A la suite d'une remarque dans un autre fil je me suis dis qu'il serait utile de mentionner l'ouvrage de Gerald Holton sur le rôle de l'imagination en science.I
ll a écrit un livre remarquable sur le concept de 'thêmata' orientant l'activité du chercheur.J'ai lu ce livre il y a longtemps et il est bourré de réflexions intéressantes sur la façon dont Kepler,Einstein,Bohr et Fermi pensaient.
Il y a quelques extraits là:
http://www.archipress.org/episteme/holton.htm
p. 27 ; "Pour traiter de ces questions, j'ai proposé une neuvième composante de l'analyse d'une oeuvre scientifique -il s'agit de l'analyse thématique (expression à laquelle nous ont familiarisés des usages voisins en anthropologie, en critique d'art, en musicologie, et d'autres domaines). Dans nombre de concepts, de méthodes, et d'hypothèses ou de propositions scientifiques (voire dans la plupart), passés ou actuels, on trouve des éléments faisant fonction de thêmata, servant de contrainte, ou de stimulant, pour l'individu, déterminant parfois une orientation (une norme) ou une polarisation au sein de la communauté scientifique. Dans le cadre des exposés publics de leurs travaux par les scientifiques, et, le cas échéant, dans les controverses qui s'ensuivent, ces éléments ne sont d'ordinaire pas explicitement en cause. On ne trouve pas, habituellement, de concepts thématiques dans les index des manuels, pas plus qu'ils ne sont déclarés, en tant que tels, dans les revues et débats de la profession."
citation d'Einstein dans l'ouvrage:
p. 418 ; "Qu'est-ce qui les a menés jusqu'au temple ? La réponse n'est pas facile à donner, et ne peut certes pas tomber sans nuance. Tout d'abord, je crois, avec Shopenhauer, que l'un des mobiles les plus puissants, conduisant à l'Art ou à la Science, est d'échapper à la vie quotidienne, avec ses cruelles rigueurs et sa morne désolation, (d'échapper) aux entraves des désirs à jamais mouvants du particulier. il pousse l'homme délicatement accordé hors de son existence individuelle, dans le monde de la contemplation et de l'appréhension objectives ; il est comparable, ce mobile, à cette nostalgie qui retient irrésistiblement le citadin, hors de ses banlieues de confusion (unübersichtlich) et de rumeurs, vers le calme du site de haute montagne, où le regard vole au loin, à travers l'air pur et silencieux, pour se poser sur des contours paisibles, qui paraissent créés pour l'éternité. Mais, à ce mobile négatif, s'en adjoint un positif. L'homme cherche à former, de quelque façon qui lui convienne, une vision du monde simplifiée, s'embrassant d'un coup d'oeil (ein (...) übersichtliches Bild des Welt), et à dépasser ainsi le monde du vécu, en ce qu'il aspire à le suppléer, jusqu'à un certain point, par cette vision. C'est ce que fait le peintre, le poète, le philosophe spéculatif, et le chercheur scientifique (Naturforscher), chacun à sa façon. C'est dans cette image, et dans sa configuration (Gestaltung), qu'il reporte le centre de gravité de sa vie affective, afin de trouver, par là, l'aplomb et la sérénité qu'il ne peut trouver dans la sphère par trop étriquée de l'expérience (Erlebens) personnelle avec ses tourbillons."
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