A la suite de la discussion Ne faudrait-il pas être philosophe pour être meilleur savant ?, je vais lancer quelques sujets inspiré par la vision des sciences qu'à DINOULIX et qui me semble, finalement, assez répandue.
Ce sujet-ci sera intermédiaire entre épistémologie et éthique.
IntroductionEnvoyé par DINOULIX
Dans l'idéal scientifique, on obtient un savoir indépendant de la personne qui l'exprime.
Néanmoins, le nom propre a un usage en science : physique newtonienne, effet Bohm-Aharanov, constante de Planck, prix Nobel...
A quoi correspondent ces usages ?
USAGE PRATIQUE
Désignation synthétique
A part en histoire, que la physique newtonienne soit attribuée à Newton n'a d'intérêt qu'anecdotique et ce n'est pas Newton qui intéresse un scientifique dans cette désignation. L'intérêt pour lui est d'identifier un cadre expérimental et théorique. La physique newtonienne, ce sont des concepts de force, de géométrie euclidienne, de mécanique, un ensemble de relations de base (F = ma), des contextes d'application etc.
Le nom propre synthétise ici un cadre de pensée et d'expérience.
Il peut aussi synthétiser un phénomène : l'effet Bohm-Aharanov correspond à ce qui peut être décrit comme "une perturbation de phase du propagateur, due à la circulation du potentiel magnétique le long d'orbites classiques situées en dehors du champ magnétique." (Ah vos souhaits !). ( http://tel.ccsd.cnrs.fr/documents/ar...0/00/00/78/89/ )
Indication de domaine
Le nom propre est parfois un panneau indicateur signalant un domaine de recherche surtout avec la spécialisation des activités scientifique.
Dans la recherche bibliographique, les scientifiques pourront pointer quelques grands noms du domaine pour avoir des sources a priori valables : Hawking pour les trous noirs, Witten pour les supercordes, Changeux en neurologie, Bogdanov-Twins pour le social ingenieering et la sophistique etc.
Si ils veulent revenir aux sources, ils se pencheront sur les travaux de Maxwell, Lavoisier, Einstein, Heisenberg etc. mais en général ces noms leurs indiqueront plutôt des domaines déjà explorés, là où il n'y a plus rien de nouveau à trouver.
USAGE SOCIAL
Hommage et position sociale
Je travaille dans une technopole dont chaque bâtiment a un nom de scientifique. Les scientifiques forment une communauté où la gloire est souvent le seul "avantage" qu'ils peuvent attendre de leur métier.
Le prix Nobel fait office tous les ans à la fois de pointage d'un domaine par un nom propre et d'hommage. Pour le grand public, Pierre Gilles de Gennes deviendra l'espace de quelques reportages l'homme de la "physique de la matière molle". Il aura généralement été d'abord distingué par ses pairs.
Son palmarès :
P.G. de Gennes has received the Holweck Prize from the joint French and British Physical Society; the Ampere Prize, French Academy of Science; the gold medal from the French CNRS; the Matteuci Medal, Italian Academy; the Harvey Prize, Israel; the Wolf Prize, Israel; The Lorentz Medal, Dutch Academy of Arts and Sciences; and polymer awards from both APS and ACS.
http://nobelprize.org/physics/laurea...ennes-bio.html
Le plus réputé est-il le meilleur ?
La qualité d'une recherche se jugeant généralement entre spécialistes, sans doute peut-on se fier aux prix "intra-professionnels".
Se peut-il que des travaux pertinents passent inaperçus par manque de notoriété de l'auteur ? Sans doute, surtout avec l'inflation du nombre de publications. La carrière de Satyendranath Bose serait peut-être resté celle d'un obscur professeur indien si il n'avait pas envoyé son papier à Einstein.
Sic transit gloria mundi...
POSITION PHILOSOPHIQUE
L'homme invisible
Il est demandé au scientifique de nier sa propre personne ("objectivité") pour obtenir le droit d'être honoré en tant que personne. Le scientifique s'efforce d'être invisible dans ses travaux mais garde dans un tiroir son masque humain pour le cas où on lui demanderait de parler en tant que personne. C'est en s'efforçant de rester invisible qu'il a une chance qu'on l'autorise à ne plus l'être et à laisser son nom dans l'Histoire.
Psychose, mystique et sans-nom
Les difficultés à gérer l'identité, dont le fait de parler en son nom propre, peuvent signaler des psychoses mais même si des scientifiques au style "autiste" ne manquent pas, c'est plutôt vers la mystique qu'on pourrait relier le refus de parler en tant que personne.
En se plaçant en tant qu'être neutre, le scientifique entend dire la Vérité de la Nature elle-même. L'abandon de sa personne se fait pour le gain du Monde. C'est l'âme de Platon contemplant les Idées éternelles, c'est la Raison de Spinoza où l'on pense comme Dieu (c'est-à-dire la Nature), c'est Newton déclarant "Les mathématiques sont le langage de Dieu".
N'être personne pour être tout le monde.
Ce sera une piste pour un sujet futur sur la relation Sujet-Objet et le dépassement de la critique de Kant qui semble condamner toute prétention à l'objectivité réelle.
CONCLUSION
Ce sujet qui pourrait sembler assez léger et relever simplement d'une revendication de modestie ou de questions pratiques, peut être symptomatique d'une certaine vision du monde où la gloire de l'Eternel remplace la vanité du Moi.
Et en s'abandonnant à la quête de la Vérité, le scientifique représente le Bien selon le principe moral Vrai = Bien, ce qui le rend susceptible d'obtenir la gloire. Paradoxalement, le mépris pour la vanité du Moi se change soudain en prétention à incarner le Bien.
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