J'aimerais soumettre à débat la courte argumentation suivante, délibérément concentrée, pour y connaître des objections ou en discuter les implications.
LA PLUS GRANDE ESCROQUERIE SCIENTIFIQUE DE L'HISTOIRE
Titre racoleur, peut-être. Mais j'entends montrer brièvement, sans forcer les faits, que le domaine concerné est universel et que tous les chercheurs pratiquent ou défendent cette escroquerie. Rappelons-nous d'abord qu'il n'existe aucun domaine dont la science ne puisse en principe décrire le déterminisme. Le propre de la raison est de croire le monde intelligible ; car s'il ne l'était pas, nous ne pourrions y persister.
1. Passons maintenant en revue les différentes sciences avant de nommer le domaine litigieux :
– Les sciences sociales. Ces disciplines parviennent à décrire à peu près le fonctionnement actuel des sociétés, mais pas du tout à prédire leur complexification. Or elles y prétendent. Et cette ambition est chimérique puisqu'il leur faudrait d'emblée l'omniscience ;
– La psychologie humaine. Une même cause, un même ensemble de causes n'engendre pas les mêmes effets. Un individu peut développer une schizophrénie alors que son jumeau homozygote, élevé dans les mêmes conditions, y échappe ;
– La biologie. Les chercheurs affirment que la transformation des espèces est réductible à une combinaison de hasard et de causalité. Que le hasard fasse parfois bien les choses, c'est l'évidence. Qu'il le fasse systématiquement ne tient pas debout. Le hasard, en général, dégrade. Il est aveugle par définition ;
– La physique. La théorie du Big Bang (du "Gros Boum") postule que l'évolution du monde serait entièrement prévisible si l'on en connaissait toutes les conditions initiales. Et pour savoir s'il se rétracterait ou continuerait à l'infini son expansion, les cosmologistes prétendaient – il y a quinze ans encore – qu'il suffirait de déterminer son taux exact de décélération. Or l'univers de fait accélère, aspiré par des conditions terminales majeures dont les physiciens n'ont pas la moindre idée.
2. C'est donc l'histoire au sens large qui n'existe pas en tant que science. L'escroquerie, entretenue par les scientifiques eux-mêmes, consiste à accréditer l'idée que l'Histoire serait réductible au principe de causalité. Les épistémologues, qui confondent volontiers raison et déduction, partagent leur avis. Tout au plus signaleront-ils que l'indétermination en cosmologie n'a rien à voir avec celle des psychologues. Si pourtant l'avenir individuel n'est pas prédictible, c'est bien parce que le propre de la pensée est d'être libre et celui de la vie de créer. Le monde est donc lui-même imprévisible, même pour un démiurge omniscient, voire Dieu en personne. Le temps n'est pas réductible à l'espace. Et ne l'a d'ailleurs jamais été : pour que la vie apparaisse, il fallait que la matière soit dès ses débuts capable d'autodétermination.
Le problème est donc de décrire le déterminisme propre à la création, qui suppose à la fois inversion temporelle (une finalité propre : le résultat détermine des moyens antérieurs), espace irréversible (un imaginaire propre, composé de tendances) et circularité de l'espace-temps (chaque création doit être vérifiée et ne peut l'être qu'a posteriori, en "rétrodiction").
3. Une telle démarche exclut un très grand nombre de disciplines (plus exactement de théories, d'écoles : freudienne, libérale, darwinienne…) du domaine scientifique et entraîne une refonte complète de sa classification. Aux sciences parvenant à prédire rationnellement des comportements et vérifiant donc un principe de causalité aveugle, qu'on pourrait qualifier de "réalistes", on opposera les sciences "imaginistes" échappant par principe à toute causalité aveugle (dont les résultats sont guidés par le sens et satisfont l'esprit). Un troisième domaine, plus général, proprement métaphysique, serait celui des sciences traitant des interactions entre réel et imaginaire, c'est-à-dire de la vie au sens le plus large, de l'histoire et de ses aléas, de la créativité et de son prix. En seraient exclus bien sûr le matérialisme et le spiritualisme.
Une création, par définition, viole le principe de causalité et ne sera jamais reproductible. L'invention d'une nouvelle théorie physique "causale" implique un réagencement du passé et un ensemble de divinations qui, elles, seront toujours vérifiables. La créativité ne relève pas a priori de la logique mais de la morale. Pour persister, il nous faut des événements qui contredisent la causalité aveugle. Il doit donc en exister. Personne ne se passe de l'histoire, à commencer par la sienne.
Conclusion : Les chercheurs ne veulent pas d'une science de la créativité, qui relativiserait le principe de causalité aveugle et mettrait au chômage la plupart d'entre eux. Mais sans créativité, il n'y aurait pas d'existence, pas de pensée ni de monde. Tous les historiens à prétention scientifique, du cosmologiste au psychiatre, se contentent de faire frauduleusement de la prédiction a posteriori, escamotant à la fois leur propre finalité et celle d'autrui. Comme si la logique seule régentait le monde, comme si la connaissance était nécessaire pour agir et suffisante pour aboutir, comme si le sens était anonyme. Or le seul résultat à quoi parvient globalement la techno-science est de détruire la planète et l'Homme. Ce qui était parfaitement prévisible : pour créer du sens propre, pour faire durablement le Bien, il faut évidemment leur donner la priorité. Mais plus personne n'entend le cri des moralistes.
L'Homme serait-il déjà mort ?
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