Bonjour à tous,

J'avais (il y a longtemps) promis que j'essaierais d'intervenir dans cette rubrique pour présenter un peu le genre de travaux que l'on mène en physique théorique des particules, donc me voilà

Je vais résumer le travail publié ici dans Physics Letters B, disponible ici et aussi en accès libre sur arXiv ; il est le fruit d'une collaboration entre plusieurs physiciens (je vous renvoie à la liste complète des auteurs disponible dans le papier).

I Contexte de l'étude

Le contexte de l'étude est la classe générique des modèles à deux doublets de champs de Higgs. Dans le Modèle Standard, un seul doublet de Higgs sert à briser spontanément la symétrie électrofaible, ce qui (entre autre) permet d'avoir à la fois une théorie de jauge renormalisable et de donner les masses aux bosons de jauge faibles : le doublet (complexe) de Higgs a une valeur moyenne non-nulle dans le vide et sélectionne ainsi une direction particulière dans le groupe : . Notons en passant que par des interactions du type , nous avons aussi ici un moyen de donner une masse aux fermions (leptons et quarks).

Une extension possible et minimale du secteur scalaire du Modèle Standard est d'envisager non pas un seul doublet de Higgs, mais deux doublets et de telle sorte que l'on ait
et . Selon les couplages de ces doublets aux fermions, on peut envisager plusieurs types de modèles. Les modèles à deux doublets de Higgs (notés 2HDM) sont dit de type I lorsque l'un des doublets couple à tous les fermions de la théorie, l'autre ne couplant à aucun d'entre eux. Les 2HDM de type II sont tels que le doublet couple aux quarks u, c, t ainsi qu'aux leptons chargés, tandis que le doublet couple aux quarks d,s,b. Par exemple, l'extension supersymétrique minimale du Modèle Standard (MSSM) est un exemple de 2DHM de type II.

Dans ce contexte, on note alors qui est le rapport des deux valeurs moyennes dans le vide des deux doublets. C'est un paramètre fondamental de la théorie qui va contrôler l'intensité des couplages, ainsi que la brisure électrofaible. Il est donc capital de pouvoir le mesurer dans les expériences.

II Le secteur de Higgs dans les modèles à deux doublets :

Je ne vais pas rentrer dans les détails techniques, qui sont disponibles dans toute bon livre de référence à ce sujet. La chose importante à savoir c'est qu'au lieu de n'avoir qu'un seul boson scalaire de Higgs, dans les 2DHM nous en avons 5 !

Nous avons deux bosons scalaires neutres (qui sont des états CP pairs), un boson pseudoscalaire neutre (qui est un état CP impair) et deux bosons de Higgs chargés . L'étude va se concentrer sur la paire de bosons chargés.

II Production du Higgs chargé au LHC

Nous nous sommes intéressés à la production du boson de Higgs chargés en association avec un quark top, dans le processus :



Le quark top peut avoir deux états de polarisation, selon la projection de son spin le long de la direction de propagation : soit un état "plus" (spin et impulsion parallèles), soit un état "moins" (spin et impulsion antiparallèles). L'étude se fait dans le référentiel du centre de masse. Les expériences ont accès à la polarisation du quark top en étudiant la distribution angulaire de ses produits de désintégration leptoniques.

Nous définissons ainsi et ce qui nous permet de définir la quantité suivante, appelée asymétrie de polarisation :

. Bien sûr, on a

Dans le papier est calculé cette asymétrie à l'ordre le plus bas en la constante de couplage fort . Nous avons montré les deux propriétés remarquables suivantes :
  • cette asymétrie est remarquablement stable vis-à-vis des corrections quantiques d'ordre supérieur : l'incertitude dite d'échelle qui permet d'estimer l'impact de ces corrections quantiques non calculées est au plus de 2%
  • cette asymétrie est aussi très stable vis-à-vis du choix des PDFs (les fonctions de distribution des partons dans le proton) : en effet le LHC collisionne des protons, or le processus étudié se fait au niveau des quarks et des gluons. Il est nécessaire d'exprimer la probabilité d'aller "chercher" au sein du proton le quark b et le gluon g (qui sont ce que l'on appelle des partons) avec une fraction x d'impulsion du proton initial, ce qui s'exprime par ces PDFs, que l'on convolue ensuite avec notre calcul sur le processus (partonique) . Ces PDFs ne sont pas des quantités calculées mais des distributions ajustées par l'expériences, entachées d'incertitudes et notamment il existe plusieurs collaborations sur le marché qui nous les donne. Il se trouve que l'asymétrie que nous avons étudié est sensiblement identique quelle que soit la PDF choisi (au pire un écart de 4% est observé)
Ces propriétés tranchent de façon éclatante avec le comportement de la section efficace totale, et nous donnent accès à une quantité relativement bien déterminée. De plus, et c'est tout l'intérêt de cette asymétrie (voir figures 1 et 2) :
  1. Elle distingue très nettement les faibles valeurs de et les hautes valeurs de
  2. Elle a une valeur nulle pour
  3. Elle permet aussi de distinguer, à , les 2DHM de type I et II : en effet dans un modèle de type I cette asymétrie est constante vis-à-vis d'une variation de et vaut la valeur prise dans un modèle de type II à . Ainsi mesurer par exemple une asymétrie négative indiquerait sans doute possible que la Nature aurait choisi un modèle de type II et non de type I.

Enfin, la dernière partie de l'article montre que dans une certaine mesure cette asymétrie est sensible aux corrections typiques qu'apporte la supersymétrie, voir la figure 3. Ceci dit, il est probable que cette distinction sera difficile à mesurer au LHC.

IV Conclusion :

Nous avons défini une asymétrie de polarisation du quark top dans la production du Higgs chargé en association avec le quark top au LHC, et nous avons montré que cette asymétrie était remarquablement précise vis-à-vis des incertitudes d'échelle et PDFs. Elle permet de distinguer très clairement les régimes à bas et à haut dans un 2HDM de type II, et permet de distinguer les modèles de type I et II dès lors que . De plus, couplée à une mesure de la section efficace totale, nous avons un moyen de mesurer la valeur (relativement) précise de .

Nous avons aussi montrer qu'en théorie il est possible de distinguer un 2HDM supersymétrique d'un 2HDM non-supersymétrique ; ceci dit l'impact des corrections supersymétriques est possiblement trop faible en regard des incertitudes expérimentales.

Cordialement,

G.