Dans un article du Monde paru le 01/04/03:
http://www.lemonde.fr/article/0,5987...14967-,00.html
Message de la modérationLa salamandre, vieille de 160 millions d'années
LE MONDE | 31.03.03 | 13h24
Les salamandres sont aujourd'hui menacées de disparition.
Les zoologistes ont parfois recours à des systèmes de rangement bizarres pour s'y retrouver dans l'immense diversité du règne animal. Dans l'ordre des urodèles, qui fait partie de la classe des amphibiens, les espèces sont ainsi groupées en plusieurs familles, parmi lesquelles on distingue notamment les cryptobranchidés et les salamandridés.
A cette dernière appartiennent les salamandres, dont l'espèce la plus commune en Europe, Salamandra salamandra, présente, sur son corps noir, lisse et luisant, de somptueuses taches jaune d'or.
(origine de l'image: http://www.scolagora.com/talant-pre/.../1fontaine.htm)
Et chez les cryptobranchidés, que trouve-t-on ? Surprise ! Des salamandres...
Pas tout à fait comme les autres, il est vrai, et n'existant plus aujourd'hui qu'en nombre restreint : trois espèces exactement, toutes de grande taille et strictement aquatiques. Un trio auquel une équipe de chercheurs sino-américaine vient d'attribuer des ancêtres fossilisés inattendus, extraordinairement bien conservés et atteignant l'âge respectable de 160 millions d'années.
Reprenons. Et ouvrons, pour y voir plus clair, le Dictionnaire du règne animal (éd. Larousse, 1999). "Le ménopome, ou salamandre- alligator (Cryptobranchus alleganiensis), habite les cours d'eau des massifs montagneux de l'est des Etats-Unis", peut-on y lire.
Les salamandres géantes asiatiques, quant à elles, appartiennent au genre Andrias : A. davidianus en Chine orientale, A. japonicus dans le Japon méridional.
De celles-ci, on apprend encore qu'"elles vivent l'une et l'autre dans les ruisseaux et torrents ombragés, à cours rapides", et que "les mœurs des Andrias sont proches de celles du ménopome, leur parent américain". Proches aussi, sans doute, de celles qu'avait adoptées l'une des espèces archaïques récemment découvertes, dont les caractéristiques anatomo-morphologiques sont décrites dans la revue Nature (datée du 27 mars).
Pendant plus de trois ans, Ke-Qin Gao (université de Pékin) et Neil Shubin (université de Chicago) ont collecté des centaines de vestiges de cette salamandre, fossilisés à foison dans plusieurs sites volcaniques de Chine et de Mongolie. Imprimée dans la pierre, la trace de son squelette et d'une partie de ses tissus s'y observe comme à livre ouvert. Un trésor. D'autant plus inestimable que les squelettes similaires dont on disposait jusqu'alors n'excédaient pas, en âge, les 65 millions d'années.
Les sites étudiés par Gao et Shubin datant du milieu de la période jurassique (il y a 165 à 180 millions d'années), la plus ancienne salamandre connue, baptisée Chunerpeton tianyensis, fait donc un bond en arrière d'environ 100 millions d'années.
Plus surprenant encore : les squelettes mis au jour (qui ne diffèrent entre eux que par d'infimes variations dans la forme des doigts ou des côtes) sont extrêmement proches de celui du ménopome américain, notre contemporain !
"Les cryptobranchidés actuels peuvent être considérés comme des fossiles vivants, dont la structure n'a strictement pas changé depuis 160 millions d'années", constatent les chercheurs. A leurs yeux, cette découverte accroît la probabilité de deux hypothèses : les différents groupes de salamandres – salamandridés compris – produits par la nature ont dû diverger avant cette date, et leurs premiers représentants sont sans doute apparus en Asie.
MENACÉES DE DISPARITION
Présentes sur la Terre depuis des temps immémoriaux, à quelles catastrophes naturelles ont assisté ces belles à peau luisante, mi- terrestres mi-aquatiques, que François Ier avait fait représenter sur ses armes au milieu des flammes, avec pour devise : "J'y vis et je l'éteins" ?
Elles ont connu plusieurs extinctions du vivant, dont celle, terrible, qui anéantit les dinosaures. Elles se sont diversifiées en des dizaines d'espèces, se sont adaptées aux conditions écologiques et géographiques les plus variées... Et elles sont aujourd'hui menacées de disparition. Toutes, sans exception. Comme l'ensemble des amphibiens, et sans que l'on sache véritablement pourquoi.
Les jours de la salamandre tachetée sont-ils déjà comptés ? Elle qui, depuis des millénaires, occupe toute l'Europe à l'exception des Hautes-Alpes et de certaines régions méridionales, elle qui crapahute en incurvant d'un côté puis de l'autre son long corps de lézard dans les zones humides des forêts de feuillus, figure en tout cas sur le Livre rouge des espèces menacées de France en tant qu'animal dont il faut surveiller l'évolution.
C'est ce qu'a fait Alessandro Catenazzi. Etudiant en zoologie à la faculté des sciences de l'université de Neuchâtel (Suisse), il a entrepris voici quelques années, dans le cadre de son travail de mémoire, d'étudier l'écologie d'une population de salamandres tachetées dans les vallées méridionales des Alpes en Suisse et en Italie.
Ses objectifs ? Etablir la variation saisonnière du nombre d'animaux, préciser la densité et la structure de leur population, repérer leurs domaines vitaux.
Et c'est ainsi, au cours de ses recherches, qu'il a découvert qu'il n'était pas "le seul à être tombé amoureux de cet animal, mais que d'autres personnes, d'autres époques avaient été sensibles au charme de son apparence, et avaient construit au fil des siècles un mythe qui survit encore dans la mémoire de nos sociétés judéo-chrétiennes". Combien de temps y subsistera- t-il, ce mythe, quand l'espèce et ses cousines auront définitivement disparu ?
Catherine Vincent
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 01.04.03
Correction de la faute de typo dans le titre. Damon
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