La satisfaction alimentaire a été le souci majeur de l'humanité jusque très récemment. Elle reste une question vitale pour une bonne partie de l'hummanité encore aujourd'hui.
L'alimentation comme plaisir culinaire a depuis des milliers d'année été l'apanage des classes dominantes. Mais ce plaisir s'imposait autant par le goût lui-même que par les effets symboliques de pouvoir et la différence qu'il marquait avec des populations qui dans leur majorité connaissaient le manque, les famines.
Ce n'est qu'avec la société de surproduction depuis quelques décennies que l'alimentation commence, pour certains, d'émerger comme un droit naturel qui ne connait plus l'aléatoire, ou trop peu et trop lointain pour que les mentalités s'y arrêtent encore.
Encore ce changement de perception est-il possible pour une petite minorité des populations bien nourris, ayant aussi acquis par l'éducation des outils d'évaluation de leurs pratiques et de leurs représentations. On pourrait supposer que l'esprit critique du démocratisme a tout lieu de s'exprimer sur ce terrain de l'alimentation plus que sur le reste car il s'agit de santé. Et si un fait de la vie quotidienne rend compte du bien être et du mal être c'est bien l'absence ou la présence de trouble du corps, bien avant les questions de travail, de politique, d'art etc..
L'alimentation a donc commencé depuis quelques décennies en occident de se poser comme lieu de la santé. La surconsommation laisse clairement voir que l'excès alimentaire a des conséquences en terme de mortalité, mais surtout de mal-être presque aussi important et épidémique que la malnutrition.
Par un effet de pendule, la mesure se cherche et provoque débats et recherche sur la 'bonne', la 'saine' alimentation.
On se souvient de Coluche qui 'demain' arrête 'le pain avec les pâtes'... l'humour, proposant toujours une critique derrière un sourire, montre ici du doigt des aliments dont se diffuse lentement le danger : surconsommation de féculent = grossissement. Ne nous y trompons pas santé et esthétique se retrouve assez largement dans un premier temps. Il s'agit d'être mieux dans son corps, en partie pour mieux séduire et satisfaire d'autres appétits. L'explosion alimentaire rencontre ici une démocratisation de la libération des moeurs dans les années 70.
Depuis les années 80 et surtout 90 l'alimentation rentre plus pleinement dans le champs de la santé. Le lait commence d'être critiqué au début des années 80 et beaucoup de transformateurs de produits laitiers vont commencer à dégraisser, les crèmes, les fromages. A proposer des laits 'premier age', des écrémés etc...
Le lait de vache est en effet un produit très particulier. Les hormones de croissance qu'il porte sont prévu pour un ruminant, de grande taille. Elles préparent l'appareil digestif à des fonctions spécifiques de macération et de transfomation des graisses. Elles préparent également le corps à l'utilisation de ses graisses, en particulier pour l'évolution de la peau.
Le lait est connu de très longue date comme posant des problèmes aux nourissons, des aigreurs d'estomacs etc.. Mais ces phénomènes, en situation de satisfaction alimentaire relative ne sont pas suceptible d'être réellement pris en compte. En regard des bénéfices pour la croissance et la résistance osseuse - le fameux apport de calcium -, ils semblent à cette époque mineurs.
La croisade pour le lait initié par Mendes France en 1954, qui va rendre le lait obligatoire à l'école lors d'une pause à dix heure chaque matin, est une politique de santé plutôt scientiste, héritière du XIXème siècle, paternaliste et maternante. Elle repose sur des impressions, des certitudes grandiloquentes et des obligations nationales qui n'ont rien de scientifiques. Mais, surtout, elles sont électoralistes et économiques. Il s'agit pour Mendes France de concilier, moins naïvement qu'il n'y parait, les 'effets bénéfiques' du lait, l'impression d'une action gouvernementale massive et visible, et les effets positifs de la consommation sur l'économie encore très agricole de la France, plus grande productrice de lait en europe.
Chacun adaptera ses pratiques, mais la foi républicaine dans les élites installe cette consommation pour longtemps. La publicité de l'industrie laitiaire, son poids, rencontre une France (et d'autres pays) qui apprécie le goût des produits laitiers et le plaisirs de l'abondance.
Les petites difficultés passagères et les cas largement minimisés de rejets du lait sont un temps négligés.
Le tournant des années 70-80 permet des modifications en douceur par l'allègement et la modification profonde de ce produit par l'industrie. Dés les années 90, des 'laits' de substitution (Soja, riz, amande) commence à s'offrir et sortent des rayons 'diététiques' au tournant du millénaire.
L'exemple du lait est suivi dés les années 90 par le pain. Beaucoup d'interrogations sur la consommation de pain, sur les qualités nutritives du pain (froment ou seigle, blanc ou complet..) se diffusent et commencent de changer le regard social sur cet aliment de base.
L'êre des régimes (80-90) qui testent tout et n'importe quoi débouche sur la possibilité d'un questionnement critique de l'alimentation. Les remarques populaires "ca va pas te boucher le ..." ou les citations religieuses "ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui fait le mal..." se font plus rare. Se moquer de celui ou celle qui surveille son alimentation tend à ne refléter qu'une classe d'âge avancée.
Le mouvement 'Bio' est l'expression de ce glissement. Le 'Bio' loin d'être une sauvegarde des manières de produire ancienne, est avant tout issu de cette logique de rénovation de la consommation des produits de l'agriculture. Lorsqu'elle prend le devant de la scène dans le combat contre les OGM ou la malbouffe, elle n'est que la partie emmergée de l'Icerberg qui reste une profonde transformation des attitudes alimentaires en mouvement.
A chaque phase de l'histoire d'une culture ses pathologies... l'hystérie comme révélateur de l'enferment et de la domination masculine bourgeoise au XIXème, l'anorexie et la boulimie comme révélateur de la difficulté de la construction du corps au milieu des transformations du couple, de la famille et de la complexité croissante, de la virtualisation du rapport au monde à partir des années 80.
La croissance des pathologies digestives et cardio-vasculaire, dermatologiques également (on ne répetera jamais assez combien le lien physiologique est ici important), est de mieux en mieux comprise dans sa logique culturelle et historique. Toute la difficulté à s'interroger sur l'alimentation a relevé du temps long sur lequel se construise ces pathologies, et de la relative possibilité de 'vivre avec' qui les a fait et continue souvent de contribuer à les mettre de côté, à les gérer... Mais il est de plus en plus possible de s'interroger sur l'alimentation et d'y rechercher des solutions actives. De considérer le temps long, en particulier du fait de l'allongement de la vie, mais aussi grace à l'élévation du niveau scolaire et de la lecture. Ainsi se rationalise le rapport à ses pratiques personnelles...
Mais pas seulement alimentaires. Il n'est en effet pas de médecins ou de biologistes, qui ne comprennent de plus en plus nettement toute la force des interactions entre corps et esprit. Le long fil sur la maladie de Crohn (sur ce même site) exprime très clairement combien les stress, la nervosité sont des facteurs connus, reconnus, même si peu compris dans leur fonctionnement et même le plus souvent écarté de la causalité.
De fait ici, l'un des risques de la médecine dominante actuelle est celui de la survalorisation génétique, forme nouvelle du vieux naturalisme par lequel le libéralisme philosophique préfère toujours voir des causes individuelles plutôt que sociales et historiques.
Les stress au travail, la désaffiliation, l'instabilité des relations, la précarité, la responsabilisation, la reception individuelle de la complexité croissante des phénomènes sociaux dans un monde en globalisation... Construisent dés l'enfance, avant l'école, dans le langage, dans le stress des parents, de l'entourage, dans les médias reçus, un corps qui reçoit autant que l'esprit et doit se protéger,et le fait mieux ou moins bien.
Si on y ajoute le caractère urbain croissant de l'occident , et la relation au bruit, à la pollution athmosphérique et ondulatoire qu'elle impose, on a là un cumul de phénomènes qui permet à la génétique de tenir sa place : très relative et mince dans l'immense majorité des cas, même si dans certains de ceux-ci elle est presque exclusive (cas des Brca). Mais les cancers du poumon pour les fumeurs, les mésothéliomes pour les expositions à l'amiante ou de la vessie pour les travailleurs de l'industrie tinctoriale n'ont rien à voir avec la génétique (sauf à vouloir un "meilleur des mondes" ou on calculerait chez qui l'impact environnemental à le moins de chance d'être nocif..)
L'évaluation, l'auto-évaluation de ses pratiques alimentaires et plus largement environnementales (travail, lieu de vie, relations..) est un évenement civilisationel majeur, qui s'inscrit dans une diffusion de la science comme mode de réception rationnel du monde.
Le lait n'est plus conseillé par l'Afssa (Agence française de sécurité sanitaire et des aliments). Elle a même proposé de remplacer la collation de 10 h par un petit déjeuner équilibré (eau, fruits frais) avant les cours, à ceux des élèves, seulement, qui n'en aurait pas pris...
La cigarette commence d'être interdite, mais les raisons invoquées pour diminuer la pollution des véhicules sont plus d'ordre climatologique que de santé publique. L'amiante a été interdite après 60 ans de lutte, et ce parceque sa toxicité est telle qu'il n'était possible pour l'industrie que de ralentir le processus. Et Concernant les stress tout reste à faire.
On le voit l'alimentation est un lieu premier, très logiquement, d'un changement de rapport au monde. Les modifications de pratiques y sont possibles pour chacun, à sa vitesse, à son besoin et à ses moyens. Mais ils sont d'autant plus important qu'ils sont le coeur d'une nouvelle organisation de la production et de la consommation, des rapports à la culture et à la nature, et donc à soi et à l'autre...
- Et peut-être un cinquième groupe sanguin apparaitra-t-il d'ici quelques années comme le groupe AB est apparu entre les 8 ème et 11 ème siècle de notre ère... -
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