Bonjour à tous,
Quelques réflexions à l’attention de ceux qui pensent que l’Histoire est un bien commun et universel, que notre patrimoine peut et doit être sauvegardé avec l’aide de chacun,
Je lis beaucoup, j’apprends sans cesse mais je m’interroge toujours, de plus en plus perplexe devant ce que je finis par considérer comme un immense gâchis : quand archéologues et amateurs (au sens non professionnels) d’Histoire parviendront-ils à trouver un véritable terrain d’entente ?
Tout semble opposer les uns aux autres.
Je résume mais il y aurait d’un côté le pillage, de l’autre la protection et l’étude scientifique. Blanc ou noir. Manichéen, simpliste.
L’Histoire ne manque cependant pas de piquant lorsque l’on sait que les Musées (pas seulement français) rechignent parfois à rendre à leurs pays d’origine certaines œuvres/antiquités qu’en d’autres temps nous nous étions appropriés, ou que certains ouvrages mentionnent l’existence d’objets découverts au 19ième siècle et qui, s’ils n’ont disparus, seraient conservés sans que l’on sache très bien où (ex : La Mayenne, Archéologie et Histoire, Actes du centenaire de la commission historique et archéologique de la Mayenne, 1981 (3) ; p 125, ref aux monnaies trouvées en 1864 au Gué saint Léonard et « théoriquement conservées au Musée de Mayenne »). Je m’abstiendrais d’aller plus avant pour ne pas rentrer dans ce débat stérile qui ne sert qu’à conforter chaque « camp » dans sa propre opinion et le déni de ce que chacun pourrait apporter à l’autre.
Le participatif fonctionnant chez nombre de disciplines scientifiques (astronomie, biologie, mathématiques….), je préfère essayer d’être constructif (idéaliste ?) et soumettre diverses remarques à la sagacité des uns et des autres :
1) Les technologies évoluent pour la localisation des sites archéologiques.
Hier les détecteurs de métaux, aujourd’hui l’imagerie aérienne, satellite ou par drone. Imaginer que la localisation d’un site potentiel reste l’apanage d’une minorité quelle qu’elle soit est utopique. A titre d’exemple, par les moyens d’imagerie à la portée de tous, j’ai facilement répertorié plus de 2000 sites potentiels sur notre sol (cela m’a coûté de longues soirées, mais c’est tout…). Et cet inventaire, avec la création concomitante d’une base personnelle de données de géolocalisation, se poursuit lorsque mon travail me le permet. Une vie ne suffirait probablement pas à les analyser. Ce n’est pourtant qu’un début puisque la précision de ces outils va croissante.
J’ai d’ailleurs mis en ligne un site internet en français que j’alimente chaque semaine avec de nouvelles images et prévenu plusieurs archéologues pour leur faire part de mon initiative. Il n’y a volontairement aucune mention de la localisation des sites. Dans un souci de préservation du patrimoine je souhaite en effet réserver ces informations à l’usage des professionnels. Pour l’instant, ce projet n’a pas eu l’air de susciter beaucoup l’intérêt… Dommage, mais qu’importe. Je le fais par plaisir.
Autre exemple de cette absence de dialogue entre les parties, pour aussi avoir déjà signalé directement auprès des services archéologiques de mon département l’existence de villae romaines (dont certaines nouvelles, cela au moins ils me l’ont effectivement confirmé), force est de constater que si plus de trois ans se sont écoulés depuis la fourniture des clichés, je n’ai jamais été informé d’une quelconque suite donnée à ces découvertes.
Ce constat d’univers apparemment opposés et sourds aux autres me chagrine.
Je sais que le manque de moyens est un fléau pour tous les scientifiques mais la course est engagée entre sauvetage et pillage (oui, c’est déplorable, mais cela existe bien sûr) ou, plus simplement, disparition pure et simple par le biais des engrais/pesticides et autres destructions volontaires.
Dans un contexte d’évolution technologique rapide de la localisation des sites, ne serait-il pas utile, voire judicieux, d’allier les forces plutôt que de les opposer ? Je ne doute pas qu’une large part des archéologues se désole de ne pouvoir intervenir que trop tard, ni que nombre d’amateurs (et j’y inclus, n’en déplaise à certains, des utilisateurs de détecteurs) ne souhaite que le sauvetage d’objets pour les partager ensuite avec nos concitoyens, sans arrière-pensée mercantile.
Doit-on, au risque de braver la loi, aller sur place, récolter d’éventuels échantillons pour prouver la véracité d’un site et que ces lieux soient considérés à leur juste valeur (non pécuniaire, mais historique), étudiés et protégés ? Ubuesque. Parlons-nous. Ce sera plus efficace.
2) Les technologies d’investigation des objets évoluent.
Déplacer un objet (le prélever), indépendamment de la manière dont il a été localisé, n’est pas synonyme de perte irrémédiable d’information. Il en restera toujours. L’affirmer et le croire, c’est aussi nier le fait que toute science évolue. L’archéologie n’y échappe pas.
En effet, qui aurait pu penser il y a cent ans qu’on parviendrait à analyser la composition d’un alliage avec la précision actuelle ? Qui pensait, il y a cinquante ans, que l’on serait en mesure d’analyser des picogrammes de matière ? De quoi sera-t-on capable dans 10, 50 ou cent ans ? Si l’on veut être rigoureux comme se doit de l’être un scientifique/archéologue dans sa démarche, il faut être humble devant ses découvertes, prêts à les remettre en question et surtout ne pas commettre l’erreur de penser que tout est dit au temps T.
Je n’ose ainsi imaginer la quantité d’informations que l’on pourra certainement encore tirer d’objets dormants dans des vitrines (musées ou particuliers) dans quelques dizaines d’années, et ce même si le contexte semble perdu (il n’est pas impensable de pouvoir un jour retracer le parcours d’un objet et donc retrouver le site originel à partir de poussières toujours accrochées…)
Plus personne ne fouillerait (et heureusement !) un site comme au 19ieme siècle. Aujourd’hui avec de telles méthodes, les pionniers de naguère seraient sans nul doute voués aux gémonies pour pillage et vandalisme. Pourtant, il n’est qu’à lire le contenu de nos manuels et des documents sur lesquels nous nous appuyons pour constater tout le profit tiré de l’exploitation de données obtenues avec ces méthodes archaïques.
Essayons donc faire preuve d’indulgence, et, avec de la patience, exploiter toutes les sources d’informations disponibles aujourd’hui et demain.
3) L’encadrement de l’utilisation d’instruments de détection.
Oui (un permis ? pourquoi pas). Quoique, à mon sens, vu les technologies disponibles (cf début du post), plus besoin de ce matériel pour localiser un site... Un GPS est amplement suffisant !
Aussi, si l’inventaire du patrimoine et la protection sont la priorité, alors ce combat (pour ou contre) me semble d’ores et déjà d’arrière-garde.
Petite remarque sur la législation actuelle : l’obtention d’une autorisation administrative, si elle existe bel et bien, est d’un flou surprenant : nul texte légal, à ma connaissance, ne semble stipuler précisément les compétences à démontrer, ni ce que doit contenir ladite demande (en tant que scientifique de carrière, habitué notamment aux guidelines hyper-pointilleuses d’organismes de financement français de projet de recherches type ANR, cela laisse dubitatif). Et puisqu’il est impossible de savoir quels éléments sont évalués, on peut légitimement se demander ce qui peut motiver l’octroi ou le refus de la demande. Un diplôme ? Si c’est le cas, soyons clair d’un point de vue législatif et réservons cet appareil à l’usage exclusif des seuls archéologues. Dans le cas contraire, peut-être que plus de clarté et de transparence serait à envisager.
En l’état, il faudrait que chacun soit capable de garder à l’esprit qu’on peut être passionné, documenté (sans être infaillible) et ne pas avoir la possibilité (physique j’entends, non intellectuelle) d’entreprendre un cursus pour obtenir un diplôme spécifique ou passer des journées entières de bénévolat sur des chantiers de fouilles pour acquérir toute la méthodologie d’un professionnel (méthodologie qui, au demeurant, n’est peut-être pas nécessaire pour juste identifier un site et en mesurer le potentiel).
Une suggestion : un fichier des possesseurs de ces matériels (lors de l’achat, obligatoirement en France) et la nécessité d’un accompagnateur pro ou semi-pro (étudiants d’un certain niveau, personnel habilité…) pour toute sortie de prospection.
Si pas de fiche pour achat (à l’étranger/ internet pour contourner…), saisie etc..
Si pas d’accompagnateur, idem…
Contraignant pour chaque partie mais probablement efficace si chacun joue le jeu. Ce serait un premier pas.
Mais bien entendu, rien ne pourra se faire si les communautés (professionnels, amateurs) refusent de se rapprocher réellement et ne cessent de se combattre.
Tout le monde gagnera à un dialogue serein. Notre patrimoine le premier.
-----