En 1983, l'éthologue Konrad Lorenz et l'épistémologue Karl Popper se rencontrent pour un échange de vues sur des sujets variés.
La rencontre donnera lieu à un petit livre "L'avenir est ouvert".
Extrait où se confrontent 2 analyses sur le rôle de l'induction.
Les 2 perceptions ne traduiraient-elles pas 2 approches, celle de l'explorateur qui voit dans l'invention la découverte de quelque chose de déjà là, qui attendait d'être vu, et celle de l'expérimentateur abstrait qui voit dans l'invention la création d'une expérience de pensée, d'une hypothèse explicative du fait ?Envoyé par Lorenz et Popper
POPPER :
L'idée de l'induction est en définitive la suivante - et je précise que je décris là quelque chose que je tiens pour faux du commencement jusqu'à la fin - : tout savoir nous vient de nos organes des sens, c'est le principe de base.
Et lorsque les mêmes effets ont agi pendant très longtemps et très fréquemment sur les organes sensoriels, nous émettons une hypothèse généralisatrice. Telle est la doctrine de l'induction sur le plan psychologique.
Mais sur le plan logique, la thèse est erronée aussi :
les partisans de l'induction affirment qu'il y a d'un côté la déduction : sur des prémisses établies, la déduction te donne une conclusion certaine ; et puis il y a processus d'induction : l'induction réside en ceci que nous disposons de nombreuses prémisses et que n'obtenons donc qu'une conclusion vraisemblable.
C'est également faux.
La théorie de l'induction est donc aussi fausse du point de vue psychologique que du point de vue logique. On peut montrer que l'apprentissage nous conduit toujours vers quelque chose de plus invraisemblable et non pas toujours vers quelque chose de plus vraisemblable. C'est pourquoi tout l'idée de la conclusion vraisemblable est une erreur. Il y a des conclusions déductives et, même dans la théorie de la vraisemblance, il n'y a jamais que des conclusions déductives ; plus quelque chose devient vraisemblable au sens de la théorie de la vraisemblance plus cela devient creux et inintéressant.
Seul l'invraisemblable est intéressant. La nouveauté est toujours totalement invraisemblable. L'hypothèse que nous créons de toutes pièces se situe en quelque sorte au niveau zéro de vraisemblance. Il n'y a pas la moindre induction, mais uniquement des découvertes risquées.
Les hypothèses hasardeuses peuvent être réfutées par sélection. (...) Bien sûr, nous n'aimons pas faire ça, éliminer nos hypothèses ! Mais nous préférons encore les éliminer nous-mêmes que les laisser éliminer par d'autres.
LORENZ :
Je suis persuadé que ton argumentation logique est inattaquable. Pourtant je voudrais donner un exemple de problème qui montre bien que la connaissance peut naître d'une foule d'informations isolées.
Je connais 25 espèces de perches d'Amérique du Nord. Et puis voilà qu'arrivant en Floride, je découvre un tout petit poisson qui a une tout autre allure et que je prends tout d'abord pour un cyprinodontidé parce qu'il a des nageoires dorsales arrondies sans épines. Mais brusquement quelque chose me fait très mal, j'en ai presque un malaise (...) : ce n'est pas un cyprinodontidé, c'est une perche !
Je viens de procéder instantanément à une généralisation, exacte en l'occurence, notons-le bien ! Ce genre de généralisation peut aussi tomber mal. Mais comment y suis-je parvenu ?
Il a fallu que je fasse abstraction de la nageoire dorsale épineuse, de la grande gueule, etc., pour identifier néanmoins une perche. Je l'ai pu de toute évidence uniquement parce que j'avais emmagasiné en moi des centaines et des centaines d'informations sur 25 espèces de perches. (...) J'ose affirmer qu'il est très rare que j'invente une hypothèse de toutes pièces, et je crois que ce processus de stockage d'informations est indispensable pour mettre sur pied une hypothèse.
(...)
POPPER :
le fondement de la théorie de l'induction est le suivant : nous apprenons par l'intermédiaire d'une information qui vient de l'extérieur. Le fondement de ma critique de l'induction est le suivant : nous apprenons par une activité qui nous est innée, par une foule de structures qui nous sont innées et que nous avons la faculté de développer, nous apprenons activement. C'est l'essentiel.
L'induction nous rend passifs, la répétition transfère les choses de notre esprit en éveil dans notre subconscient. Le véritable apprentissage n'est pas inductif, c'est toujours une démarche d'essai et d'erreur entreprise avec la plus grande activité dont nous soyons capables.
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