Deux notions aussi aporétiques que le plaisir et le temps peuvent sembler difficiles à concilier : en effet, leurs définitions respectives sont insatisfaisantes. Et pourtant, si ces deux notions sont définies par des substantifs (des noms communs), il faudrait chercher à savoir quelles substances constituent ces substantifs. D’une part, le plaisir nous est décrit comme « ce qui est source d’émotion agréable ou de joie ». Or, l’agréable lui-même est « l’aspect plaisant (de quelque chose) » dans cette même encyclopédie. Donc, cette définition ne convient pas car elle donne un caractère cyclique et en conséquence périodique à une notion qui apparaît comme une expérience interne et singulière propre au sujet. Preuve en est, on ne dit jamais « il y a du plaisir » mais « quelqu’un a du plaisir ». Dès lors, on peut tenter de définir le plaisir de manière minimaliste et négative : il serait alors un état mental dans lesquel un sujet éprouve une absence de trouble lors d’un temps déterminé. Cette notion de temps est justement, d’autre part, tout aussi aporétique : les définitions comme « durée de quelque chose » ou comme « ce qui passe quand rien ne passe » incluant déjà en elles l’idée du temps. Comment donc allons-nous pouvoir relier deux notions imprécises et aporétiques et pourtant aussi fondamentales l’une que l’autre ? Est-il possible que, par un phénomène d’anti-interférence, joindre deux notions aporétiques puissent produire une issue ? L’opinion commune se figure généralement la nature de cette relation entre le plaisir et le temps par une opposition : idée fondée sur l’impression que c’est la mort qui nous vient du temps. Pour Heidegger, « La ‘fin’ de l’être-au-monde est la mort » (Être et temps, 2ème section, §45), mais c’est le temps qui nous vient de la mort, de notre conscience de la finitude humaine, et pas l’inverse. Cet ancrage idéologique nous pousse à confondre le temps et les phénomènes qui sont en lui : en ce sens, si on les distingue, la mort est dans le temps et pareillement pour le plaisir. Mais alors, quel lien causal existe-t-il entre le temps et le plaisir ? Comment l’opinion commune arrive-t-elle à opposer le plaisir et le temps ? Y a-t-il une primauté hiérarchique, ontologique ou principielle du plaisir sur le temps ? Ont-ils uniquement une relation d’implication ? Qu’apportent les neurosciences et la physique actuelles sur cette relation ? Peut-on définir positivement le plaisir ? Nous verrons, d’une part, en quoi l’épicurisme sous toute cette forme assure la primauté, dans l’ordre de la vie humaine, du plaisir sur le temps au-delà de l’opposition de nature naïve que s’en fait l’opinion commune (I) ; d’autre part, nous clarifierons certaines découvertes fondamentales en physiques qui viennent accorder une primauté cette fois au temps (II) pour enfin tenter de donner une vision positive du plaisir grâce à l’apport des neurosciences (III).
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