(Bonjour à tous ! Voici une petite histoire pour un grand problème. Si vous n'aimez pas la littérature, la question est posée en 4 phrases tout en bas.)
Bonjour ! Je me présente : Ribulose bis-phosphate carboxylase, mais vous pouvez m'appeler par mon petit nom "Rubisco".
Je ne suis pas très connue, mais croyez moi, je suis une des enzymes les plus importantes du monde vivant. En effet, voici plusieurs centaines de millions d'années que je fixe sans relâche du CO2 sous forme de Ribulose, un sucre à l'origine de toute la matière organique. Ainsi, je suis l'enzyme toute-puissante sans qui il n'y aurait pas de photosynthère, et donc la vie sur terre se limiterait à quelques bêtes bactéries chimiolithotrophes.
Je vous sens venir, vous êtes en train de vous dire : "Wow ! ca, ca doit être de l'enzyme ! En plus une enzyme qui contrôle une fonction biologique si importante, et qui marche depuis des centaines de millions d'années au moins, elle a dû avoir tout le temps necessaire pour évoluer à la perfection, pour une photosynthèse parfaite et sans bavure!"
Détrompez-vous, car je suis bien malheureuse quand je compare mon sort à celui d'enzymes vieilles de quelques centaines de milliers d'années seulement, et qui ont su développer une affinité presque fusionnelle avec leur substrat. Elles sont la perfection en matière d'enzyme : un catalyseur efficace et étonnamment selectif et spécifique. Mais moi, je n'ai même pas été fichue en tout ce temps de m'occuper du CO2 uniquement !
En effet, et c'est là tout le malheur, si je suis capable de fixer le CO2 sous forme de matière organique, je suis également capable en présence de dioxygène de dégrader cette même matière organique. Imaginez un peu : d'une main, je détruis ce que je construit avec l'autre !!! C'est quand même le comble pour une enzyme !!!
Dans ma détresse et mon désarroi, j'en appelai au Père Créateur. Il me parla en ces termes : "Lorsque je t'ai confié ta mission, le taux de CO2 atmosphérique était à son maximum. L'affinité que tu pouvais avoir pour le dioxygène était donc bien loin de constituer un obstacle. Les conditions sur terre ont changé par la suite. Allais-je pour autant confier la photosynthèse à une autre ? Non Rubisco, tu as comblé la terre de tes richesses pendant tant de millions d'années ! La vie te doit tant, que tu dois continuer à perpétuer son miracle tant que le monde existera. Ainsi, ce n'est pas à toi de changer, toi l'ancienne, la sage, respectueuse, mais à tes hôtes. Oui, Rubisco, tu resteras ainsi, et ce sont les plantes que tu fais vivre qui s'adapteront à toi. Ainsi soit-il."
Alors, plutôt que de faire évoluer une petite molécule comme moi, Dieu fit évoluer les plantes qui m'utilisait, occasionnant des bizarreries anatomiques et physiologiques hors du commun, et ce, juste pour se plier à mon insolente exception fixiste ! De cette contradiction sont nées les plantes "en C4" et les plantes à "CAM". Elles jouent de mille ruses pour m'assurer la concentration en CO2 la plus forte, et la concentration en O2 la plus faible, pour que je puisse travailler dans les meilleures conditions, sans que mes bizarreries soient un obstacle au rendement de la photosynthèse.
Vous qui êtes des scientifiques, éclairez ma lanterne, et je vous en prie, dites-moi pourquoi l'évolution (qui ne m'a pas vraiment épargnée, puisque chaque gène est soumis aux mutations aléatoires et à la sélection naturelle) n'a pas fait de moi la reine de la spécificité enzymatique ! Le temps ne lui a pourtant pas manqué !!! Je me suis laissé dire que la taille de la molécule de CO2, et les caractéristiques communes avec O2, ne permettent pas une spécificité parfaite entre enzyme et substrat ! Qu'en pensent vos microscopes et vos équations ?
Prenez tout votre temps, j'ai attendu un milliard d'années, je patienterai bien encore quelques jours ! Merci à tous !
Ribulose bis-phosphate carboxylase, dite Rubisco, fournisseuse officielle de denrées à la vie terrestre
(Pour les fainéants, ma question est la suivante : Rubisco est une des plus vieilles enzymes à la surface de la terre. C'est aussi une des plus importantes. Or son affinité pour l'oxygène limite le rendement de la photosynthèse (par la photorespiration). Comment expliquer que l'évolution, qui a eu tout son temps, n'ait pas aboutit à une enzyme spécifique au CO2 uniquement, obligeant les organismes à développer des stratégies somme toute assez complexes (plantes en C4, plantes CAM) pour pallier à ce problème ?)
Merci à tous pour votre réponse
Josquin
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