Entouré de tous les représentants des médias, Professeur Doudou visite une Faculté de Médecine, dont le Saint-Patron n'est pas le dernier recours des causes perdues (même s'il fut tenté de se perdre dans le désert) et dont l'ancien Doyen est un conseiller actif de sa politique hospitalo-universitaire, ayant beaucoup oeuvré de surcroît pour un enseignement rénové à destination des futurs généralistes. Pour participer à la sensibilisation des populations aux nouvelles CATASTROPHES qui nous menacent, et seront peut-être bientôt notre quotidien, il s'adresse aux internes, tout juste reçus au nouvel Examen National Classant et réunis dans le grand amphithéâtre. Et il leur demande d'imaginer des exemples de TRAGÉDIES terribles où l'excellence diagnost-humani-thérapeutique de la médecine "à la française" ferait merveille. Et comme ce grand professionnel de la communication n'a peur de rien, tout se passe en direct au cours du journal de la mi-journée de TF1, pour que la France profonde, hypnotisée jour après jour par JPP (pas l'ex-footeux, l'autre), et PPD, soit rassurée par le spectacle d'une jeunesse confiante en son avenir et bientôt prête à prendre la relève.
De nombreuses mains se signalent. La parole est donnée à une jeune femme, bientôt diplômée en santé publique, au premier rang :
- Imaginons qu'une nouvelle canicule s'abatte à nouveau sur la France et que dans la maison de retraite voisine, la doyenne des français et son jeune mari soixantenaire meurent de déshydratation, ce serait une tragédie terrible.
- Euh ! Non... ce serait juste une GRANDE PERTE. D'abord, moi ce que je demande c'est un véritable exemple de catastrophe bien tragique.
Parmi les quelques doigts qui se lèvent encore, un interne en psychiatrie :
- Imaginons ! Si ma chef de clinique sur sa bicyclette se fait renverser par une 607 avec gyrophare conduite par un fêtard champagnisé, abruti aux benzodiazépines et le nez plein de farine, qui remontait à cent à l'heure un sens interdit, si en plus ma chef de clinique préférée n'arrive pas être dissuadée de porter plainte à coups d'annuaire sur la tête et enfin si ma chef de clinique adorée se fait interner plusieurs semaines en Hospitalisation d'Office à la demande du Préfet de Police pour bien lui faire comprendre le sens unique de ses responsabilités envers l'autorité momentanément inexemplaire, alors ce serait une tragédie terrible.
Et Professeur Doudou de répliquer :
- Là encore, je dis non. Ce serait juste un ACCIDENT et je tiens à le dire ici sans détour.
Timidement au dernier rang, une future généraliste, en qui les plus attentifs ont reconnu l'économe de la salle de garde, intervient d'une voix apparemment peu assurée :
- Imaginons qu'un dysfonctionnement d'un logiciel de vote électronique aggravé d'une fuite de protoxyde d'azote, cause ou conséquence nul ne sait, a provoqué l'explosion de l'usine texane FlowerPowerDioxiCorp fabriquant de pesticides et de gaz psycho-lacrymo-incapacitants de 4e génération. Le tarissement simultané, instantané et inexplicable de tous les puits de pétrole de cet état, accompagné d'une coagulation non moins immédiate et irréversible de tous les tuyaux des raffineries du pays a entraîné des millions et des millions de victimes éplorées à retrouver les nécessités de la marche à pied.
Imaginons encore que le Directeur Général de l'OMS et les centaines de ministres de la santé, de l'énergie et des transports des pays ayant envoyé des secours et qui ont partagé le nouvel Airbus A380 un peu trop désinsectisé par erreur - un steward ayant confondu les quantités en litres et en gallons - tombent malades simultanément au retour de leur voyage de soutien médiatique, quelques minutes après avoir ouvert une enveloppe contenant leur photo collective prise sur les lieux du drame, alors qu'ils arboraient de magnifiques stetson et santiags tout juste offerts par l’occupant de la Maison Blanche.
Imaginons aussi qu'ils deviennent tous irrémédiablement hallucinés en quelques jours, secondairement à une forme nouvelle de la maladie du charbon avec neuropathie paralysante des membres inférieurs, chloracné, oedème de Quincke et syndrome de Lyell, alors ce serait une tragédie.
- Voila. Très, très bien... et je vous le dis très franchement : BRAVO. Mais pouvez-vous expliciter mieux les caractéristiques de ce drame qui en fait le prototype même des catastrophes totalement tragiques ?
Et la jeune femme de répondre de façon un peu plus détendue, sinon goguenarde :
- Eh bien, d'une part, à cause de la dioxine, du LSD, de l'orthochlorobenzylidénémalono nitrile, de la deltaméthrine, de l'anthrax et des effets indésirables de la ciprofloxacine, ce ne serait certainement pas un accident, et en plus, ce ne serait pas non plus une grande perte...
Référence (avec bibliographie) : http://comme.des.manches.free.fr/acc...e_tragedie.htm
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