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Duplexes of 21-nucleotides RNAs mediate RNA interference in cultured mammalian cells (Elbashir et al., Nature, 2001) (Accès libre)
Cet article est à l’origine de l’ARN interférence dans les cellules de mammifères en culture. La caractérisation de ce processus par Craig Mello et Andrew Fire chez le nématode leur a valu le Prix Nobel de Physiologie et de Médecine en 2006. Ici, les travaux de recherche ont été conduit par Thomas Tuschl qui, après avoir effectué un séjour post-doctoral chez Philip Sharp (Prix Nobel 1993 : découverte de l’épissage), a eu la brillante idée d’introduire directement des petits ARN interférents (siRNA) dans les cellules de mammifères en culture pour induire l’extinction (knock-down) de gènes cibles. Cela avait été montré chez d’autres espèces avec des ARN double brin (dsRNA), mais les tentatives étaient vouées à l’échec chez les mammifères.
L’ARN interférence fut étudiée chez C. elegans dans les groupes d’Andrew Fire et Craig Mello, après la découverte de ce processus chez le pétunia (Napoli et al., Plant Cell, 1990). Ils ont fortement approfondi le sujet et ont clairement défini le principe de l’ARN interférence en 1998 (Fire et al., Nature, 1998) : l’introduction d’ARN double brin dans les cellules de nématode provoque une extinction efficace et spécifique de l’expression du gène cible. L’ARN interférence était déjà utilisée sur C. elegans ainsi que sur la drosophile pour étudier la fonction de gènes. En revanche, l’introduction d’ARN double brin de 38 à 1662 nucléotides dans des cellules de mammifères en culture déclenche une dégradation non spécifique de tous les ARNm cellulaires (Ui-Tei et al., FEBS Lett., 2000) aboutissant à la mort de la cellule : c’est la réponse interféron. Cette réponse est un mécanisme de défense antiviral développé par les mammifères, qui empêche l’utilisation de l’ARN interférence chez cette famille.
Une piste inattendue va toutefois se dévoiler grâce à des travaux sur la drosophile. En travaillant sur des extraits d’embryons de drosophile, le groupe de Thomas Tuschl a pu constater que les ARN double brin sont clivés en de petits fragments d’ARN double brin de 21 à 23 nucléotides qui conduisent au clivage de l’ARNm cible à des intervalles de 21 à 23 nucléotides (Zamore et al., Cell, 2000). Ils ont donc pensé que ces petits fragments d’ARN double brin sont responsables du clivage spécifique de l’ARNm cible : ce sont les petits ARN interférents (siRNA). Leur hypothèse fut confirmée sur des extraits d’embryons de drosophile où l’introduction de siRNA éteint l’expression du gène cible (Elbashir et al., Genes and Development, 2001). Il ne reste alors qu’un pas décisif à franchir pour montrer que les siRNA sont capables d’éteindre des ARNm cibles de façon spécifique au sein de cellules en culture.
Dans une première série d’expérience, Elbashir et al. se sont concentrés sur l’extinction de gènes rapporteurs (Luciférases GL2, GL3 et RL) par des siRNA spécifiques de chacun, dans des lignées cellulaires de Drosophile (S2), de souris (NIH3T3), de singe (Cos-7) et humaines (HeLa, HEK293). Ils ont donc procédé à des co-transfections à la lipofectamine : pGL2/pRL ou pGL3/RL, avec les différents siRNA et ont regardé les activités luciférase 24 heures après transfection. Dans toutes les lignées cellulaires, on observe une extinction spécifique et efficace (sauf pour les HEK293) des gènes rapporteurs ciblés par leur siRNA respectif sans affecter l’activité des autres rapporteurs. Malgré la forte homologie observée entre GL2 et GL3 (95%), l’extinction est spécifique pour chacun d’eux. Les siRNA permettent donc d’obtenir un knock-down ciblé de gènes rapporteurs dans des cellules de mammifères sans induire la réponse interféron.
Afin de savoir si la taille des ARN interférents constitue le facteur de réussite de l’ARN interférence dans les cellules de mammifères, les auteurs procèdent à la co-transfection pGL2/pRL dans les cellules HeLa avec des dsRNA de 50 ou de 500 nucléotides. Comme contrôle d’extinction non spécifique ils prennent un dsRNA ciblant la GFP humanisée. Avec les deux tailles de dsRNA les auteurs obtiennent des extinctions non spécifiques de GL2. Elbashir et al. suggèrent que la réponse interféron est à l’origine de l’absence de spécificité de ces knock-down.
En normalisant l’activité GL2 en présence des dsRNA GL2, GL3 ou RL par rapport à son activité en présence du dsRNA hGFP, ils observent une spécificité de l’extinction, mais imprécise puisque dsRNA GL3 éteint GL2 avec la même efficacité que dsRNA GL2. Dans ce cas, la spécificité doit être vue comme une dégradation plus intense pour l’ARNm ciblé que pour l’ensemble des ARNm de la cellule. La taille des ARN interférents est donc la clé de la réussite d’une extinction très spécifique des gènes rapporteurs dans les cellules de mammifères sans affecter l’expression des autres gènes.
Dans une dernière expérience, les auteurs s’attachent à valider leur méthode sur des gènes endogènes exprimés. Ils décident donc d’utiliser des siRNA ciblant l’ARNm des lamine A/C, de la lamine B1, de NuMa et de la Vimentine, et de regarder par immunofluorescence l’expression de ces gènes 40 heures après transfection. La figure concernée ne montre que le résultat obtenu avec le siRNA Lamine A/C où on voit une forte diminution du marquage cellulaire par l’anticorps anti-Lamine A/C sans affecter le marquage par l’anticorps anti-NuMa. Ce résultat est confirmé par western blot pour les lamines A et C. La méthode de transfection de siRNA dans les cellules de mammifères permet donc une extinction spécifique et efficace de gènes endogènes exprimés.
En conclusion, les auteurs orientent les futures recherches sur les mécanismes d’ARN interférence dans les cellules de mammifères et introduisent aussi la possibilité d’utilisation de cette méthode simple dans les laboratoires et le développement thérapeutique.
L’impact de ce papier, qui a été cité 5507 fois, est immense puisqu’il concerne plusieurs disciplines de la biologie. En effet, cette méthode permet d’accéder à une information proche d’un knock-out sur cellule mais avec peu de moyens et une facilité très attrayante. Désormais, peu d’articles utilisant la culture cellulaire arrivent à se passer de son utilisation, et les revues la demandent de plus en plus aux équipes de recherche.
Greg
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