Les maths sont un outil à l'origine pour compter moutons et sacs de blés.
Il est curieux de constater que cet outil rudimentaire à l'origine ait pu être développé au point de toujours être pertinent à l'heure actuelle. (On a depuis longtemps abandonné le silex comme outil, si on veut comparer les permanences d'adéquation des outils aux développements)
Dans un premier temps, il permis de constater certains rapports, en géométrie notamment : Rayon/circonférence-surface d'un cercle ou surface-volume d'une sphère ; périmètre et surface volume de diverses formes géométriques ; théorème de pythagore etc etc. c'est presque la première science "de repérage". Elle fut très vite adoptée par la science hellénistique (théorème d'Archimède etc).
Petit à petit elle s'imposa en maintes approches du réel (modélisations du mouvement des planêtes) jusqu'à devenir un outil de corroboration des hypothèses scientifiques.
Mais pas de toutes : l'évolutionisme s'est imposé initialement sans faire appel à elles par exemple, basée quasi uniquement sur l'observation comparative.
Mais les maths, en tant que modélisation d'une théorie, ont franchi un pas supplémentaire en devenant prédictives Ainsi la théorie Newtonienne pouvait prédire la dynamique des corps à l'avance par prévisions mathématiques indissociables désormais de certaines théories.
Mais en sorte les maths n'accompagnaient que des théories sur des phénomènes observables.
Avec Einstein et d'autres les équations commencent à prévoir l'existence de phénomènes jamais observés auparavant (Trou noir, déviations des rayons lumineux etc etc).
Notons bien l'évolution :
1. Les maths ne sont qu'un outil de modélisation : Aucune équation n'a alors "anticipé" une hypothèse.
L'observation des faits connus précède la modélisation théorique. Ces hypothèses cherchent les équations qui pourrait les modéliser. Pour ça elles reportent des mesures de faits dans un référentiel mathématique (généralement repère orthonormé, mais pas forcément) : Graphiques dont la forme donnent à penser à des représentations graphiques d'équations, alors adoptées en vue de corroboration avec toutes les mesures possibles et imaginables d'un phénomène.
Si ça marche, l'équation est entérinée comme support de la théorie. Prédictive alors.
2. Les équations sont toujours issues de théories basées sur l'observation initiale de faits réels. Mais prévoit des phénomènes non observés jusqu'alors.
d'où les équations ne sont plus seulement tirées des faits, mais les prévoit aussi en subodorant leur existence dans les équations. Ceci dit les équations ne sont plus tant tirées de similitudes avec des reports de mesures de faits sur des feuilles de papier, mais plus de concepts intellectuels valsant dans l'esprit des chercheurs (néanmoins avec retour aux graphiques papier à terme sur des mesures objectives)
Pour en revenir à nos moutons , c'est un peu comme si un berger en comptant ses moutons en Grèce eut ainsi pu subodorer l'existence des lamas en Amérique du Sud. Etonnant !
3. Un pas supplémentaire a été franchi avec la théorie des cordes.
(Je n'ai aucune prétention à juger de sa validité ici, c'est juste un point de vue épistémologique)
L'équation préexistait à sa déduction tirée des phénomènes en étude.
Certes c'était un peu le cas avant : une équation existe forcément toujours avant son écriture, et les comparaisons avec les reports de mesures papiers se faisaient en rapport avec des représentations graphiques d'équations préexistantes, mais pour autant réclamait quelques tâtonnements quand au bon graphique et affinement des équations après ce premier repérage. L'équation finale était déduites des faits en somme.
Ici une tronche de chez tronche (Gabriele Veneziano) s'intéressait à la fois à la physique des particules et aux équations orphelines. Une équation orpheline est une formule de mathématique pure qui n'a apparemment aucune application réelle: un objet de curiosité pure pour les super matheux.
En jonglant ainsi dans sa tête avec les modèles des deux disciplines, voilà t-y pas qu'il se dit qu'une équation orpheline lui faisait penser à la Force Nucléaire Forte.
Et il gamberge, et tire une hypothèse de concordance entre cette équation et La FNF. Mais soyons clairs, à terme son modèle ne vise pas moins que l'équation du Grand Tout (TOE : Theory Of Everything) pour ses successeurs.
On ne sait encore si ces élégantes équations aboutiront à quelque choses de totalement abouti, mais si tel est le cas ça poserait une hypothèse surprenante. Car ici une équation orpheline aurait trouvé une application pratique, voir plus aurait modélisé la Théorie du Tout. Ce n'est pas anecdotique quand même.
Certes les équations des cordes ont du être travaillées et retravailleés pour aboutir à une relative pertinence, mais quand même, pour la première fois une équation tirée d'aucune concordance réelle à priori aurait trouvé "miraculeusement" une application concrète dans la force nucléaire forte (voir dans la Théorie du Tout).
Bref, une équation serait à l'origine, et non plus découlerait, d'une modélisation théorique.
L'outil maths en l'occurrence tendrait à prescrire la théorie plutôt que la servir, et prévaudrait ici sur l'intellect quant à la pose des hypothèses (modèles explicatifs). Bon j'exagère ici, mais c'est la tendance. Les maths ne nous indiqueraient-elles pas des objets inconnus de nous à découvrir ? Pour les cordes, c'est déjà des dimensions inobservables, voir des univers parallèles inobservables.
La voie a été ouverte par les trous noirs et autres curiosités physiques tirées des équations d'Einstein, néanmoins issues, elles, du réel ; alors que les cordes sont issues d' équations orphelines quasiment plaquées de force sur le réel, avec certes un certain retour de pertinence, mais quand même.
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Je nous propose ici de tenter de replacer l'outil à sa place dans les processus scientifiques
Revenons à nos moutons :
Soit un troupeau de mouton, pour en déterminer la valeur il faut évaluer sa taille. Mais ça s'arête là. D'abord c'est aussi de l'ordre de la "qualité" des moutons, en bonne santé ou pas, et là on est dans le subjectif ; idem pour évaluer la valeur d'un mouton en terme de sacs de blé équivalent.... L'outil maths ne fait pas tout.
Voir même on peut se demander si à terme il ne deviendra pas vaguement désuet comme le silex en son temps : L'outil a peut-être des limites qu'on n'a pas encore atteintes (si quand même parfois : modéliser l'évolutionnisme en équation est de l'ordre de l'impossible par exemple).
Mais surtout, si l'on considère les maths comme un outil parmi d'autres, et seulement un outil, l'outil d'évaluation dit-il la vérité ?
Considérons un outil de base : l'oeil humain.
L'observation visuelle du ciel par cet outil nous a indiqué durant des siècles que le soleil tournait autour de la Terre.
Un autre outil est nécessaire : l'intellect pour sortir de cette illusion d'optique. Conceptualiser les choses prévaut sur la perception des choses en sorte.
Voir les deux formes d'outils ne sont pas fondamentalement de même nature. Et paradoxalement, ce n'est tant l'oeil qui serait en cause, mais l'interprétation de ce qu'il nous montre : Le ciel tourne-t-il autour de nous, ou est-ce la Terre qui tourne sur elle même ?
Etendons le concept :
Tout instrument de mesure ou d'observation, si sophistiqué qu'il soit, n'est qu'une extension du concept de l'outil visuel, où la perception qu'il nous donne du réel n'est qu'illusion d'optique à interpréter.
Et pour aller plus loin, les maths n'échappent pas à ce concept d'outillage. Et même les théories ne sont en sorte que des "outils" conceptuels. Aussi bien après un ou deux changements de paradigmes, il n'en restera rien ou peu de choses.
N.B. : Je m'arrête un instant pour relativiser ce nihilisme impropre : Les modèles scientifiques seront toujours pertinents à leur échelle actuelle, voir usités si on ne trouve pas plus simple (et la tendance serait à la complexification des modèles, mais sait-on jamais). Ainsi pour regarder les étoiles avec son télescope amateur, le géocentrisme, désuet par ailleurs, suffit.
Je reprends :
Tous nos outils, techniques ou conceptuels, ne forment que des illusions d'optique.
Toutes nos théories ne sont ainsi qu'une perception relativement pertinente mais très momentanée des choses : une sorte de photo à l'instant "t" de nos connaissances.
Et probablement dans 500 ans on se posera la question de savoir si nos connaissances étaient vraiment de nature scientifique, tant elles paraîtront d'une vanité désuète.
(étant donné l'accélération des connaissances, nous ne seront pas des sortes de précurseurs grecs, mais plutôt des papous à leurs yeux).
Par exemple, on nous serine régulièrement ici que la socio, la psycho, les sciences humaines en général, ne seraient pas de l'ordre de la science. Disons que ce sont autant des sciences (voir plus), que les sciences physiques seront vues dans 500 ans. C'est juste une question de perception.
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En fait, je me (vous) pose la question de rupture épistémologique, qu'on pourrait envisager aussi sous l'angle du changement de pardigme.
J'explique les concepts : les deux peuvent être illustrés par le passage du géocentrisme à l'héliocentrisme.
La rupture épistémologique peut être définie comme la prise de distance avec le sens commun. Il y a une forme de pensée commune dans le social qui tend à définir les choses par le biais du "bon sens" commun. Dans le géocentrisme s'entendait ainsi que la voûte céleste tournait dans le ciel comme une évidence. Pour aborder les choses rationnellement, il faut ainsi rompre avec les idées reçues pour dénicher des mécanismes "cachés" (sons-jacents) à la perception immédiate. Ceci vaut tant pour le bon sens commun, que pour la science elle-même, qui produit désormais du bon sens commun (tout le monde souscrit ainsi désormais à l'héliocentrisme). Mais au sein même de la communauté scientifique, il y a des évidences qui ne demandent qu'à voler en éclat devant la pression de jeunes (ou moins jeunes) iconoclastes.
Le changement de paradigme se définirait plutôt comme un changement de référentiel conceptuel préalablement établi pour un autre (Géocentrisme -> Héliocentrisme, ou Astrophysique Newtonienne -> Relativité Générale). La notion de rupture est toujours là, et finalement assez semblable, en dépit d'une définition dissemblable.
Pour en revenir à notre sujet, les outils techniques ne créent-ils pas des illusions perceptives que nos outils conceptuels entérineraient par les "évidences" perceptives qu'ils produisent. Et certes, les recours aux outils techniques sont démultipliés pour recouper les données. Mais pour autant la psycho nous informe que lorsque la tête est obnubilée par une évidence elle ne perçoit rien de ce qui pourrait la contredire (dissonance cognitive) : On ne voit que ce qui conforte nos évidences en assimilant les dissonances comme concordantes. (une personne demande ainsi son chemin à une autre, des faux ouvriers passent entre eux en les masquant par un panneau de bois, et une autre personne prend la place du demandeur, et la personne en face ne remarque très généralement rien, vêtements différents, taille, voir couleur de peau le changement de sexe marche moins bien). L'expérience peut être répétée par de multiples protocoles (double aveugle), les résultats statistiques écrasants se recoupent systématiquement .
Bref, si des théories sont des évidences, la dissonance cognitive tendra à évacuer toute autre forme de conceptualisation dissonante. Et on remarque bien à quel point toute proposition dissonante (changement de paradigme) fait résistance au sein meme de la communauté scientifique.
Newton faillit bien ne jamais publier ses écrits miraculeusement secouru par Halley ; Faraday fut mis sur la touche par son mentor, et ne dut plus tard sa validation des champs de force qu'au secours de Maxwell ; la découvreuse de la prééminence de l'hydrogène dans l'univers idem, celle de la tectonique des plaques idem ; le premier théoricien des cordes jeta l'éponge, miraculeusement repris par un petit groupuscule quelques années plus tard qui ne lâcha jamais l'affaire en dépit d'un quasi mépris général : la théorie failli être définitivement enterrée 3 ou 4 fois. Et j'en passe : combien de chercheurs obscurs avec des avancées majeures sont-ils passés ainsi à la trappe ? La communauté scientifique n'a rien à envier au Vatican question obscurantisme (elle a meme dû faire mieux : L'héliocentrisme est passé, alors que maints autres découvertes, et sans doute majeures, ont probablement été totalement enterrée par elle.
Où l'on voit bien que la "dissonance" peut primer sur la méthode scientifique en matière de validation de changement de paradigmes.
En gros les outils (techniques mais surtout conceptuels) sont-ils des aides, mais aussi parfois des freins, en tant que générateurs d'illusions, à l'avancée de la science ?
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