Quel est le vrai mystère de la chiralité ? - Page 3
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Quel est le vrai mystère de la chiralité ?



  1. #61
    vpharmaco
    Animateur Biologie

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?


    ------

    Je ne fais que passer, mais bon, on retrouve la même erreur à chaque page.
    Les acides aminés protéinergiques ne sont pas levogyres. ! Ils sont de série L suivant la convention de Fisher.
    D'ailleurs un acide aminé levogyre à une longueur d'onde d'irradiation peut être dextrogyre à une autre longueur d'onde (habituellement, on donne la valeur à 589 nm car on utilise la raie D des lampes à sodium)
    Voilà, je suis parti.

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  2. #62
    Lansberg

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?

    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    ...ce qui a été sélectionné par le vivant ne le doit pas à son abondance ou à sa disponibilité mais à ses propriétés. Pourquoi ce qui est valable ici ne le serait pas pour la question de la chiralité.
    On comprend bien le raisonnement. Cependant pourquoi des acides aminés D feraient moins l'affaire ? C'est pour cette raison qu'on évoque dans ce cas, que l'excès de forme L à orienté l'évolution du vivant (ce serait bien, ici, une question d'abondance, une sorte de "loi d'action de masse").

    Entre les deux types d'hypothèses :
    * Il se trouvait que, dans le milieu où ont émergé les premières cellules vivantes, il y avait un excès d'un énantiomère. Le vivant a donc utilisé les briques qui étaient à sa disposition dans le potage primordial et celles-ci étant lévogyres dans le cas des AA, la chimie du vivant est lévogyre donc chirale. Peu importe la cause ultime de cette chiralité : UV dans le rayonnement cosmique, des réactions préférentielles, etc. L'ordre des priorités est 1. lévogyre comme un donné donc 2. chiral. La chiralité est fortuite.
    * Les protéines doivent être chirales pour être efficaces, peu importe dans quel sens. L'ordre des priorités est 1. chiralité, 2. sens quelconque. C'est la lévogyralité (j'aime les néologisme) qui est fortuite.
    Je préfère la deuxième. C'est juste une question de gout personnel.

    Nico
    Dans ce cas (deuxième hypothèse) on en revient à la question de départ : comment "le choix" entre formes L et D s'est-il fait ?

    L'avenir le dira peut-être.

  3. #63
    invite6f9dc52a
    Modérateur

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?

    Citation Envoyé par myoper Voir le message
    Des protéines formés avec un (mélange) racémique d'acides aminés racémique.
    Des protéines formés avec un racémique d'acides aminés, ça suffira.

  4. #64
    saint.112

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?

    Citation Envoyé par myoper Voir le message
    Des protéines formés avec un (mélange) racémique d'acides aminés racémique.
    Citation Envoyé par myoper Voir le message
    Des protéines formés avec un racémique d'acides aminés, ça suffira.
    Je ne sais pas si l'enseignement du français a changé depuis mon enfance (pendant l'âge de pierre) mais dans la marge de nos rédacs on trouvait à l'encre rouge, pour souligner les fautes les plus graves, « néologisme », le néologisme étant l'équivalent d'un gros mot. C'est mon côté rebelle : depuis lors j'ai toujours aimé former mes propres néologismes comme lévogyralité ou l'hétérochiralité. J'étais très gamin et je le suis demeuré.

    Citation Envoyé par Lansberg Voir le message
    On comprend bien le raisonnement. Cependant pourquoi des acides aminés D feraient moins l'affaire ?
    L'affaire est parfaitement entendue depuis le départ et pour ma part j'ai toujours dit que là n'était pas la question.

    Citation Envoyé par Lansberg Voir le message
    C'est pour cette raison qu'on évoque dans ce cas, que l'excès de forme L à orienté l'évolution du vivant (ce serait bien, ici, une question d'abondance, une sorte de "loi d'action de masse").
    C'est précisément l'objet du débat et tu défends là comme une évidence mais sans la justifier la première hypothèse qui a déjà été exposée en long et en large : l'excès d'un énantiomère est le facteur clé de la chiralité.

    Citation Envoyé par Lansberg Voir le message
    Dans ce cas (deuxième hypothèse) on en revient à la question de départ : comment "le choix" entre formes L et D s'est-il fait ?
    Ce n'est pas du tout la question de départ qui porte sur l'origine, ou la cause, de la chiralité (et pas de la lévogyralité), la sélection du “sens“ ayant été, elle, parfaitement fortuite.

    Nico
    Travailler dur n'a jamais tué personne, mais je préfère ne pas prendre de risques.

  5. #65
    Amanuensis

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?

    Revenons au "débat" alors.

    Ce que j'avais retenu, à tort ou à raison, (d'un article dans La Recherche ou Pour la Science) c'est que le repliement ne serait pas correct et dans certains cas impossible et qu'il y aurait donc un nombre bien moins grand de conformations possibles, donc une biochimie bien moins riche et variée.
    Faudrait retrouver ces textes et la justification qu'ils donnent à une telle affirmation. Personnellement, je n'arrive pas à imaginer la raison à cela. Plus exactement, une fois donnée la liste des AA y compris leur orientation je ne comprends pas en quoi le repliement serait "moins correct (quoi que cela veuille dire) ou "impossible" (quoi que cela veuille dire).

    Par contre, cela semble évident que si le choix de l'orientation est fait au hasard, la liste des AA n'est pas suffisante pour impliquer un repliement particulier ; si on appelle "correct" celui obtenu avec tous les AA L, alors il semble fort probable que la même chaînes avec L ou D au hasard souvent ne donnera pas un repliement "correct".

    Vu comme cela, la contrainte de l'homochiralité irait à l'opposé de "donc une biochimie bien moins riche et variée." Si la contrainte était levée, mais avec un contrôle parfait de la chiralité de chaque AA dans les chaînes, alors la biochimie ne pourrait qu'être plus riche et plus variée!

    Ce qui pourrait être nécessaire à l'efficacité est peut-être donc simplement la capacité de contrôler la chiralité de chaque AA, de ne pas la laisser "au hasard".

    Et un ribosome capable de créer la liaison peptidique seulement entre AA d'une même certaine chiralité (imposée par le ribosome) est certainement une solution simple et de bon goût pour obtenir ce contrôle!

    Et peut-être qu'un super-ribosome capable de connecter aussi bien L sur L, L sur D, D sur L et D sur D est si loin du ribosome tel qu'il est qu'aucune lignée n'a évolué incluant la création d'un super-ribosome, malgré la plus grande richesse biochimique que cela permettrait.
    Dernière modification par Amanuensis ; 22/12/2014 à 07h57.
    Pour toute question, il y a une réponse simple, évidente, et fausse.

  6. #66
    invite6f9dc52a
    Modérateur

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?

    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    Je ne sais pas si l'enseignement du français a changé depuis mon enfance (pendant l'âge de pierre) mais dans la marge de nos rédacs on trouvait à l'encre rouge, pour souligner les fautes les plus graves, « néologisme », le néologisme étant l'équivalent d'un gros mot. C'est mon côté rebelle : depuis lors j'ai toujours aimé former mes propres néologismes comme lévogyralité ou l'hétérochiralité. J'étais très gamin et je le suis demeuré.
    C'est une chance: j'étais gamin et demeuré et je le suis toujours ; je n'arrive pas à utiliser naturellement le mot "racémique" que j'ai appris comme adjectif correspondant à un mélange soit maintenant un nom commun.
    Je n'ai rien contre les néologismes parfois même très utile mais ici, je comprends que "lévogyralité" correspond à la forme ou à un objet "lévogyre" qui suffit à la description".
    Alors "l'hétérochiralité" correspondrait à la présence des deux énantiomères ou à un racémique et il suffit de dire chiral(ité) ou racémique (moi, j'accepte le pléonasme).

    Ceci dit, puisque le sujet n'a pas changé, les protéines et AA sont il est question dans ce fil ne sont ni dextrogyres, ni lévogyres:
    Citation Envoyé par vpharmaco Voir le message
    Les acides aminés protéinergiques ne sont pas levogyres. ! Ils sont de série L suivant la convention de Fisher.
    D'ailleurs un acide aminé levogyre à une longueur d'onde d'irradiation peut être dextrogyre à une autre longueur d'onde (habituellement, on donne la valeur à 589 nm car on utilise la raie D des lampes à sodium)

  7. #67
    Lansberg

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?

    Bonjour,

    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    C'est précisément l'objet du débat et tu défends là comme une évidence mais sans la justifier la première hypothèse qui a déjà été exposée en long et en large : l'excès d'un énantiomère est le facteur clé de la chiralité.
    Nico
    Je ne défends rien. Je m'appuie seulement sur les faits d'observation et les résultats d'expériences qui sont publiés.

    On trouve une littérature assez abondante sur le sujet. Dans "Les traces du vivant" (presse universitaires de bordeaux), Reisse et Cronin décrivent de nombreux mécanismes pouvant expliquer l'homochiralité. Ils évoquent l'excès de forme L apportée par les météorites, tel que je le disais dans un de mes messages. Les auteurs concluent : "Selon nous, l'homochiralité est la conséquence d'un apport post-accrétionnel de molécules organiques et d'acides aminés non racémiques, apport associé à la chute de micrométéorites, météorites et comètes sur la terre primitive. Les excès énantiomériques initiaux ont été amplifiés lors de polymérisations prébiotiques éventuellement associées, de manière alternante, à des phases d'hydrolyse partielle. Certains de ces polymères de type polypeptidique étaient doués de propriétés catalytiques, et de ce fait, pouvaient induire la chiralité des produits, lors de réactions mettant en jeu des réactifs achiraux mais catalysées par ces polypeptides chiraux." etc, etc...
    Suivent pour étayer leur hypothèse, les observations expérimentales.

    On peut trouver également sur le net une publication des mêmes auteurs (en anglais) : http://we.vub.ac.be/~dglg/Web/Teachi...nin-Reisse.pdf

    Uwe Meierhenrich et Laurent Nahon, à partir de leurs dernières expériences, vont dans le même sens.

    Quant à la nécessité d'une biochimie homochirale (L ou D), Reisse et Cronin la voient comme une simplicité. Ils n'excluent pas l'hétérochiralité pour les premières formes de vie sur Terre, mais cette biochimie aurait été plus complexe et elle aurait été, pour cette raison, supplantée par l'homochiralité.

  8. #68
    Geb

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?

    Bonjour,

    Citation Envoyé par Lansberg Voir le message
    Je ne défends rien. Je m'appuie seulement sur les faits d'observation et les résultats d'expériences qui sont publiés.
    Je pense que ce que Nicolas voudrait que tu comprennes, c'est qu'il ne s'agit là qu'une partie des publications scientifiques. De la même manière, il y a certes "une littérature assez abondant sur le sujet", mais là encore, ça n'exprime qu'une chose : une partie importante des chercheurs que tu connais sont séduits par cette hypothèse. Malheureusement, je dirais, en France, cette influence de la lumière polarisée circulairement est très importante dans le débat concernant l'origine de l'homochiralité. Mais il faut intégrer le fait qu'il y a d'autres possibilités (plus plausibles à mes yeux).

    Donc au final, en mettant en avant l'idée de la lumière polarisée circulairement (idée qui, je le rappelle, remonte au moins aux années 1920), tu n'exprimes qu'un point de vue personnel, ou du moins celui de l'ensemble chercheurs que tu cites. Ce qui n'est pas étonnant, puisqu'un grand nombre de chercheurs français sont favorables à cette hypothèse. Au final, c'est même la seule à ma connaissance qui est vulgarisée auprès du grand public francophone (et je le déplore).

    Pour en revenir à ce que disait Nicolas, dans Nouvelle lumière sur l'énigme de la chiralité de la vie (qui traite de l'influence de la lumière polarisée circulairement), on décrit un processus en deux étapes :

    - d'abord, "l'apparition de faibles excès énantiomériques",
    - ensuite, "un mécanisme d'amplification menant à la sélection complète d'un seul des deux énantiomères".

    Dans le scénario préféré des chercheurs français, la lumière UV polarisée circulairement du milieu interstellaire, à l'époque du nuage proto-solaire, jouerait le rôle principal dans la première étape, et la plupart des chercheurs s'arrêtent là. Le Viedma ripening est un processus qui pourrait jouer le rôle principal dans la seconde étape (celle dite "d'amplification).

    Moi, je préfère m'en remettre à d'autres hypothèses que celle mentionnée par Lansberg, malgré leur relative popularité dans le monde, et en France en particulier, pour une raison simple mais hautement subjective : je la trouve "paresseuse", en tout cas sous la forme d'un ensemencement météoritiques (que la source soit des astéroïdes ou des comètes).

    Tout d'abord, comme je l'ai dit par ailleurs dans cette discussion, les acides aminés racémisent à plus ou moins long terme en phase aqueuse. Les comètes ou les astéroïdes s'écrasent sur Terre mais le petit excès énantiomérique des acides aminés qu'ils contiennent finit par disparaître.

    En outre, il y a 4 milliards d'années l'eau des océans recouvrait pratiquement toute la surface de la Terre. Seuls émergeaient quelques sommets de volcans, rapidement rabotés par les incroyables marées provoquées par la Lune encore très proche. Or, dans le cadre d'une atmosphère anoxique, le fer dissout dans l'eau était sous la forme Fe (II), il était donc très soluble dans l'eau. Sa concentration était de l'ordre de 1 à 4 mM (contre entre 0,1 et 2 nM aujourd'hui). Dans l'eau, on le trouvait aussi sous la forme FeOOH (soit, de l'hydroxyde ferreux). La surface des océans de l'époque n'était donc pas bleue, mais plutôt vert olive (à cause de l'hydroxyde ferreux). Un dernier petit détail : à cette époque, le jeune Soleil tournait plus vite. Donc, bien que dans sa jeunesse il produisait moins de lumière visible (phénomène découvert en 1957), sa rotation rapide (associé à un phénomène de freinage magnétique découvert en 1972) implique qu'il produisait davantage de rayonnement de hautes énergies (UV et X). Dans les années 1980 (Braterman et al., 1983; Borowska & Mauzerall, 1987; Braterman & Cairns-Smith, 1987), on a découvert que, sous l'influence de la lumière UV, dont le flux était ~50 fois plus important il y a ~4,4 milliards d'années, le FeOOH décompose la matière organique et libère de l'hydrogène. Ce que ça veut dire, c'est que la matière organique qui "pleut" depuis l'espace est rapidement oxydée et au final convertie, une fois en phase aqueuse, en CO2 qui retourne dans l'atmosphère (Cairns-Smith et al., 1992, p. 162).

    C'est à mes yeux un argument très fort qui tend à minimiser l'influence de la matière organique d'origine spatiale dans le débat sur l'origine de l'homochiralité.

    C'est la raison pour laquelle j'aime assez les propositions alternatives, comme celle de Toxværd que j'ai déjà mentionné par ailleurs, mais il y en a d'autres qui ont retenu mon attention (Mellersh, 1993; Morowitz, 2001), qui s'attachent plutôt à des processus métaboliques, ou de petits motifs d'ARN, ou encore des cofacteurs (le phosphate de pyridoxal), favorisent par des liaisons avec les acides aminés, ou carrément durant la synthèse de ceux-ci, l'émergence spontanée de l'homochiralité.

    Cordialement.
    Dernière modification par Geb ; 22/12/2014 à 14h47.

  9. #69
    saint.112

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?

    J'ai, me semble-t-il, tout de même été assez clair depuis le départ sur un certain nombre de points.
    1. Je ne suis qu'un amateur et je n'ai donc aucun titre pour évaluer la validité des hypothèses et des théories présentées. Par contre, parmi des propositions purement spéculatives comme celles qui nous occupe, j'ai des préférences, ou des orientations, donc tout à fait personnelles.
    2. Quant à l'hypothèse dont je parlais, j'ai dit que je l'ai lue il y a fort longtemps, il me semble dans La Recherche ou dans Pour la science. J'ai recherché sur leur site sans succès. Il faudrait que je farfouille dans mon vieux stock de revues et je n'ai pas eu le temps. Je pensais a priori que cette hypothèse devait être connue de vous tous. Ce n'est visiblement pas le cas.
    3. J'ai ouvert cette discussion pour vous demander vos avis sur la question. Je dois dire que je ne suis pas sûr d'avoir compris tous ceux, souvent fort intéressants, qui ont été exposés ici.

    Néanmoins, tout amateur que je sois, il y a certains points qui me paraissent clairs :
    1. On cite en effet de nombreuses expériences et observations montrant que dans certaines conditions il y a un excédent d'un type par rapport à l'autre. OK. C'est au moins démontré au labo.
    2. Néanmoins il reste purement hypothétique, voire carrément spéculatif, que cela décrive les conditions réelles de la terre primitive. Dans la citation donnée par Lansberg : « Les auteurs concluent : "Selon nous, l'homochiralité est la conséquence d'un apport post-accrétionnel de molécules organiques et d'acides aminés non racémiques, apport associé à la chute de micrométéorites, météorites et comètes sur la terre primitive. » Tout est dans le « Selon nous ». Le caractère hypothétique du raisonnement est limpide aussi dans les articles de FS cités. Quelle en sont les preuves formelles ? Je n'en ai vu aucune.
    3. Il reste de plus à démontrer que c'est ce qui a effectivement conduit à la chiralité du vivant. Étant donné qu'il y a, sur l'émergence de la vie, une multitude d'hypothèses, pas forcément compatibles entre elles, dont beaucoup sont fort séduisantes ou au moins très intéressantes, mais dont aucune n'a été prouvée à ce jour, il me parait très hautement spéculatif, voire carrément abusif, à partir de l'hypothèse précédente, elle-même tout à fait spéculative, de conclure quoi que ce soit sur ce point. C'est construire un château de cartes d'hypothèses les unes sur les autres. Sur quels faits ça repose ?

    Je répète donc que je ne prétends en aucune façon dire que ces hypothèses sont fausses. Une hypothèse peut en effet se révéler exacte… quand on en apporte la preuve. Est-il prouvé que la soupe primordiale était effectivement chirale ? Si oui, quelle est la preuve que c'est bien l'origine de la chiralité du vivant ?

    La fameuse expérience de Stanley Miller a montré que les molécules prébiotiques pouvaient être synthétisées par des procédés banals de laboratoire et elle a donc “naturalisé“ le processus d'émergence de la vie, tordant ainsi le cou aux notions encore assez répandues telles que l'élan vital. Cela dit, on sait qu'en poursuivant l'expérience, on obtiendrait rapidement un mélange racémique de molécules organiques ressemblant plutôt à du goudron.
    Il me semble qu'elle a d'un autre côté popularisé l'idée que la vie aurait pris comme une mayonnaise dans la soupe primordiale d'Oparin. Or, sauf erreur, dans l'état actuel des connaissances, il est fort probable que la vie n'a pas pris dans le vaste bouillon de culture de l'océan primitif mais dans des sites très spécifiques et sans doute isolés, comme des sources hydrothermales, en présence de catalyseurs et de substrats minéraux et avec un apport d'énergie. Il n'est donc pas dit du tout que ces sites aient été ensemencés par le grand bombardement cosmique.

    Citation Envoyé par Geb Voir le message
    Moi, je préfère m'en remettre à d'autres hypothèses que celle mentionnée par Lansberg, malgré leur relative popularité dans le monde, et en France en particulier, pour une raison simple mais hautement subjective : je la trouve "paresseuse", en tout cas sous la forme d'un ensemencement météoritiques (que la source soit des astéroïdes ou des comètes).
    Je te remercie de le dire car le terme "paresseux" me brulait la langue (ou le clavier) mais je n'osais pas trop le dire moi-même. Je trouve aussi ces hypothèses paresseuses : les briques de la vie nous viendraient de l'espace, la suite n'étant guère qu'un LEGO.

    Je voudrais illustrer mon propos par une parabole.
    Pour construire ta maison, tu te fais livrer un stock de parpaing, de ciment, de sable, de solives, etc. Tous ces matériaux sont parfaitement normalisés, en quantité requise et ils sont déposés en piles bien nettes sur ton terrain. À toi de jouer. Si tu n'as aucune compétence dans le bâtiment il est douteux que tu obtiennes une vraie maison. J'ai vu le cas : le wannabe bâtisseur, après s'être échiné sur les fondations a reconnu son incompétence, a renoncé et a fait appel à une entreprise de maçonnerie… qui a refusé le boulot. Pour des questions de garantie facilement compréhensibles elle n'allait construire une maison sur des fondations dont elle ne savait rien et qu'elle ne pouvait pas garantir, à moins de tout démolir.
    Bref, un tas de parpaings ne fait pas une maison. Il faut une théorie de la construction et un plan, etc.
    Une soupe de molécules chirales ne fait pas des cellules vivantes chirales.

    N'ayant pas le temps de passer en revue mon vieux stock de La Recherche et de Pour la science et n'ayant pas retrouvé sur leur site l'article en question (était-ce bien chez elles de toutes façons ?) j'ai bêtement googlesisé « Protein folding chirality » et je suis tombé entre autres sur Chirality and protein folding
    By studying peptides, relatively simple compounds of two amino acids, using molecular jet spectroscopy combined with a specific theoretical approach, a team at CEA* has thrown new light on the problem. The researchers have observed that the geometry of peptides in space can vary widely depending on whether they consist of two "left-hand" amino acids or one "left-hand” and one “right-hand" amino acids. Furthermore, homochiral peptides, consisting of amino acids of the same chiral form (left-hand and left-hand) are more flexible than heterochiral chains (left-hand and right-hand). In proteins, which are long chains of amino acids folded over on themselves, homochirality thus implies less variability in protein folding while increasing the flexibility of the molecular edifice. Moreover, the protein’s function within the organism does not depend solely on the sequence of the amino acids of which it is formed but also on how it is folded***. The chirality of the living world may therefore appear to be a necessity, due to its role in the conformation of biologically active proteins.
    Je n'ai donc pas rêvé.
    Google a trouvé bien d'autres articles que je n'ai pas eu le temps de lire.

    J'avais d'ailleurs commencé à chercher sur le site Folding@home mais, curieusement, je n'ai rien trouvé.

    Nico
    Travailler dur n'a jamais tué personne, mais je préfère ne pas prendre de risques.

  10. #70
    Geb

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?

    Bonjour,

    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    Néanmoins il reste purement hypothétique, voire carrément spéculatif, que cela décrive les conditions réelles de la terre primitive. Dans la citation donnée par Lansberg : « Les auteurs concluent : "Selon nous, l'homochiralité est la conséquence d'un apport post-accrétionnel de molécules organiques et d'acides aminés non racémiques, apport associé à la chute de micrométéorites, météorites et comètes sur la terre primitive. » Tout est dans le « Selon nous ». Le caractère hypothétique du raisonnement est limpide aussi dans les articles de FS cités. Quelle en sont les preuves formelles ? Je n'en ai vu aucune.
    Ce qui me pousse à revenir sur le côté "paresseux" de la théorie en vogue au sein de la communauté scientifique française. Il y a eu trois étapes principales qui pourraient expliquer l'enlisement des scientifiques français dans cette situation.

    En 1970, on a annoncé la découverte d'acides aminés dans la météorite de type chondrite carbonée qui est tombée à Murchison (Kvenvolden et al., 1970). Après avoir essuyé une vague de critique tout au long des années 1980 (à commencer par Bada et al., 1983), l'annonce d'une "activité optique" des acides aminés issus de la météorite se confirme définitivement à la fin des années 1990 (Cronin & Pizzarello, 1997). Enfin, l'année suivante, à partir des observations d'Orion Molecular Cloud 1 (OMC-1), qui montrent la présence de lumière infrarouge polarisée circulairement, on fait l'hypothèse que ce type de polarisation existe aussi dans l'UV au sein de ces milieux et que c'est celle-ci qui pourrait expliquer l'excès d'acides aminés L dans les météorites (Bailey et al., 1998). Plusieurs laboratoires français se sont engouffrés dans ce domaine de recherche depuis lors, comme l'équipe de Uwe Meierhenrich, avec par exemple, un papier relativement célèbre il y a une dizaine d'année (Meierhenrich et al., 2005). Sans tenir compte des effets délétères de l'action combiné du FeOOH et du rayonnement UV (Cairns-Smith et al., 1992) que j'indiquais dans mon message précédent, on propose que la quantité totale de carbone organique apporté sur la Terre durant la fin de la phase d'accrétion, il y a entre 4,2 et 3,9 milliards d'années, est d'abord de 1,5 × 1014 tonnes (Maurette, 1996) puis 2,5 × 1016 tonnes (Maurette & Brack, 2006). Pourtant, je crois que nous sommes tous d'accord pour dire que l'existence d'un petit excès énantiomérique n'est pas suffisant pour expliquer la chiralité du vivant sur Terre.

    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    Je te remercie de le dire car le terme "paresseux" me brulait la langue (ou le clavier) mais je n'osais pas trop le dire moi-même. Je trouve aussi ces hypothèses paresseuses : les briques de la vie nous viendraient de l'espace, la suite n'étant guère qu'un LEGO.
    Pour ma part, je tiens cette formule du géologue britannique Michael Russell (que je pourrais considérer, dans une large mesure, comme mon maître à penser) :

    The Present is the Key to the Past

    AM: So you disagree with current theories regarding the spread of life in the universe by the dispersion of organic materials in comets?

    MR: I think the current theories are lazy. They say for life to originate we need some organic molecules, and there’s some up there in space, so maybe that’ll do. That’s just an extraordinary conclusion. No other branch of science works like this.
    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    N'ayant pas le temps de passer en revue mon vieux stock de La Recherche et de Pour la science et n'ayant pas retrouvé sur leur site l'article en question (était-ce bien chez elles de toutes façons ?) j'ai bêtement googlesisé « Protein folding chirality » et je suis tombé entre autres sur Chirality and protein folding

    By studying peptides, relatively simple compounds of two amino acids, using molecular jet spectroscopy combined with a specific theoretical approach, a team at CEA* has thrown new light on the problem. The researchers have observed that the geometry of peptides in space can vary widely depending on whether they consist of two "left-hand" amino acids or one "left-hand” and one “right-hand" amino acids. Furthermore, homochiral peptides, consisting of amino acids of the same chiral form (left-hand and left-hand) are more flexible than heterochiral chains (left-hand and right-hand). In proteins, which are long chains of amino acids folded over on themselves, homochirality thus implies less variability in protein folding while increasing the flexibility of the molecular edifice. Moreover, the protein’s function within the organism does not depend solely on the sequence of the amino acids of which it is formed but also on how it is folded***. The chirality of the living world may therefore appear to be a necessity, due to its role in the conformation of biologically active proteins.
    Je n'ai donc pas rêvé.
    Étant donné que c'est un laboratoire français qui est à l'origine de cette expérience, il y a aussi la version en français de la brève que tu cites :

    Chiralité et repliement des protéines

    La publication scientifique correspondante est la suivante, au cas ou l'un des participants à cette discussion y aurait accès :

    Chirality-Controlled Formation of β-Turn Secondary Structures in Short Peptide Chains: Gas-Phase Experiment versus Quantum Chemistry (Brenner et al., 2007)

    Il y a un autre article similaire :

    Repliement de chaînes peptides en détente supersonique

    Et les publications scientifiques auquel la brève se rapporte :

    - Intrinsic Folding of Small Peptide Chains:  Spectroscopic Evidence for the Formation of β-Turns in the Gas Phase (Chin et al., 2005)
    - Spectroscopic Evidence for Gas-Phase Formation of Successive β-Turns in a Three-Residue Peptide Chain (Chin et al., 2005)
    - Gas Phase Formation of a 310-Helix in a Three-Residue Peptide Chain:  Role of Side Chain-Backbone Interactions as Evidenced by IR−UV Double Resonance Experiments (Chin et al., 2005)

    Il y a toutefois un point qui me chagrine dans cette manière de voir les choses : le fait que la sélection de chaînes homochirales d'acides aminés permettrait des conformations protéiniques à la fois moins variable et plus flexible, d'une certaine manière, "seul Dieu le savait". En définitive, à l'époque de l'origine de la vie, la probabilité d'avoir un dipeptide homochiral (L-L ou D-D) ou un dipeptide hétérochiral (D-L) est la même. Donc, je ne vois pas vraiment en quoi on serait plus avancé avec les données expérimentales que tu indiques.

    Par contre, avec les spéculations métaboliques que j'apprécie, on peut déjà se demander ce dont de petits peptides sont capables (en matière de catalyse) et l'intégration d'une fonction métabolique spontanée dont sont intrinsèquement capables ces petites molécules (parfois en conjugaison avec des ions métalliques), peut permettre d'envisager les choses autrement. Or, dans ce cadre précis, non pas en matière de flexibilité de conformation, mais en matière d'efficacité de la catalyse, il n'y a, à ma connaissance, aucune différence entre D-L, D-D, ou L-L. Il est même avantageux, au début, de disposer de petits peptides (3 à 6 résidus) composés à la fois d'acides aminés achiraux (la glycine) et d'acides aminés D et L.

    Cordialement.
    Dernière modification par Geb ; 23/12/2014 à 06h59.

  11. #71
    Amanuensis

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?

    Citation Envoyé par Geb Voir le message
    composés à la fois d'acides aminés achiraux (la glycine)
    J'allais cité le cas des achiraux: car d'une certaine manière le lien entre un AA achiral et un chiral doit avoir les mêmes propriétés que le lien entre deux AA de chiralité différente. Si cela posait un problème de repliement, ne devrait-on pas observer un faible usage de la glycine dans les protéines, ou même à l'extrême son absence?

    En termes d'opinion, je continue à considérer que l'homochiralité est comparable à une "normalisation". Cela simplifie la logistique, les chaînes de montage, le contrôle du produit final, etc. Difficile d'imaginer les briques Lego ou les pièces de Meccano sans une certaines uniformisation de certains aspects des pièces... Vision d'ingénieur, dira-t-on. Mais quand je vois des termes comme "efficacité", elle me semble adaptée...
    Pour toute question, il y a une réponse simple, évidente, et fausse.

  12. #72
    saint.112

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?

    Euréka !
    J'ai retrouvé le numéro de Pour la Science, Dossier Pour la Science N° 60 - Juillet - Septembre 2008 - Où est née la vie ?, où j'avais lu l'article en question. C'est un encart dans un article d'André Brack, L'alchimie de l'origine de la vie, Le sens de la vie qui n'est pas signé.

    La vie n’aurait sans doute pas pu s’accommoder d’un mélange racé-
    mique pour chaque type de molécules, et ce pour une raison géomé-
    trique. Prenons l’exemple des enzymes, dont l’activité dépend de la
    configuration spatiale. Elles adoptent principalement deux géométries :
    en hélices et en feuillets. La présence simultanée d’acides aminés de
    formes gauches et droites dans une même chaîne n’empêche pas la
    formation d’hélices, bien que celles-ci soient un peu moins stables. En
    revanche, les feuillets ne se forment pas quand les deux formes se
    côtoient dans la chaîne. Or l’absence de feuillets diminuerait le champ
    d’action des enzymes. Une vie racémique serait plus élémentaire que
    celle que nous connaissons, voire impossible.


    Citation Envoyé par Geb Voir le message
    Ce qui me pousse à revenir sur le côté "paresseux" de la théorie en vogue au sein de la communauté scientifique française. Il y a eu trois étapes principales qui pourraient expliquer l'enlisement des scientifiques français dans cette situation.
    Pour moi expliquer la chiralité par l'apport d'AA lévogyre, qu'il soit d'origine extraterrestre ou non, c'est comme de vouloir expliquer le style architectural d'une maison par les dimensions du parpaing ou de la brique. Ceux-ci imposent une contrainte technique certaine au bâtisseur mais n'induisent aucun choix stylistique.

    Citation Envoyé par Geb Voir le message
    Il y a toutefois un point qui me chagrine dans cette manière de voir les choses : le fait que la sélection de chaînes homochirales d'acides aminés permettrait des conformations protéiniques à la fois moins variable et plus flexible, d'une certaine manière, "seul Dieu le savait". En définitive, à l'époque de l'origine de la vie, la probabilité d'avoir un dipeptide homochiral (L-L ou D-D) ou un dipeptide hétérochiral (D-L) est la même. Donc, je ne vois pas vraiment en quoi on serait plus avancé avec les données expérimentales que tu indiques.
    Il me semble qu'il y a quelque chose qui peut expliquer ça et qui s'appelle la sélection naturelle. Les premières formes de vie étaient peut-être achirales, éventuellement avec un excédent d'une forme, et ce qui a été sélectionné c'est la voie la plus efficace… comme toutes les autres caractéristiques du vivant.

    Citation Envoyé par Amanuensis Voir le message
    En termes d'opinion, je continue à considérer que l'homochiralité est comparable à une "normalisation". Cela simplifie la logistique, les chaînes de montage, le contrôle du produit final, etc. Difficile d'imaginer les briques Lego ou les pièces de Meccano sans une certaines uniformisation de certains aspects des pièces... Vision d'ingénieur, dira-t-on. Mais quand je vois des termes comme "efficacité", elle me semble adaptée...
    Ça me parait pas mal mais c'est peut-être difficile à démontrer. Le magasinier et le logisticien préfèrent gérer le minimum de références. Mais y aurait-il d'autres exemples flagrants dans le vivant ? En matière de sélection naturelle il y a aussi l'effet “whatever works“ (du moment que ça marche) qui n'est pas toujours ce qui est apparemment le plus rationnel.
    Ceci dit, l'argument du ribosome (la chaine de montage) me parait assez convaincant.

    Nico
    Travailler dur n'a jamais tué personne, mais je préfère ne pas prendre de risques.

  13. #73
    Amanuensis

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?

    D'un autre côté, le ribosome (et l'ATP, et autres molécules proches des nucléotides) ne font que déplacer le "mystère de la chiralité".

    Maintenant, poser la question en termes de chiralité des acides aminés ou en termes de chiralité des sucres est peut-être mal poser la question.

    La question pertinente est peut-être comment la boucle présente dans le vivant actuel (homochiralité des sucres => homochiralité des acides aminés => homochiralité des sucres), avec la première implication via les ribosomes et la seconde via la synthèse des sucres catalysée par des protéines, a pu se mettre en place.

    Ou encore, est-ce qu'on a besoin de séparer la question de l'homochiralité (sucres et acides aminés) de celle plus complète de la mise en place des boucles cohérentes qui sont essentielles à la vie?

    L'origine de l'homochiralité se ramenerait à celle de la première "boucle chiralement cohérente", qui n'est pas nécessairement parmi celles qu'on constate actuellement. (Peut-être une boucle impliquant seulement les sucres, ou seulement les nucléotides, ...) Si on arrivait à comprendre l'origine de ces boucles, peut-être que la question de la chiralité serait résolue par la même occasion.

    Peut-être que la réponse à l'homochiralité est la plus simple qui soit: la probabilité qu'une des boucles essentielles à la vie se forme est bien plus grande avec un biais chiral conservée le long de la boucle. Et une fois l'étape critique passée, le succès réplicatif du système bouclé a fait de la première solution trouvée celle qui a envahi l'environnement, et a impliqué toutes les boucles chiralement cohérentes actuelles.

    ---

    Au-delà de ces divagations assez gratuites, y-a-t'il des articles sérieux traitant du sujet suivant ce genre de ligne?
    Pour toute question, il y a une réponse simple, évidente, et fausse.

  14. #74
    Geb

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?

    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    Euréka !
    J'ai retrouvé le numéro de Pour la Science, Dossier Pour la Science N° 60 - Juillet - Septembre 2008 - Où est née la vie ?, où j'avais lu l'article en question. C'est un encart dans un article d'André Brack, L'alchimie de l'origine de la vie, Le sens de la vie qui n'est pas signé.
    Le fait que l’hétérochiralité n’empêche pas la formation d’hélices, le fait que ces hélices hétérochirales seraient moins stables, ou encore, le fait que les feuillets ne se forment pas en cas d’hétérochiralité des constituants, demandent à être vérifiés.

    Encore une fois, plusieurs études montrent qu’avec des peptides comptant jusqu’à 6 résidus, on peut déjà faire pas mal de trucs (voir les publications de Milner-White que j’ai déjà mentionnées).

    Il y en a une autre que j’aime bien dans ce contexte d’hélices et de feuillets, sans toutefois abandonner ma préférence pour l’hypothèse de Toxværd ; c’est celle de l’équipe de Meir Lahav (du Weizmann Institute) :

    Racemic β Sheets in Biochirogenesis (Rubinstein et al., 2007)

    Il a tenté de démontrer, avec son équipe, que de petits "feuillets" racémiques peuvent servir de modèles stéréosélectifs pour la génération de peptides de 4 à 6 résidus (on retrouve ici encore le chiffre magique de 6 résidus).

    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    Il me semble qu'il y a quelque chose qui peut expliquer ça et qui s'appelle la sélection naturelle. Les premières formes de vie étaient peut-être achirales, éventuellement avec un excédent d'une forme, et ce qui a été sélectionné c'est la voie la plus efficace… comme toutes les autres caractéristiques du vivant.
    Il me semble que mentionné la sélection naturelle est une hypothèse tout aussi paresseuse que celle du début. Ça me rappelle l'argument dit "du Dieu bouche trou" : "God did it", à toutes les questions possibles et imaginables :

    Une bonne solution à mes yeux, doit, par définition, entrer plus dans les détails. À commencer par la désignation de chacun des mécanismes qui pourraient sous-tendre ne serait-ce qu'une possibilité de sélection naturelle (en gros : variation, sélection, amplification) avant l'apparition de la plus petite unité connue qui en soit capable : la cellule vivante. Je ne suis pas en train de dire qu'on a pas déjà quelques membres du triptyque, mais le diable est dans les détails.

    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    Ceci dit, l'argument du ribosome (la chaine de montage) me parait assez convaincant.
    Ça me donne l'occasion d'expliquer plus avant ce que serait, à mes yeux, une bonne hypothèse.

    Il me paraît clair qu’aujourd’hui, c’est le ribosome qui maintien l’homochiralité d’une cellule vivante. Cela dit, depuis qu’on a obtenu la structure atomique du ribosome en 2000, on a découvert (voir le papier de 2007 que j’avais mentionné à ce sujet), que le ribosome pouvait être artificiellement rendu moins stéréospécifique, si on procédait à l’ablation de certaines de ses parties, proches du site actif. Donc, c’est une propriété du ribosome qui a vraisemblablement évolué. Tout comme le ribosome d’ailleurs, puisque de nombreux chercheurs ont établi à partir de sa structure atomique qu’il était possible de le peler comme un oignons, en couche successives, jusqu’à un brin d’ARN de 109 nucléotides (si ma mémoire est exacte) qui serait particulièrement important (et dont la fonction à l’origine n’est pas encore claire).

    Donc, il me paraît évident qu’avant le ribosome, et même le brin d’ARN d’une centaine de nucléotides qui en formerait la base, il y a eu des structures qui ont maintenu l’homochiralité. J’ai en effet beaucoup de mal à imaginer un monde proto-cellulaire avec des molécules d’une centaine à plusieurs centaines de résidus, sans des protéines déjà homochirales, avant l’apparition du ribosome. Cela implique évidemment que les protéines de l’époque était fabriqué par d’autres mécanismes que la synthèse ribosomique actuelle.

    À mon avis, il faut imaginer plusieurs phases successives, durant lesquels l’homochiralité est conservée, depuis son origine jusqu’à aujourd’hui. L’évolution, et l’amélioration successive, de la capacité du ribosome à sélectionner les acides aminés L a certes facilité les choses. Mais il a dû exister des mécanismes, de préférence liés entre eux, qui avaient conservé cette homochiralité avant ça.

    C’est une autre raison pour laquelle l’hypothèse de Toxværd, qui part du glycéraldéhyde et qui imagine une transmission plausible de complexes homochiraux de ce dernier à certains acides aminés, me séduit particulièrement. L’ennui c’est qu’il y a manifestement un gouffre entre cette origine de l’homochiralité, à la fois des sucres et des acides aminés (qui serait ainsi liée), et l’apparition de cycle métabolique, ou de motifs macromoléculaires qui vont conserver cette homochiralité, tout ça avant l’apparition du ribosome.

    Je pense que du point de vue purement philosophique, on trouvera peut-être la réponse dans les cycles métaboliques déjà connus, particulièrement ceux qui impliquent le glycéraldéhyde. Même si ce n'est qu'une intuition en l'état : rien ne prouve que les traces de l'origine de l'homochiralité soit encore caché quelque part dans les cycles biochimiques des formes de vie actuelles.

    Cela dit, il y a au moins une piste sérieuse qui est activement explorée dans le cadre de l'origine de l'homochiralité : la gluconéogenèse des trioses chez Pyrococcus furiosus.

    Cordialement.
    Dernière modification par Geb ; 24/12/2014 à 11h03.

  15. #75
    saint.112

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?

    Coucou, me revoilou !

    J'a lu avec intérêt l'article de wiki cité par Jiav, Acides aminés D, où j'ai trouvé plusieurs choses :

    Propriétés chimiques et physiques
    Les acides aminés D empêchent la constitution d'une hélice alpha au sein d'un peptide constitué d'acides aminés L. Ce sont des briseurs d'hélice. Seules des protéines constituées entièrement soit d'acides aminés D soit d'acides aminés L peuvent construire des hélices avec les acides aminés susceptibles de les construire (valine, glutamine, isoleucine, alanine, méthionine, leucine, glutamate ou tryptophane). Ces hélices tournent en sens inverse. Ceci n'est pas possible avec un mélange d'acides aminés de conformations différentes.
    Il n'y a guère de sources mais cela confirmerait que les protéines ne peuvent être faites que de AA chiraux.

    Acides aminés D libres
    Jusqu'à la fin des années 1990, on est parti de l'hypothèse que les acides aminés D n'avaient aucune fonction physiologique chez les vertébrés. Avec la découverte de relativement grandes quantités de D-sérine et de D-aspartate dans le cerveau des mammifères, l'étude de l'action physiologique de ces deux acides aminés inhabituels a commencé.
    Autrement dit la biochimie utilise des AA L ou D en fonction des besoins et pas en fonction des apports extérieurs.

    Nico
    Dernière modification par saint.112 ; 09/01/2015 à 00h05.
    Travailler dur n'a jamais tué personne, mais je préfère ne pas prendre de risques.

  16. #76
    invite6f9dc52a
    Modérateur

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?

    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    Autrement dit la biochimie utilise des AA L ou D en fonction des besoins et pas en fonction des apports extérieurs.
    Maintenant, forcément, c'est même une tautologie.

  17. #77
    Geb

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?

    Salut Nicolas,

    J'aurais trois remarques à propos des données sur lesquelles tu attires notre attention.

    Dans le cas des acides aminés D dans le cerveau de certains mammifères :

    The presence of free D-serine in rat brain (Hashimoto et al., 1992)

    Embryonic Development and Postnatal Changes in Free D-Aspartate and D-Serine in the Human Prefrontal Cortex (Hashimoto et al., 1993)

    Premièrement, il ne s'agit justement que d'un acide aminé libre, on ne parle pas ici de peptides ou de grosses protéines (autrement dit, de chaînes complexes d'acides aminés D).

    Deuxièmement, leur rôle est particulier, puisqu'il s'agit, du peu que j'en ai deviné, de neuromodulateurs de l'activité d'un récepteur baptisé NMDA (récepteur N-méthyl-D-aspartate).

    Troisièmement, si je comprends bien ce que je lis par ailleurs, la glycine achirale peut remplacer les acides aminés D avec le même effet que ces derniers :

    Structural requirements for activation of the glycine receptor that modulates the N-methyl-D-aspartate operated ion channel (Snell et al., 1988)

    The order of potency for these same compounds to displace specific [3H]glycine binding was: glycine = D-serine > D-alanine > L-serine = L-alanine = L-valine >> D-alanine > D-valine.
    Évidemment, il y a sans doute d'autres exemples d'activités des acides aminés D dans le vivant. Cela dit, dans tous les exemples dont nous avons parlé jusqu'ici, les acides aminés D agissent soit "seuls" (acides aminés "libres") soit en bout de chaîne polypeptidique (pour les antibiotiques bactériens Gramicidine S et Tyrocidine).

    Dans ces conditions, je ne vois pas en quoi l'utilisation des acides aminés D par les êtres vivants soit de nature à éclairer le débat sur le "mystère" de l'homochiralité. Où alors, je suis bête, et il va falloir être plus explicite.

    Cordialement.

  18. #78
    mach3
    Modérateur

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?

    J'arrive comme un cheveux sur la soupe, et peut-être que ça à déjà été dit, mais à propos de ça :

    Un des premiers problèmes est qu'on a pas encore réalisé de synthèse chimique spontanée qui mène d'un mélange racémique à un mélange à 100 % homochiral. D'ailleurs, en 1898, Francis Japp a même déclaré que l'échec des chimistes était un motif pour en revenir à une certaine forme de vitalisme.
    Il existe des procédés qui transforment spontanément des racémiques en énantiomères purs, ça s'appelle la déracémisation. Voir les travaux de Viedma, Noorduin, Meekes, Vlieg, Leeman, Kellogg etc...(que j'ai déjà rencontrés en personne) dans les années 2005-2010 et aussi d'autres un peu plus anciens. Un racémique qui cristallise sous forme de conglomérat peut spontanément se résoudre en énantiomère pur en milieu racémisant.

    Je continue la lecture du fil...

    m@ch3
    Never feed the troll after midnight!

  19. #79
    mach3
    Modérateur

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?

    Citation Envoyé par Geb
    Peut-être devrais-je lire la publication de Viedma (2005) mentionnée dans l'article, ou encore celle des Hollandais. Aurais-tu pris la peine de lire les 2 articles en anglais mentionnés (Radboud University et Steendam et al.) dans les sources de l'article de Futura (ce que je n'ai pas encore fait) ? Ça pourrait expliquer ma confusion.
    bon, ben voila, j'aurais du lire jusqu'au bout avant de poster...

    m@ch3
    Never feed the troll after midnight!

  20. #80
    saint.112

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?

    Citation Envoyé par myoper Voir le message
    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    Autrement dit la biochimie utilise des AA L ou D en fonction des besoins et pas en fonction des apports extérieurs.
    Maintenant, forcément, c'est même une tautologie.
    J'explicite ce que je voulais dire implicitement.
    L'hypothèse dont on parle ici suppose que la chimie organique est chirale parce que les premiers organismes se sont constitués dans un milieu comportant des acides aminés (quelle que soit leur origine) avec un excès d'une forme (quelle qu'en soit la cause). Il se serait ensuite produit un hypothétique phénomène d'amplification chirale conduisant à l'enrichissement de de cette forme au détriment de l'autre. Les proto-organismes auraient donc pris ce qu'ils ont trouvé sur place.
    Je trouve qu'il y a là une accumulation un peu excessive d'hypothèses ad hoc.

    Quand on découvert la chiralité à 100% L des AA constituant les protéines on en a conclu implicitement (et peut-être un peu hâtivement) qu'il n'y avait d'AA du vivant que lévogyres.
    Ce n'est que récemment que l'on a découvert qu'il y avait aussi des AA dextrogyres, mais qui n'entrent pas dans la constitution des protéines.

    C'est à mon avis un argument de plus contre l'hypothèse de départ puisque dans les mêmes organismes il y a production de chacune des deux formes selon les fonctions qu'elles doivent remplir. Certes, la quantité de la forme L est incomparablement plus élevée que celle de la forme D, mais alors pourquoi la vie se décarcasse-t-elle à fabriquer les deux formes alors que la standardisation serait peut-être plus pratique ?
    Durant l'émergence de la vie, processus qui a dû être assez long, la sélection ne se serait-elle pas opérée pour les AA L pour les protéines et D pour les autres fonctions non pas en vertu de la disponibilité dans le milieu mais en vertu de leurs propriétés, ou plutôt des propriétés des protéines chirales ?

    Cet article décrit aussi un autre phénomène dont j'ignorais tout auparavant :
    Formation d'acides aminés D par racémisation
    De grandes quantités d'acides aminés D peuvent provenir d'acides aminés L par racémisation. La formation d'un racémique d'acides aminés, c'est-à-dire d'un mélange à parties égales d'acides aminés D et L, est privilégiée thermodynamiquement. Certes, l'enthalpie reste inchangée, mais le degré supérieur de «*désordre*» conduit à une augmentation de l'entropie, ce qui amène une diminution de l'enthalpie libre G de ΔG. La valeur de cette décroissance est de -1,6*kJ/mole à 25*°C14.


    Citation Envoyé par Geb Voir le message
    Premièrement, il ne s'agit justement que d'un acide aminé libre, on ne parle pas ici de peptides ou de grosses protéines (autrement dit, de chaînes complexes d'acides aminés D).

    Deuxièmement, leur rôle est particulier, puisqu'il s'agit, du peu que j'en ai deviné, de neuromodulateurs de l'activité d'un récepteur baptisé NMDA (récepteur N-méthyl-D-aspartate).

    Troisièmement, si je comprends bien ce que je lis par ailleurs, la glycine achirale peut remplacer les acides aminés D avec le même effet que ces derniers :

    Structural requirements for activation of the glycine receptor that modulates the N-methyl-D-aspartate operated ion channel (Snell et al., 1988)

    Évidemment, il y a sans doute d'autres exemples d'activités des acides aminés D dans le vivant. Cela dit, dans tous les exemples dont nous avons parlé jusqu'ici, les acides aminés D agissent soit "seuls" (acides aminés "libres") soit en bout de chaîne polypeptidique (pour les antibiotiques bactériens Gramicidine S et Tyrocidine).

    Dans ces conditions, je ne vois pas en quoi l'utilisation des acides aminés D par les êtres vivants soit de nature à éclairer le débat sur le "mystère" de l'homochiralité. Où alors, je suis bête, et il va falloir être plus explicite.
    Mais non, mais non, tu n'es pas bête . C'est moi qui ne suis pas assez explicite ou plutôt qui ne maitrise pas assez le sujet.
    Comme j'ai dit plus haut, il ne m'avait pas échappé que les protéines ne sont constituées que de AA de forme L et que les AA D remplissent d'autres fonctions assez diverses.

    Je reprends la métaphore que j'ai déjà utilisée : si le vivant a sélectionné O, H, C, N plus quelques autres éléments chimiques ce n'est visiblement pas en vertu de leurs abondances mais probablement en vertu de leurs propriétés, puisqu'il a presque totalement négligé le silicium par exemple (le deuxième élément le plus abondant dans la croute terrestre avec presque 30%).
    Faire l'hypothèse que les briques dites élémentaires, d'un niveau de complexité nettement plus élevé, ont été sélectionnées en vertu de leur disponibilité, laquelle repose elle-même sur son lot d'hypothèses ad hoc, peut à la rigueur expliquer pourquoi les AA sont lévogyres mais à mon sens n'explique pas pourquoi ils sont chiraux puisque l'on voit que le vivant produit indifféremment des L et de D en fonction des besoins.
    De plus, si l'on prend en compte le phénomène de racémisation, étant les échelles de temps géologiques, même en supposant un bombardement intense de comète et d'astéroïdes, les AA initialement chiraux ont deviennent achiraux bien avant que la vie ait le temps de démarrer.

    On a donc une succession d'hypothèses top-down. Partant du constat que les protéines du vivant sont constituées d'une vingtaine d'AA chiraux :
    1. Si l'on suit l'expérience Urey-Miller ce serait donc que ces AA étaient déjà présents dans le potage avant l'émergence de la vie. Ce sont les briques prébiotiques. Qu'elles viennent d'ici ou d'ailleurs, peu importe.
    2. Si ces AA sont chiraux, c'est donc que dans le potage il y avait déjà un excédent de la forme L.
    3. S'il y avait un excédent c'est qu'il y a eu un processus d'enrichissement qui peut avoir différentes causes :
      1. Une amplification chirale dans le potage lui-même.
      2. Ou alors encore en amont dans les comètes soumises au rayonnement cosmique.
      3. Dans les molécules prébiotiques par autocatalyse.
    4. CQFD.

    Pour moi ces hypothèses semblent délibérément faire fi de ce qui me parait le paradigme le plus simple : la sélection naturelle. Ou alors à quoi ça sert que Darwin se soit décarcassé ?
    Pour reprendre ma métaphore, il y a peut-être eu des formes de vie dont la chimie faisait appel au silicium mais ça n'aurait pas aussi bien marché que le carbone et le calcium. Exit le silicium. De même il y a peut-être eu des formes de vie dont les protéines étaient constituées d'AA D et L (donc probablement sans hélices) mais en définitive les protéines strictement chirales (avec hélices) seraient plus fonctionnelles et donc les premières auraient disparu par sélection naturelle
    Ceci fait appel à des hypothèses bottom-up.

    “My 2 cts“, comme disent les Amerloques (une tribu, là-bas, de l'autre côté de l'Atlantique).

    Nico
    Travailler dur n'a jamais tué personne, mais je préfère ne pas prendre de risques.

  21. #81
    Geb

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?

    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    [...] Je trouve qu'il y a là une accumulation un peu excessive d'hypothèses ad hoc.
    Je suis d'accord.

    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    Quand on découvert la chiralité à 100% L des AA constituant les protéines on en a conclu implicitement (et peut-être un peu hâtivement) qu'il n'y avait d'AA du vivant que lévogyres.
    Historiquement, il est clair que Pasteur a été un peu hâtif dans sa conclusion. Parce qu'il a découvert que l'asparagine issue de 7 espèces de plantes était homochirale, il en a conclu que c'était là quelque chose de général.

    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    Ce n'est que récemment que l'on a découvert qu'il y avait aussi des AA dextrogyres, mais qui n'entrent pas dans la constitution des protéines.
    Tout dépend par ce qu'on entend par "récemment" : The Occurence of d-Amino Acids in Gramicidin and Tyrocidine (Lipmann et al., 1941)

    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    C'est à mon avis un argument de plus contre l'hypothèse de départ puisque dans les mêmes organismes il y a production de chacune des deux formes selon les fonctions qu'elles doivent remplir.
    Je ne suis pas d'accord. Les fonctions remplies par les acides aminés D dans les organismes actuels ne sont pas absolument vitales (référence aux antibiotiques), loin de là, et elles peuvent parfois être avantageusement remplacé par la glycine (référence au cas du récepteur NMDA). Leur usage par les premiers microorganismes (si on s'intéresse aux débuts de la vie) n'était pas absolument indispensable, même si inévitable, et pas contraignant au tout début, lorsqu'on parlait de petits peptides de 3 à 10 acides aminés.

    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    Certes, la quantité de la forme L est incomparablement plus élevée que celle de la forme D, mais alors pourquoi la vie se décarcasse-t-elle à fabriquer les deux formes alors que la standardisation serait peut-être plus pratique ?
    Ce serait un peu comme de dire que les organismes aérobies "produisent" les radicaux libres (O2-, HO-) qui détruisent leur ADN lorsqu'ils réduisent l'oxygène moléculaire O2 en eau H2O. Les formes D sont des produits inévitables du métabolisme, et le vivant a appris, plus tard, à faire avec, même si auparavant, il pouvait s'en passer.

    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    Durant l'émergence de la vie, processus qui a dû être assez long, la sélection ne se serait-elle pas opérée pour les AA L pour les protéines et D pour les autres fonctions non pas en vertu de la disponibilité dans le milieu mais en vertu de leurs propriétés, ou plutôt des propriétés des protéines chirales ?
    Quand on regarde la dynamique du ribosome au niveau atomique, on remarque, non seulement que la conformation tridimensionnelle du site actif en mouvement sélectionne préférentiellement les acides aminés L (voir Thirumoorthy & Nandi, 2007 au message #27) mais également que si on enlève ou altère certaines parties spécifiques du ribosome, cela influe sur la capacité du ribosome à sélectionner les acides aminés L. Cela semble démontrer à mes yeux que la capacité du ribosome a évolué pour sélectionner, de mieux en mieux, les acides aminés L (Thirumoorthy & Nandi, 2008). On pourrait faire dès lors l'hypothèse, que le rôle du ribosome à l'origine n'était pas celui qu'il rempli actuellement.

    Or, le ribosome actuel est composé de différentes protéines, qui sont par définition homochirales, et d'acides nucléiques, qui contiennent tous des sucres D. Donc, on pourrait supposer, sur la seule base que le ribosome peut être "pellé comme un oignon" en différentes couches successives, que cette homochiralité des différents composants du ribosome étaient nécessaires avant l'invention du ribosome, malgré le fait que ce soit lui qui maintienne manifestement l'homochiralité des protéines actuelles. Donc, on a fait l'hypothèse, que l'homochiralité devait être établie dès l'époque précédant l'apparition de la fonction moderne du ribosome, dont on pense que le LUCA était déjà pourvu.

    Le fait est qu'en "pellant l'oignon", on découvre un brin d'ARN ribosomique d'une importance capitale (qui fait dire à beaucoup que le ribosome est un ribozyme). En d’autres mots, la peptidyl transférase au centre du ribosome est tellement mauvaise pour discriminer les acides aminés L par rapport aux D qu’il paraîtrait évident que ce n’était pas son rôle à l’origine.

    Aussi, puisque le ribosome actuel est fait de molécules homochirales supposées indispensables à son bon fonctionnement, il paraît donc vraisemblable que le mystère de l’homochiralité du vivant ne soit pas à chercher, à l’origine, parmi les acides aminés des protéines modernes (qui sont devenues chirales avec l’apparition de la forme moderne du ribosome) mais plutôt parmi les acides nucléiques, et particulièrement en ce qui concerne son sucre, le ribose.

    Donc, le mystère de l’homochiralité trouverait son origine dans les sucres et les protéines homochirales auraient émergées ensuite, par une sorte d’interaction indirecte (hypothèse de Toxvaerd, et dans une moindre mesure, de Morowitz).

    Bien sûr, on conçoit facilement que des proto-protéines pourvues d’acides aminés L et D existaient déjà au tout début de l’émergence de la vie, puisque les acides aminés sont extrêmement faciles à faire dans tout un tas d’environnement. On connaît aussi plusieurs façons de polymériser des acides aminés dans des conditions abiotiques. Donc, il y a eu plusieurs phases de complexification. Le fait est que l’important ce pourrait être l’homochiralité chez les sucres.

    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    Cet article décrit aussi un autre phénomène dont j'ignorais tout auparavant :
    J'en avais touché un mot au message #18 de cette discussion.

    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    Comme j'ai dit plus haut, il ne m'avait pas échappé que les protéines ne sont constituées que de AA de forme L et que les AA D remplissent d'autres fonctions assez diverses.
    Fonctions diverses mais pas essentielles dans le cadre de l’origine de la vie. Aussi, je trouve que tu as une vision un peu trop scolaire du vivant. Il y a des centaines d’acides aminés différents dans le vivant, synthétisés à divers moments des cycles métaboliques, comme déchet ou par modifications post-traductionnelles. Voir par exemple ici :

    Data on the Naturally Occurring Amino Acids (Mooz, 1976)

    Si on attire l’attention sur vingt d’entre eux, c’est parce qu’ils sont intégrés dans le code génétique. On en vient à la question « pourquoi ceux-là et pas les autres ? » ou encore « pourquoi 20 acides aminés et pas davantage ou moins ? », ou en vrac, « pourquoi des codons formés de triplets de nucléotides ? », « pourquoi seulement 4 nucléotides ? ». Mais là, je pense qu’il faudra explorer plus avant les cycles métaboliques, et le vivant en général, pour pouvoir formuler une hypothèse testable qui tienne la route.

    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    Je reprends la métaphore que j'ai déjà utilisée : si le vivant a sélectionné O, H, C, N plus quelques autres éléments chimiques ce n'est visiblement pas en vertu de leurs abondances mais probablement en vertu de leurs propriétés, puisqu'il a presque totalement négligé le silicium par exemple (le deuxième élément le plus abondant dans la croute terrestre avec presque 30%)
    .

    La majorité des scientifiques s’accordent à dire que la vie est née dans l’eau (et j’y suis moi-même favorable). Dire que le silicium aurait dû être utilisé sur le seul critère de son abondance dans la croûte terrestre, c’est oublié un peu vite les problèmes de solubilité. Ensuite, en plus de la solubilité, il faut prendre en compte les conditions d’oxydoréduction dans l’océan (pH, température, etc.). Par exemple, on peut expliquer facilement le fait que le carbone ait été préféré au silicium parce que àa concentration était largement supérieure à celle du silicium dans l’eau des océans primitifs, à une époque où l’atmosphère était riche en CO2. On voit encore une fois la faiblesse de l’argument de l’abondance dans la croûte terrestre, puisque le carbone n’y est pas très abondant. Au-delà de ça, il est évident que les propriétés chimiques des atomes considérés ont de l’importance pour expliquer pour quoi (à quelle fin) ils sont utilisés dans le vivant. Cela dit, l’abondance permet d’expliquer énormément de chose. Le critère d’efficacité chimique permet d’expliquer pourquoi la vie utilise encore largement le fer alors qu’il n’est plus du tout abondant dans les océans (mais il y était avant l’épisode dit de "Grande Oxydation"). Pareil pour le nickel, dont la concentration a chuté de près de deux ordres de grandeur entre les premiers océans et aujourd’hui. Le critère d’abondance permet aussi de comprendre pourquoi les organismes utilisent le fer et le cuivre comme centre actif dans le transport de l’oxygène, plutôt que le cobalt, qui serait beaucoup plus adapté chimiquement, mais qui n’a vraisemblablement jamais été extrêmement abondant dans l’eau de mer. Donc, il y a deux critères à prendre en compte : le critère d’abondance (dans l’eau, pas dans la croûte) et le critère d’efficacité chimique. En tenant compte des conditions rédox, on peut même faire l’hypothèse que la plupart des fonctions enzymatiques remplies par des centre actifs contenant du cuivre était remplie à l’origine par du fer, et que les enzymes à cuivre sont largement apparues avec la grande oxydation, qui ont changé la disponibilité du fer.

    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    Faire l'hypothèse que les briques dites élémentaires, d'un niveau de complexité nettement plus élevé, ont été sélectionnées en vertu de leur disponibilité, laquelle repose elle-même sur son lot d'hypothèses ad hoc, peut à la rigueur expliquer pourquoi les AA sont lévogyres mais à mon sens n'explique pas pourquoi ils sont chiraux puisque l'on voit que le vivant produit indifféremment des L et de D en fonction des besoins
    .

    On peut aussi faire l’hypothèse que le vivant ne produit pas d’acides aminés D, mais qu’il a appris à se servir, a posteriori, d’acides aminés qui se trouvaient par défaut (par racémisation, déchet, ou autre), dans son environnement.

    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    De plus, si l'on prend en compte le phénomène de racémisation, étant les échelles de temps géologiques, même en supposant un bombardement intense de comète et d'astéroïdes, les AA initialement chiraux ont deviennent achiraux bien avant que la vie ait le temps de démarrer.
    Argument que j’ai défendu au message #68 de cette discussion.

    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    Pour moi ces hypothèses semblent délibérément faire fi de ce qui me parait le paradigme le plus simple : la sélection naturelle. Ou alors à quoi ça sert que Darwin se soit décarcassé ?
    Dire que c’est la sélection naturelle n’arrange rien, puisqu’il faudrait dès lors trouver les mécanismes indispensables à la sélection naturelle, avant l’apparition de la plus petite unité connue qui y est soumise (la cellule vivante).

    Tu as manifestement oublié ma remarque, au message #74 de cette discussion :

    Citation Envoyé par Geb Voir le message
    Il me semble que mentionné la sélection naturelle est une hypothèse tout aussi paresseuse que celle du début. Ça me rappelle l'argument dit "du Dieu bouche trou" : "God did it", à toutes les questions possibles et imaginables :

    Une bonne solution à mes yeux, doit, par définition, entrer plus dans les détails. À commencer par la désignation de chacun des mécanismes qui pourraient sous-tendre ne serait-ce qu'une possibilité de sélection naturelle (en gros : variation, sélection, amplification) avant l'apparition de la plus petite unité connue qui en soit capable : la cellule vivante. Je ne suis pas en train de dire qu'on a pas déjà quelques membres du triptyque, mais le diable est dans les détails.
    Cordialement.
    Dernière modification par Geb ; 11/01/2015 à 11h23.

  22. #82
    saint.112

    Re : Quel est le vrai mystère de la chiralité ?

    Citation Envoyé par Geb Voir le message
    Historiquement, il est clair que Pasteur a été un peu hâtif dans sa conclusion. Parce qu'il a découvert que l'asparagine issue de 7 espèces de plantes était homochirale, il en a conclu que c'était là quelque chose de général.
    Est-ce que cette tendance à extrapoler n'est pas un travers assez fréquent dans un peu toutes les disciplines ?

    Citation Envoyé par Geb Voir le message
    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    C'est à mon avis un argument de plus contre l'hypothèse de départ puisque dans les mêmes organismes il y a production de chacune des deux formes selon les fonctions qu'elles doivent remplir.
    Je ne suis pas d'accord. Les fonctions remplies par les acides aminés D dans les organismes actuels ne sont pas absolument vitales (référence aux antibiotiques), loin de là, et elles peuvent parfois être avantageusement remplacé par la glycine (référence au cas du récepteur NMDA). Leur usage par les premiers microorganismes (si on s'intéresse aux débuts de la vie) n'était pas absolument indispensable, même si inévitable, et pas contraignant au tout début, lorsqu'on parlait de petits peptides de 3 à 10 acides aminés.
    Je ne me suis peut-être pas bien exprimé. Je ne voulais pas dire que les acides aminés n'entrant pas dans la constitution des protéines devaient nécessairement être dextrogyre ni même chiraux. Je ne suis pas en mesure de faire une telle assertion.
    D'après ce que j'ai compris la recherche est encore assez peu avancée sur le point des AA de forme D et donc rien ne permet répondre à cette question.
    Mon propos était que, quelle que soit le rôle de cette chiralité, si l'on trouve dans le vivant aussi bien des formes L que D, certes en quantité très inégales, cela affaiblit l'hypothèse selon laquelle les premiers organismes auraient pris ce qu'ils avaient sous la main dans le potage primitif.
    Mais au contraire, en langage trivial, c'est pour des raisons techniques que la vie a choisi (la sélection naturelle) les AA chiraux, soit de forme L pour les protéines soit de forme D pour d'autres usages, ça ne lui a pas été imposé par les conditions initiales.
    Idée purement spéculative de ma part.

    Ce que tu dis du ribosome est très intéressant. Il fait partie à mon sens des plus fabuleuses merveilles du vivant.

    Citation Envoyé par Geb Voir le message
    La majorité des scientifiques s’accordent à dire que la vie est née dans l’eau (et j’y suis moi-même favorable).
    Dans les années 70, qui a été la décennie de toutes les utopies les plus farfelues, il y a eu un mouvement appelé Naître sans violence qui proposait l'accouchement dans l'eau tiède et dans la pénombre pour éviter de traumatiser l'adorable poupon lors de son arrivée avec de la lumière violente et un environnement trop brutal.

    Citation Envoyé par Geb Voir le message
    Citation Envoyé par saint.112 Voir le message
    Pour moi ces hypothèses semblent délibérément faire fi de ce qui me parait le paradigme le plus simple : la sélection naturelle. Ou alors à quoi ça sert que Darwin se soit décarcassé ?
    Dire que c’est la sélection naturelle n’arrange rien, puisqu’il faudrait dès lors trouver les mécanismes indispensables à la sélection naturelle, avant l’apparition de la plus petite unité connue qui y est soumise (la cellule vivante).
    Tu as manifestement oublié ma remarque, au message #74 de cette discussion :
    Je n'oublie rien, je suis tout à fait d'accord. Par principe, me semble-t-il, invoquer la sélection naturelle est parfaitement trivial. Ce n'est pas une explication, c'est un truisme. Je faisais cette remarque car, c'est le cœur de mon argumentaire, les hypothèses dont il est question font justement l'impasse sur la sélection. Elles supposent qu'un trait aurait été sélectionné sans faire intervenir les mécanismes standard de la sélection naturelle.
    Il resterait naturellement comme tu le dis, et c'est implicitement mon propos, à démontrer quels peuvent avoir les mécanismes exacts qui ont abouti la chiralité.

    Nico
    Travailler dur n'a jamais tué personne, mais je préfère ne pas prendre de risques.

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