Salut,Envoyé par DINOULIX
lorsqu'il disait ça, il ne parlait pas des scientifiques mais des gens en général.
Et pour éviter que la discussion se résume à "Moi je trouve ça agréable" et "Moi je trouve ça pas bien", je vais développer sur les différences entre sciences et philosophie.
Avant que la "philosophie" ne soit un "domaine", il y avait le "philosophe", "ami de la sophia (sagesse, savoir, connaissance)".
Etre cet ami, tout le monde peut s'en revendiquer quelle que soit son activité. Les publicitaires prétendent même créer des concepts ("Avec Cafferour, je positive" comme aurait pu chanter Laurie à Raffarin). Soit on considère que la philosophie n'a pas de pensée spécifique et on dit "il n'y a plus de philosophie", soit on distingue son mode de pensée des autres.
Au XXIe siècle, la philosophie se distingue des sciences par les problèmes qu'elle pose et, éventuellement, un mode particulier de pensée. Les sciences sont ici sous-entendues comme sciences expérimentales, c'est-à-dire prenant l'expérience répétable et mesurable comme critère de vérité.
La philosophie n'a pas forcément que ce critère de vérité, et certains sont parfois plus proche des mathématiques (cohérence) ou de l'art (authenticité) par exemple.
Au niveau général, les sciences exigent un seul discours, demandent une convergence des théories en une chaine unique de notions qui formeront son langage univoque, sa vision du monde qu'elle appellera le Réel. C'est le résultat de l'exigence de répétabilité où le réel devient l'expérience moyenne, commune, testable par tous.
La philosophie, elle, admet plusieurs champs de discours divergeant chacun développant une vision complète du monde, une manière originale de vivre dans le monde. On peut ne pas entrer dans le monde de Descartes (le cogito comme base) et être à l'aise dans celui de Spinoza (l'absolu infini comme base). Les cartésiens ne sont pas pour autant plus bêtes que les spinozistes, et il y a le Réel pour un cartésien et le Réel pour un spinoziste, chacun ayant au minimum en commun le réel scientifique, l'expérience empirique. Les mondes philosophiques sont plus vastes que le monde scientifique - qui reste leur dénominateur commun - parce qu'ils intègrent le singulier, l'original, le vécu, le personnel, le métaphysique.
Et je serais tenté de dire que c'est lorsque la philosophie quitte l'exigence scientifique d'une seule vision du monde, qu'elle devient pleinement philosophique. Avant, elle est plutôt théologique.
C'est d'ailleurs surtout avec le théologique ou l'idéologique que les sciences ont des problèmes : guerre pour imposer une vision unique.
Lorsque tu dis qu'un scientifique peut faire de la philosophie, tu vas tout à fait dans mon sens comme quoi la philosophie peut être utile aux scientifiques. Mais il s'agit moins d'une lutte de pouvoir ("Mon papa, il est scientifique !" "Ah ouais ? Eh bien mon papa il est philosophe !") que de savoir si le travail est sérieux ou pas.
Quelqu'un de professionnellement scientifique peut faire oeuvre de philosophie (Whitehead, Prigogine, d'Espagnat...), c'est-à-dire poser des problèmes philosophiques mais il s'agit d'un vrai travail, il faut faire ça sérieusement.
Des scientifiques qui font de la pseudo-philosophie parce que parler de Dieu c'est vendeur, ce n'est pas très sérieux.
Exemple d'Hawking :
"Si ce cadre philosophique l'expose aux frais des critiques populaires et de celles des intellectuels dont les philosophes et les théologiens, c'est un excellent support de vente qui a fait dire à Hawking qu'il aurait réduit ses ventes de moitié s'il avait supprimé la dernière phrase de son livre." http://www.astrosurf.org/lombry/hawking-hommage12.htm
De même, il y a des épistémologues dont la compétence scientifique doit être de niveau professionnel mais il y a d'autres auteurs qui se servent de tous les domaines de la culture pour penser et pour lesquels une exigence d'honnêteté me semble suffisante de même que je ne demanderais pas à Prigogine de connaître le détail de la théorie aristotélicienne de l'entélechie pour faire de la philo.
Je suppose que tu ne connais pas l'oeuvre de Deleuze et que tu ne sais donc pas quel est le sens de son usage des sciences. Bricmont et Sokal admettaient qu'ils n'étaient pas en mesure de juger la qualité du travail des auteurs dont ils critiquaient des extraits, et forcément, quand on connaît ces oeuvres on ne peut que trouver leur critique légère.
Si pour un penseur, il s'agit de prendre des termes scientifiques juste pour faire le malin, c'est aussi nul que Hawking et Dieu, si il s'agit de tenter d'expliquer sa pensée avec tous les moyens disponibles, je ne vois pas où est le problème.
Donc, soit on montre que Deleuze ou autre n'utilise les sciences que pour faire le malin, c'est-à-dire qu'on montre que sa pensée philosophique ou autre ne vaut rien, soit on ne fait que montrer qu'on ne le comprend pas et on défend son territoire comme si on était propriétaire de son petit jardin d'idées et qu'un non-admis au club avait posé le pied sur la pelouse.
En tout cas, je suis le premier à inviter les scientifiques à se mêler sérieusement de philosophie ou les philosophes à devenir sérieusement scientifiques. Pour moi, la philosophie est trop enseignée comme une discipline littéraire.
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