtoseconde n'aboutit pas obligatoirement à la dissociation d'une molécule. On assiste aussi à des changements de structure, comme l'isomérisation cis-trans dans laquelle un groupe d'atomes passe d'un côté à l'autre de la molécule (fig. 3). C'est le cas du stilbène, étudié par Graham Fleming à Chicago, Robin Hoschstrasser à l'université de Pennsylvanie et, plus récemment, par le groupe de Jürgen Troe à Göttingen(4). En absorbant un photon, la molécule dans la conformation trans passe dans un état excité intermédiaire, où l'un des deux cycles benzéniques est tourné de 90°. Cet état, qui nécessite le franchissement d'une barrière d'énergie, est atteint en 70 ps. Un état transitoire tout à fait comparable peut être obtenu en partant de la conformation cis ; dans ce cas, la barrière d'énergie est absente et la manoeuvre ne prend que 1 ps.

    Cette expérience se distingue des premières études de Zewail, réalisées dans des milieux très dilués, gaz ou jets moléculaires, parce qu'elle se produit en solution dans un liquide : le cyclohexane. Les grandes tendances de la chimie femtoseconde s'orientent en effet vers les réactions en phase liquide. De loin les plus courantes en chimie, elles sont aussi d'une complexité bien plus grande. Outre la mise en évidence du mécanisme, la méthode a permis aux chercheurs d'aborder des effets plus subtils. Ils ont montré que la dynamique d'isomérisation cis-trans est influencée par des phénomènes de friction entre la molécule de distilbène et les molécules de cyclohexane. Preuve que la structure et le mouvement d'une molécule peuvent être modifiés par son interaction avec les molécules environnantes. Une idée somme toute naturelle qui se vérifie au niveau microscopique.

    L'étude des effets d'environnement est essentielle pour comprendre comment des ions ou molécules réagissent et participent à la dynamique de processus chimiques simples. Si l'on part d'un milieu gazeux, les atomes et molécules peuvent rester isolés ou former des sortes de grappes ou agrégats. Objets fascinants pour le chimiste, les agrégats représentent un véritable paradigme de la condensation de la matière. Avec eux, on sait passer graduellement de l'état gazeux dilué avec des atomes isolés ou des groupes de deux ou trois atomes (qui sont en fait des molécules), à des grappes de plus en plus grosses de dizaines, centaines et milliers d'atomes qui ont toutes les caractéristiques de l'état condensé, liqui-de ou solide.

    L'exploration de ces effets est particulièrement adaptée pour la photochimie des phénomènes à l'échelle de la picoseconde (fig. 4). Jhobe Steadman et Jack Syage du Laboratoire d'astrophysique à Los Angeles ont ainsi disséqué l'une des réactions les plus élémentaires de la chimie : la dissociation d'un acide mis en solution en un atome d'hydrogène ionisé (proton) et un anion. Après avoir placé du phénol (alcool aromatique qui est aussi un acide très faible) au centre d'un agrégat formé de molécules d'eau, d'ammoniac ou de méthanol, ils ont cherché combien de temps le phénol mettrait à céder son proton(5). Un faisceau de photons ultraviolets excite tout d'abord le phénol, dont la propension à céder un proton (qui n'est autre que l'acidité) serait trop faible à l'état fondamental. Le transfert de proton se révèle incroyablement sensible à la nature des molécules environnantes. Il ne se produit pas lorsque la grappe contient des molécules de méthanol (CH3OH). En revanche, il se fait en 55 ps pour un environnement constitué par cinq molécules d'ammoniac (NH3). Dès que le phénol n'est plus entouré que de quatre molécules d'ammoniac, la vitesse de transfert de proton est ralentie d'un facteur 100 !

    Ces recherches ouvrent de nouvelles perspectives dans le domaine de la catalyse, de l'enzymologie et, d'une manière plus générale, des phénomènes physico-chimiques ou biologiques intervenant dans un espace confiné (vésicules ou systèmes micellaires). Mais on est encore loin de pouvoir extrapoler ces résultats, relatifs à des réactions simples dans un environnement parfaitement contrôlé, à des réactions chimiques complexes en phase liquide. Les chercheurs ont dû se concentrer tout d'abord sur la première étape d'une réaction chimique en solution. Comment les molécules de solvant s'organisent-elles autour d'une espèce nouvellement formée ? Comment modifient-elles sa réactivité ?

    Pour étudier ce phénomène, appelé solvatation, les chercheurs utilisent un cobaye, une molécule sonde dont, conformément à la méthode générale, l'action sur les molécules avoisinantes est modifiée par une première impulsion femtoseconde. Sous l'effet d'une seconde impulsion, la molécule sonde envoie vers l'observateur des signaux lui indiquant ce qui se passe dans le liquide. Quel est le secret de ces molécules sondes, en général des molécules de colorants ? La répartition de leurs charges électriques, c'est- à-dire des électrons autour de leurs atomes constitutifs, varie de manière importante si on les excite avec un laser. Comme d'habitude avec les lasers femtosecondes, la transition est si rapide que les molécules environnantes n'ont pas le temps de bouger. Ensuite, les molécules de solvant se réorganisent par des mouvements de rotation et de translation pour s'adapter à la nouvelle conformation de la molécule sonde(6). Au cours de cette solvatation déclenchée, les chercheurs suivent pas à pas la lumière réémise par cette même molécule.

    Toutes ces expériences vont de pair avec des simulations numériques du comportement des molécules (7,8 ). En comparant le résultat des simulations à celui des expériences, on remonte aux mouvements moléculaires qui sont à l'origine des rayonnements observés au spectromètre. De cette concertation entre calculs et mesures émerge une vision détaillée des phénomènes, comme l'ont montré plusieurs groupes de chimistes américains et français (équipe de Claude Rullière à l'université de Bordeaux(9)). Sur des temps qui vont de 0,1 à 10 picosecondes, de véritables cages de solvant se forment autour des molécules sondes. On peut même affirmer que les molécules de solvant les plus éloignées de la molécule sonde se réorganisent à une vitesse différente de celles qui sont en contact direct avec la sonde.

    Pourquoi concentrer tous ces efforts sur les processus de solvatation à l'échelon moléculaire ? Il s'agit de comprendre comment la solvatation affecte les transferts d'énergie et oriente une réaction chimique. La probabilité pour qu'une réaction se produise dépend des échanges d'énergie mis en jeu par les déplacements des atomes ou des molécules. Elle dépend aussi de l'énergie que l'on a éventuellement fournie au départ - que ce soit avec une simple allumette pour déclencher la combustion d'une bougie ou avec un éclair de laser femtoseconde dans les recherches le plus sophistiquées. Certaines réactions ne se font pas car elles exigent un apport d'énergie trop grand, d'autres sont favorisées par le fait qu'une fois amorcées elles dégagent de l'énergie.

    On peut voir la réaction chimique comme un voyage dans un paysage ima-ginaire : le chemin parcouru serait la distance entre molécules au milieu d'un relief représentant leur énergie potentielle d'interaction(1). Prenons l'exemple de deux atomes de même espèce qui, en général, ont tendance à s'attirer mutuellement pour former une molécule. Le relief, plat à longue distance où les atomes sont trop loin pour interagir, présente au centre du paysage un cratère (énergie potentielle attractive, donc négative). Le système tend à s'y précipiter pour se transformer en molécule. Le plus souvent, les choses ne sont pas si simples : le relief comporte des collines ou des cols, qui séparent des vallées correspondant aux états d'énergie plus faibles, donc plus stables (fig. 5). Certaines barrières sont très basses (une fraction de kilocalorie par mole) et sont aisément franchies à l'aide de l'énergie d'agitation thermique que possèdent les molécules à la température ambiante. Il s'agit par exemple de la formation des liaisons hydrogène, ces ponts ténus qui lient entre elles les molécules d'eau et assurent la cohésion de ce liquide.

    Le franchissement d'un col (caractérisé par une barrière de potentiel valant quelques kilocalories par mole) est plus difficile. Il s'accompagne en général de la formation d'une espèce intermédiaire, molécule ou radical à la durée de vie très courte, inférieure à la picoseconde. Pour des réactions entre ions ou molécules, le point culminant de la barrière correspond à un état particulier et fugace au cours duquel deux réactants entrent en collision ou en contact avant de se transformer en produit(10). Pour des réactions internes à une molécule, l'état transitoire correspond souvent à une situation où des électrons sont en train de passer d'un site à un autre(11).

    Un transfert d'électron à l'intérieur d'une molécule en solution, quoi de plus simple en apparence ? Le phénomène a été étudié sur des molécules comme le diméthyl-amino-benzonitrile en solution (fig. 6). Pour amorcer le transfert d'électron, on envoie une impulsion lumineuse sur la molécule afin que celle-ci se retrou-ve dans un état transitoire appelé TICT ( Twisted Intramolecular Charge Transfer ) . Dans cet état, une partie de la molécule se tord, ce qui facilite le transfert d'électron(12). Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Dans l'état transitoire, la répartition des charges de la molécule est modifiée et change l'environnement électronique pour les molécules de solvant voisines(13). En retour, ces dernières se réarrangent et favorisent par leur mouvement le transfert d'électron intramoléculaire. Globalement, les molécules de solvant assistent la torsion et le transfert : par leur présence, elles abaissent le niveau du col à franchir en diminuant l'énergie de l'état transitoire TICT.

    On savait depuis fort longtemps que les réactions chimiques sont facilitées ou inhibées par différents solvants. Ces résultats fournissent maintenant une image détaillée des rouages microscopiques mis en jeu et donnent aux chercheurs l'espoir de pouvoir un jour orienter à leur guise les réactions chimiques les plus variées en aménageant le solvant.

    L'eau, en tant que liquide omniprésent, tient une place particulière parmi les solvants. La vision microscopique que nous en donne la spectroscopie en lumière infrarouge(I) est celle d'un réseau très dense de liaisons hydrogène, qui se défait et se reforme en des temps de l'ordre de la picoseconde. La chimie de l'eau à l'échelle des femtosecondes est de ce fait très complexe. La méthode qui s'impose est de revenir aux concepts fondamentaux, en l'occurrence à l'étude du comportement des deux charges élémentaires : l'électron et le proton.

    L'électron est un cas tout à fait singulier. On pourrait penser qu'un électron lâché dans un liquide n'a guère de chances de survivre isolé. Or les molécules d'eau, aux fortes propriétés électriques, forment avec lui une nouvelle entité chimique ou radical : l'électron solvaté, assimilable à une sphère de 2,3 angströms de rayon. C'est dire si cette charge (qui n'a pas de dimension mesurable par elle-même) prend de l'importance en attirant autour d'elle les molécules d'eau ! Par rapport à un électron libre, qui n'est pas lié à des molécules de solvant, l'électron solvaté est stabilisé pendant quelques microsecondes par sa cage de molécules d'eau. Or de nombreuses réactions, comme la dissociation en deux types d'ions d'un sel mis en solution, la réaction entre deux ions ou entre un ion et une molécule, comportent, à des stades variés, des transferts d'électron. La technique de spectroscopie laser donne la possibilité d'explorer à l'état pur le transfert d'un électron seul, en l'absence de tout autre réactif.

    Dès 1984, au Laboratoire d'optique appliquée à Palaiseau, nous avons entrepris des recherches sur les états instables de l'électron en solution. Excitées par une brève impulsion laser ultraviolette, les molécules d'eau éjectent dans le liquide des électrons de très faible énergie (fig. 7). On suit leur évolution à l'aide d'une seconde impulsion visible ou infrarouge. La manière dont les électrons absorbent ces photons est très différente suivant qu'ils sont libres, solvatés ou encore dans des états intermédiaires. Nous avons identifié plusieurs de ces états, dont l'un est le précurseur de l'électron totalement hydraté. Cet état « présolvaté », correspondant au passage d'un col dans le paysage d'énergie potentielle, apparaît en une centaine de femtosecondes et survit environ 250 fs(14). Ce temps est nécessaire à l'organisation des molécules d'eau autour de l'électron : l'une des liaisons OH de chaque molécule est préférentiellement orientée vers celui-ci, de manière à minimiser l'énergie totale du couple électron-eau.

    Gardons-nous de croire que la compréhension de ces réactions élémentaires découle uniquement et directement des expériences. Comme pour la solvatation des molécules évoquée plus haut, elle résulte également de puissantes simulations semi-quantiques, effectuées principalement par le groupe de Peter Rossky à l'université d'Austin au Texas(15). Nos explorations ont révélé un état nouveau, où l'électron se lie pour un temps très bref (340 fs) à un groupement OH ou à un proton hydraté, c'est-à-dire une molécule d'eau à laquelle s'est attaché un proton pour donner H3O+, l'ion hydronium bien connu(16).

    Une impulsion laser ultraviolette nous permet de suivre l'itinéraire de l'électron détaché d'une molécule d'eau. Mais qu'advient-il de la molécule d'eau ionisée H2O+ qu'a laissée l'électron (fig. 7) ? L'ion moléculaire H2O+ disparaît rapidement, ce que l'on détecte en examinant la manière dont le milieu absorbe une impulsion test ultraviolette : la trace de H2O+ s'y efface en une centaine de femtosecondes, tandis qu'un des protons de l'ion moléculaire saute vers une molécule d'eau voisine pour former l'ion hydronium ou proton hydraté H3O+ (encore lui).

    Le but de cette étude n'est rien moins qu'une vision à l'échelle microscopique et femtoseconde de la réaction qui est probablement la mieux connue des débutants chimistes lycéens : la dissociation de l'eau en ions H3O+ et OH- ! La complexité des phénomènes est telle que cette vision n'est pas encore complète, notamment quant au rôle des vibrations de la liaison hydrogène dans les transferts de charge.

    Cette étape de recherche sur des systèmes chimiques simples et de petites dimensions est un préalable à l'analyse de réactions chimiques ou biochimiques plus complexes. A l'avenir, les comportements dynamiques de systèmes composés de plusieurs centaines d'atomes pourront sans doute être détaillés. Cette chimie du futur devrait permettre de lever certains voiles sur les réactions chimiques ou biochimiques impliquant polymères, systèmes supramoléculaires, acides nucléiques, enzymes, etc. Ne doutons pas qu'elle ouvrira aussi des horizons dans le domaine du génie chimique, pour concevoir de nouveaux procédés de synthèse.

    Yann Gauduel


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    Pour en savoir plus

    C. Cohen-Tannoudji, J. Dupont-Roc et G. Grynberg, Processus d'interaction entre photons et atomes, InterEditions-Editions du CNRS, 1988.

    V. Brückner et al. (eds.), Applications of time-resolved optical spectroscopy, Elsevier, 1990.

    J. Simon (ed.), Ultrafast dynamics of chemical systems, Kluwer Academic Publisher, 1994.

    Y. Gauduel et P.J. Rossky (eds.), Ultrafast reaction dynamics and solvent effects, AIP Press, 1994.

    J. Manz et L. Woste (eds.), Femtosecond chemistry, VCH (Heidelberg), 1995.
    Légère correction, due à un code de smiley erronément interprêté, Damon

  3. #3
    invite2387337b

    Merçi !
    (question : tu l'as copié depuis le site de "La recherche" ou depuis la version papier , parce qu'il ma semblait que les archives sur leur site sont payantes)

  4. #4
    Cécile

    j'ai copié depuis leur site, j'y ai accès.
    (j'ai beau aimer répondre aux questions, je n'auras pas réécrit tout ça !)

  5. A voir en vidéo sur Futura