Tout d'abord, quelques explications…
Crucuno, un nom surprenant voire amusant pour cette enceinte composée de 22 menhirs qui n’est pas véritablement un croml’ech car les croml’ech sont circulaires…or Crucuno est un parfait quadrilatère mégalithique dont les angles sont alignés sur les points cardinaux.
Cette enceinte date de -4000ans. Il est difficile de déterminer avec exactitude la fonction de ce monument, mais les scientifiques et historiens pensent qu’il servait à l’observation astronomique, et permettait de calculer les éphémérides aux solstices d’été et d’hiver. Un calendrier en quelque sorte …
Photo aérienne tirée de Géoportail (merci Laurent !)
Et il est vrai que lorsqu’on pénètre dans cet enclos de pierres levées ou pousse l’herbe folle et un ou deux pins torturés par les rafales de vent, on ressent une ambiance spéciale…un peu mystérieuse et inexplicable…
C’est cette ambiance que nous venons chercher tous les ans en ce soir de solstice d’été, car question astronomie, le fait que la nuit soit exactement deux fois plus courte que le jour ne favorise pas vraiment les longues observations fructueuses !!
Les deux années précédentes, la météo n’avait pas été très souriante, mais le vent et la grisaille avait ajouté à l’atmosphère particulière, et la lune blafarde jouant avec les nuages pressés donnait des ombres assez inquiétantes…lutins et farfadets ne devaient pas être loin, ils avaient même semés de petites lumières sur leur passage, et nous avions appréciés la délicate et peu gênante pollution lumineuse crée par les vers luisants….
Il n’est pas étonnant que le site soit peu fréquenté, car le petit chemin pour y parvenir est moyennement carrossable.
Nous arrivons…
Après avoir vidé les véhicules, nous les garons un peu plus loin pour ne pas gâcher la magie et l'esthétique du lieu.
Puis le temps de saluer les quelques personnes présentes (dont un couple d’anglais baba cool et leurs enfants) et nous installons notre matériel….
Ma lulu perdue dans la lande et les menhirs au soleil couchant…
Matthieu et son dobson extra léger…
Vient enfin un moment bien agréable : le pique-nique...
Un gigantesque bloc nous tend son granit poli par les siècles, et nous savourons notre repas assis sur ce vénérable canapé en regardant les menhirs changer de couleur et prendre un ton orangé très doux. Le soleil descend tranquillement et saupoudre le décor de poussière d’or. Instinctivement, les voix se font plus douces et calmes.
Une tendre odeur de chèvrefeuille nous parvient au rythme du souffle du vent...
Après de longues et calmes minutes, le soleil caresse enfin l’arête douce du menhir d’angle et nous nous rassemblons tous le long de la diagonale, appareil photo en main pour immortaliser LE seul moment de l’année ou notre étoile se couchera pile entre les deux menhirs d’angle.
Plus un mot. Quelque part s’établit une communication ténue, fragile mais touchante entre nous et nos très lointains ancêtres qui ont transporté ces pierres jusqu’ici pour en faire ce gigantesque calendrier.
Moment magique ….
Calme et sérénité un peu avant le coucher du soleil…
Le charme est subitement rompu par des cris. Une ribambelle d’enfants et leurs mamans s’approchent et se renseignent sur les observations à venir.
Un petit garçon regarde briller le secondaire du télescope avec des yeux ronds comme des soucoupes et approche des petits doigts dodus et bien sales.
Je pique un sprint et tente un anglais approximatif pour lui signifier le plus gentiment possible qu’il ne faut pas toucher que c’est trèèèèèèèès fragile tout ça.
Qu’à cela ne tienne, tels des martinets joueurs, la bande pique vers ma lulu sur sa monture. Re-sprint : houuuuuuuulà, faut toucher avec les yeux seulement hein les enfants …
Finalement, la horde sauvage se dirige vers les pierres levées et commencent à les escalader malgré les remontrances, assez timides des mamans. Celles-ci étaient d’ailleurs quasiment aussi bruyantes que les enfants. Nous nous sommes même demandées si elles n’avaient d’ailleurs pas arrosé précocément et abondamment cette fête du solstice !!
Bref, soudain, l’ambiance n’est plus au mystère, ça papote à droite et à gauche.
Les étoiles commencent tranquillement à s’allumer au plafond céleste, et on reconnait Arcturus et Véga.
Saturne elle aussi se révèle au-dessus des pins…
Je commence à me poser la question de l’objet à tenter ce soir, en sachant que de toute façon, ce ne sera que pour le fun, cette nuit n’offrant vraiment pas les conditions idéales pour l’astrophoto. Laurent propose Iris nebula, un objet subtil que j’aime beaucoup, alors c’est d’accord.
Entretemps, Matthieu ouvre le post « direct live du croml’ech de crucuno » sur son notebook. Bien pratique ces petits PC…cela nous permet de vérifier le numéro ngc d’Iris.
Laurent voit la polaire, et je commence donc à faire la MES et à mettre le suivi en route.
La lumière passe du doré au gris bleuté, et petit à petit, le site retrouve sa tranquillité, les quatre mamans ayant couché les enfants dans des petites tentes à l’entrée du quadrilatère….Les babacool anglais dorment à la belle étoile quand à eux, et ont recouvert leurs enfants de plusieurs couvertures. Ils risquent néanmoins de souffrir de la forte humidité.
23h45 : Laurent prépare son APN pour un flash iridium qui doit s’allumer à 23h51.
Le voilà ! pour l’instant ce n’est qu’un petit point qui avance tranquillement puis s’illumine légèrement avant de s’éteindre. Sa magnitude n’était que de -3.5, mais néanmoins un bien joli spectacle au-dessus des pins et dans ce ciel bleu marine.
La voûte céleste ne changera plus tellement de teinte d’ailleurs… Il est minuit passé…et le jour sera bien rapide à se lever…
Je peaufine la MAP sur Véga puis envoie la lulu sur Iris nebula. Une photo d’une minute pour vérifier le cadrage. Lolo valide, et j’attaque donc le gros du problème : l’autoguidage (comme d’hab !)
Installation de l’interface, puis j’ouvre guidemaster, dmk derrière la lulu de guidage ;
- Lolo, toi qui es devant l’écran, tu me diras si tu vois une étoile !!
Je fais la MAP de la lulu de guidage en utilisant le sparadrap collé soigneusement sur le tube la dernière fois.
- alors Lolo, tu vois quelque chose ?
- euh…je vois plein de taches
Quôôôôa ??? je me précipite : plein d’étoiles sur l’écran, des ptites, des plus grandes !!! c’est la première fois que j’ai le choix d’une étoile pour le guidage !! Formidable : j’en choisis une ni trop petite ni trop brillante, calibration et hop je lance le guidage. La monture chuinte doucement…petits bruits de rattrapage…et c’est parti !!! Bon, ne traînons pas : puisque je suis sur Iris, j’enclenche une pose . J’ai décidé de faire des poses de 5mn ce soir, et pour les darks on verra après. Je profiterais des soirs de semaine pour me constituer une bibliothèque de darks à températures différentes.
La soirée se poursuit tranquillement entre surveillance du guidage, discussions avec Laurent et Matthieu.
Eric et Flo sont bien occupés avec les quatre fameuses mamans qui sont revenues à la charge. Elles écoutent avec attention les explications sur les objets célestes, la façon de retrouver les constellations, puis tout à coup partent dans des digressions sociétales en passant de la burka aux gendarmes trop sévères….et en émaillant leur remarques d’éclat de rire dont les décibels déchirent la nuit tranquille…
Nuit claire et étoilée sur les menhirs…
Laurent retrouve blinking nebula, et je me régale encore avec cette mignonne clignotante !
Je retourne vérifier mon installation photo…les mamans ne faiblissent pas…et leurs éclats de rire non plus d’ailleurs !!
Ce n’est pas le soir idéal pour observer, le fond de ciel restera toujours clair malgré l’absence de lune, mais la vision de Saturne ou de Jupiter suffit déjà à passionner le public et à déchaîner questions et observations…
« tu te rends compte que cette étoile qu’on regarde là, et bien elle n’existe peut-être plus…. »
… parfois une réflexion plus sérieuse et profonde vient interrompre les rires sonores et les débats de société …
Un regard sur l’heure : déjà 3h30 !!! L’humidité est tombée depuis le début de la soirée et m’a obligé à essuyer la lulu entre chaque prise .
Le guidage est correct, la MAP l’était aussi mais la buée l’a un peu sabotée en empâtant mes étoiles. J’en conclus que mon prochain achat sera donc un sèche-cheveu de voyage ou une résistance chauffante pour la lunette..ce n’est pas grave, car le ciel est bien trop clair à mon goût. L’autoguidage a fonctionné à merveille, et c’est cela le principal.
Je commence à ranger le matériel dégoulinant de rosée, Laurent, Matthieu, Flo et Eric font de même.
Seul Eric restera sur place pour observer sous peu le lever du soleil entre les deux menhirs de l’angle suivant.
Puis nous repartons vers Pontivy, une petite heure de route + une bonne demi-heure d’étalage de matériel soit un coucher vers 5h30 ….la courte nuit du solstice aura été encore bien sympathique cette année.
Seuls les vers luisants manquaient à l’appel….un peu de pollution lumineuse en moins !!
C’est sûr : l’année prochaine, à cette même date, nous irons encore observer chez nos ancêtres, entre les pierres levées …
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