Bonsoir à tous,
J'aimerais revenir avec vous sur des travaux scientifiques récents concernant les effets éventuels sur la santé mentale de certains perturbateurs endocriniens, en particulier les retardateurs de flammes bromés et chlorés et les pesticides organo-phosphatés :
- Polychlorinated Biphenyl and Organochlorine Pesticide Concentrations in Maternal Mid-Pregnancy Serum Samples: Association with Autism Spectrum Disorder and Intellectual Disability (Lyall et al., 2017)
D'après les travaux d’Edward Dutton, un jeune Professeur d’anthropologie britannique qui enseigne en Finlande, on observe depuis les années 1990, une baisse significative du QI moyen chez les jeunes adultes :
- The negative Flynn Effect: A systematic literature review (Dutton et al., 2016)
Pour expliquer cet effet, certains chercheurs se tournent vers les effets d'une carence en iode (ou en tout cas, d'un dysfonctionnement de la thyroïde, dont il faudra expliquer la cause), par analogie avec les travaux de Peter Pharoah et collaborateurs (Pharoah et al., 1971) en Papouasie-Nouvelle-Guinée sur les personnes atteintes de crétinisme, dû à un déficit en iode des mères dès les premières semaines de la grossesse.
Des études très intéressantes à ce sujet, depuis la fin des années 1970, sont celles de Francesco Vermiglio de l’Université de Messine (en Sicile) et ses collaborateurs, sur les enfants nés de mères carencées légèrement en iode :
- Defective Neuromotor and Cognitive Ability in Iodine-Deficient Schoolchildren of an Endemic Goiter Region in Sicily (Vermiglio et al., 1990)
Le problème, au-delà d'une carence généralisée en iode dans les pays occidentaux, ce sont également les molécules à base de brome, de fluor ou de chlore auxquels nous sommes exposés quotidiennement, confondues dans nos corps avec l'iode (dans la même colonne du tableau périodique).
Il y a assez longtemps, Arlene Blum, qui travaille aujourd’hui pour le Green Science Policy Institute, avait incriminé les retardateurs de flammes bromés et chromés, présents aujourd’hui dans de très nombreux objets de la vie de tous les jours. Pourtant, à la fin des années 1970, elle avait obtenu leur interdiction dans les vêtements aux États-Unis :
- Flame-Retardant Additives as Possible Cancer Hazards (Blum & Ames, 1977)
Barbara Demeneix, endocrinologue spécialiste du développement de la grenouille Xenopus laevis, chercheuse au CNRS, a cofondé la société Watchfrog qui essaye depuis 10 ans d'identifier les molécules susceptibles d’agir comme perturbateurs endocriniens à l’aide de têtards fluorescents, avec un certain succès (relayer massivement dans la presse, même en France) :
An In Vivo Multiwell-Based Fluorescent Screen for Monitoring Vertebrate Thyroid Hormone Disruption (Fini et al., 2007)
Irva Hertz-Picciotto de l’Université de Californie à Davis semble avoir démontré un lien entre problème de santé mentale chez les enfants et proximité de champs ou on épand des pesticides :
- Neurodevelopmental Disorders and Prenatal Residential Proximity to Agricultural Pesticides: The CHARGE Study (Shelton et al., 2014)
Au début des années 2000, Thomas Zoeller de l’Université du Massachusetts a mesuré le taux des polychlorobiphényles (PCB) de souris femelles gestantes et démontrer une action délétère sur le fonctionnement de la thyroïde, changeant le développement du cerveau chez la souris :
- Maternal thyroid hormone increases HES expression in the fetal rat brain: An effect mimicked by exposure to a mixture of polychlorinated biphenyls (PCBs) (Bansal et al., 2005)
Brenda Eskenazi de l’Université de Californie à Berkeley, auteure principale de l’étude Chamacos (Center for the Health Assessment of Mothers and Children of Salinas), semble démontrer, à travers des dizaines de publications dans ce cadre (que je ne vais pas lister ici), les effets délétères des pesticides organo-phosphates sur la croissance du cerveau, particulièrement au second et troisième trimestre de la grossesse.
Virginia Rauh de l’Université de Columbia, a démontré des modifications structurelles dans les cerveaux de 40 enfants de 12 ans exposés in utero au chlorpyriphos (pesticide contenu dans les sprays contre les cafards), à travers deux études menées à New York :
- Biomarkers in assessing residential insecticide exposures during pregnancy and effects on fetal growth (Whyatt et al., 2005)
- Brain anomalies in children exposed prenatally to a common organophosphate pesticide (Rauh et al., 2012)
Leonardo Trasande de l’Université de New York, à travers de nombreuses études, a tenté d’estimer l’impact économique de la baisse de QI due aux perturbateurs endocriniens en Europe et aux États-Unis, notamment une étude publiée en décembre 2016 dans la revue The Lancet Diabetes and Endocrinology :
- Exposure to endocrine-disrupting chemicals in the USA: a population-based disease burden and cost analysis (Attina et al., 2016)
Leonardo Trasande est également l'auteur d'une longue série d'articles très intéressants dans la revue Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism, parmi lesquels :
- Estimating Burden and Disease Costs of Exposure to Endocrine-Disrupting Chemicals in the European Union (Trasande et al., 2015)
- Neurobehavioral Deficits, Diseases, and Associated Costs of Exposure to Endocrine-Disrupting Chemicals in the European Union (Bellanger et al., 2015)
L'estimation de coût est toujours un objectif délicat et par conséquent très critiquable. En outre, c'est moins important ici puisqu'une discussion de tels articles serait sans doute largement hors-charte. Ils ont moins d'importance ici.
Thomas Zoeller est lui très critique sur l'attitude de l'Union européenne jusqu'alors, comme c'est expliqué dans deux articles publiés en août 2016, auxquels il a participé :
- Science-based regulation of endocrine disrupting chemicals in Europe: which approach? (Bourguignon et al., 2016)
- EU regulation of endocrine disruptors: a missed opportunity (Kortenkamp et al., 2016)
Il existe un documentaire sur ce sujet, diffusé sur Arté depuis début novembre 2017 (disponible en intégralité jusqu'au 10 janvier de l'année prochaine) :
Demain, tous crétins ? (~56 minutes)
Il n'est absolument pas nécessaire de voir ce documentaire pour discuter ici, puisque la littérature scientifique mentionnée plus haut (ainsi que d'autres travaux similaires) est déjà une source d'informations suffisamment riche et digne d'intérêt selon moi.
Cordialement.
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