Les rats sont d'excellents nageurs. Pour vérifier cette capacité, des scientifiques du département d'étude du comportement de l'Université de Nancy ont disposé une cage avec une seule sortie, un tunnel menant sous l'eau d'une petite piscine. Pas de possibilité de remonter à la surface, le haut est bouché par une plaque. Les rats doivent donc nager en apnée pour traverser la piscine et aller chercher de la nourriture à un distributeur de graines placé à l'autre bout de la piscine. Au début, tous les rats ont essayé de nager. Mais peu à peu il se sont répartis des rôles. Sur des cages comprenant six rats, sont spontanément apparus deux rats exploiteurs, deux rats exploités, un rat autonome et un rat souffre-douleur.
Les exploités nagent pour aller chercher les graines et les exploiteurs raflent leur pactole. Une fois les exploiteurs repus, les exploités sont autorisés à repartir se nourrir eux-mêmes.
L'autonome est un rat qui nage pour obtenir ses graines et se bat férocement au retour pour les manger seul. Quant au souffre-douleur, n'étant capable ni de nager ni de terroriser les autres, il n'a pas d'autre choix que de se contenter des miettes.
Tous les rats maltraitent le souffre-douleur et tous les exploiteurs frappent les exploités, sans doute pour rappeler à chacun son rôle. Mais le plus troublant est que si l'on réunit tous les exploiteurs dans une même cage, ils se battront toute la nuit et au matin réapparaîtront de nouveau deux exploiteurs, deux exploités, un autonome et un souffre-douleur.
Il en ira de même si on rassemble des exploités, des autonomes ou des souffre-douleur. Dans tous les cas, cette répartition des rôles reprend le dessus.
L'expérimentateur a augmenté le nombre des rats jusqu'à en introduire deux cents dans la cage. Longue bataille nocturne. Au matin, apparut une classe de super-exploiteurs ayant créé plusieurs strates de sous-fifres afin de répercuter leur autorité en se fatiguant encore moins. Ils n'avaient même plus besoin de terroriser les exploités, d'autres le faisaient à leur place. Autre surprise : à l'autre bout de l'échelle les souffre-douleur étaient encore plus martyrisés. Comme en guise d'avertissement trois d'entre eux avaient été entièrement dépecés par leurs congénères et crucifiés sur la grille de la cage.
Les scientifiques de Nancy sont allés plus loin encore dans leurs recherches. Ils ont ouvert les crânes de leurs sujets et disséqué leurs cerveaux. Ils ont découvert que ceux qui avaient le plus de molécules de stress n'étaient pas les souffre-douleur ou les exploités, mais bel et bien les exploiteurs qui tremblaient de perdre leur statut de privilégiés et d'être obligés de devoir nager à leur tour pour se nourrir.
-----