LA RELEVE
Par ...... (hsur2pi)

Tout ce qui comptait dans le monde des « Computer Sciences » était réuni dans le grand amphithéâtre de l'Université de Princeton. Il y avait là trois cent cinquante spécialistes du calcul parallélo-intensif venus des quatre coins de la Terre, patientant, dans l'ignorance totale du sujet présenté lors de cette manifestation. Les hypothèses ne manquaient pourtant pas, mais se perdaient, se diluaient dans le sympathique brouhaha qui sévit habituellement lors des congrès scientifiques. Le carton d'invitation mentionnait seulement:

Calcul parallèle: Une percée technologique.

Un spécialiste en météorologie fantasmait fébrilement sur la prévision à deux ou trois mois (peut-être quatre!). Un ancien élève de Stephen Hawking se voyait déjà simulant une « évaporation » de trou noir. Douglas Hofstadter, bien qu'à la retraite, espérait fermement que l'Intelligence Artificielle allait faire un important bon en avant.
L'arrivée sur le podium du Professeur Jeremy Joffrey Thomas Watsen, président de séance, provoqua instantanément un silence impatient.
Après les quelques banalités habituelles de bienvenue, l'annonce d'une excursion dans le Maine le lendemain (les épouses sont invitées), dîner aux chandelles à 7h30 PM précises, JJT Watsen céda la parole à Mister John Higgins, Ingénieur-Chercheur chez un géant mondial de l'informatique.
Après s'être éclairci la voix , John Higgins commença:
"Le jour où un Homo Erectus se pencha pour entasser quelques pierres afin de retrouver son chemin, on peut dire que ce génie méconnu a tout inventé! Depuis, on s'est borné à perfectionner le tas de cailloux! (murmures indignés chez les uns, sourires amusés chez les autres)
Je passerai rapidement sur ces cailloux qui conduisirent à des calculs plus ou moins savants, sur le boulier chinois, les abaques, la machine de Pascal, le métier Jacquard (ancêtre du programme à cartes perforées)
"Arrivons à Babbage (et à Ada), qui, le premier, conçu ce que nous appelons aujourd'hui: Computer, Ordinateur etc. Face à ces nouveaux moyens de calculs, il était bon de se poser la question: Quelles sont les limites de ces machines? La réponse fut en partie donnée par Alan Turing, mathématicien et logicien anglais. Je n'entrerai pas dans les détails connus des travaux de deux célèbres détectives de la logique mathématique: Tarski et Church qui montrèrent l'équivalence des machines de Turing, des fonctions récursives et des algorithmes.

"Je ne m'étendrai pas non plus sur la théorie de la complexité, excepté pour mentionner que cette théorie introduit une limite pratique aux possibilités des machines. En effet il ne servirait de rien de lancer une tâche demandant une centaine d'années de calculs! C'est précisément pour pouvoir confier à l'ordinateur des tâches de plus en plus lourdes que fut inventé le « calcul paralléle » grâce auquel le gouvernement des Etats-Unis espérait une vitesse de calcul de 1000 Gigaflops/seconde pour la fin du XXéme siècle. On sait que cette vitesse de traitement fut atteinte (et même dépassée), mais que, très vite, on se rendit compte que ce n'était pas suffisant.

"La solution? Changer de technologie! Qu'attend-on du calcul parallèle? Qu'il effectue plusieurs sous-tâches simultanément toutes convergeant vers un objectif final et unique.

"Alors, quelle peut bien être cette nouvelle technologie? La réponse est: le parallélisme quantique! Oui Mesdames, oui Messieurs, l'équipe que je dirige dans la Société qui m'emploie, après de longs et difficiles travaux, a enfin conçu et réalisé le Premier Ordinateur Quantique! Sans entrer dans des détails nécessairement complexes, je préciserai seulement que c'est la propriété que possède toute particule d'être simultanément en plusieurs états différents qui est utilisée dans ce nouveau type de machines. Ce qui aurait demandé des milliards d'années de traitement à un ordinateur classique est réduit à quelques secondes sur ce nouveau type de matériel! (le brouhaha reprend)

Peut-être désirez-vous voir, à défaut que de la toucher, cette machine qui va bouleverser nos habitudes de calcul? Eh bien, la voilà!:
(John Higgins actionne une télécommande, un rideau s'escamote, la super-machine, étincelante, apparaît; on entend un vieil enregistrement de la «conquête de l'Ouest »)
"Rassurez-vous, reprend John Higgins après le départ des Pom Pom Girls, si vous n'y pouvez toucher, du moins pourrez-vous lui confier un calcul de votre choix. Il vous suffira de définir vos problèmes et mes assistants les recueilleront ce soir après le repas. La machine sera alors préparée en conséquence, et effectuera la tâche demandée devant vous. Des questions?
Passons sur les questions. Comme toujours, certaines, les plus gênantes pour le conférencier, étaient franchement idiotes.

D'autres provoquèrent d'inévitables digressions de mécanique quantique. De son côté, D. Hofstadter tenait un micro-meeting dans un petit coin et revenait à son dada favori, à savoir que l'apparition de la conscience s'apparente à une transition de phase dans un système logique complexe...
Mais, comme il se doit, le vrai débat commença dans les couloirs et connut son point culminant à table. Bien sûr, certains se privèrent de dîner pour mijoter une proposition de calcul tirée directement de leurs rêves les plus fous.
Puis, enfin, on revint dans le grand amphithéâtre. Déjà, les opérateurs s'affairaient autour de la machine, la préparant pour la première tâche qui allait lui être soumise.

Chacun ayant regagné sa place, le silence s'installa et John Higgins repris la parole:

"Le premier problème que nous allons confier à notre QC (quantum computer) concerne la résolution de l'équation de Schrödinger pour un atome d'U238. Vous n'ignorez pas que, en dehors de l'atome d'hydrogène, on est réduit à des simplifications qui peuvent rendre les résultats non significatifs. Aussi, il ne serait venu à l'idée de personne de vouloir traiter complètement la résolution de l'équation de Schrödinger pour un atome d'U238. Pour ce qui concerne le QC, nous estimons à quelques dixièmes de seconde le temps nécessaire aux calculs. (re-brouhaha)

"Voilà, on me fait signe que la machine est prête. Je vous informe de plus qu'elle est dotée d'un haut-parleur lui permettant de nous adresser des messages parlés. En particulier, elle nous annoncera elle-même la fin des calculs. Enfin, nous l'avons munie d'« oreilles » car nous espérons pouvoir bientôt lui communiquer oralement nos directives.

"On peut donc y aller: Départ!

Oh l'attente ne fut pas longue! Quelques crachotements gênés sortirent du haut-parleur, suivis de l'aveu:

M....., j'me suis trompé!

le 23 juillet 1995

Références:

Deutsch, D (1985) Quantum theory, the Church-Turing principle and the universal quantum computer. Proc. Roy. Soc. London.