Bonjour,
Posté ce jour, à l'identique, sur le forum Passion Histoire.
TOLTECAYOTL
Les Toltèques, tout comme les Aztèques qui leurs succéderont, sont issus de la grande famille appelée « Chichimèques ». Sur un plan strictement linguistique, leur parenté est encore plus évidente puisque ces deux peuples parlaient la même langue, le Nahuatl. Cette langue appartient au groupe Uto-Aztèque dont le berceau originel couvre précisément l’Oasis-Amérique. Comme sont nom ne l’indique que très imparfaitement, cette zone englobe l’ensemble des hauts plateaux (semi-)désertiques du sud-ouest des Etats-Unis et du nord-ouest du Mexique. Plus globalement les tributs chichimèques erraient dans toute l’Arido-Amérique, ensemble des territoires secs et déshérités au nord de la Mésoamérique. Géographiquement et culturellement la proximité des Toltèques et des Aztèques est donc assez flagrante mais l’écart des siècles séparant leurs migrations participe fondamentalement à bien les différencier.
Les Chichimèques étaient donc initialement des bandes « sauvages » vivant de chasse et de cueillette dans les terres inhospitalières du nord mexicain. A bien des égards, on peut les comparer aux tributs amérindiennes qui occupaient l’essentielle de l’Amérique du nord à la même époque, tout en précisant avec force, que nombre de ces peuples n’étaient pas nomades, et pouvaient connaître des développements culturels remarquables qui sont souvent ignorés des non-spécialistes.
A ce sujet, on doit immédiatement évoquer Casas Grandes qui démolit en partie l’image initiale que je vous ai livré des Chichimèques en les qualifiant notamment de nomades et de « sauvages ».
Casas Grandes est une première, mais large parenthèse, que j’ouvre dans ce sujet consacré aux Toltèques.
Paquimé Casas Grandes n’intéresse pas la période précédant la migration toltèque puisque les datations effectuées sur le site nous indiquent une période de développement correspondant, du milieu du 10ème siècle au milieu du 14ème siècle de nôtre ère. Nous serions donc tenté d’y voir un exemple instructif du développement d’une société sédentaire « Chichimèque » avant la migration qui conduira les Aztèques jusqu’aux rives du lac de Texcoco. Rassurez-vous, je ne sous-entends pas de rapport entre Paquimé et la légendaire Aztlan, patrie mythique des Mexicas (Aztèques). Ce serait faire un raccourci bien trop considérable et ne reposerait effectivement que sur de fragiles hypothèses, à la limite, fantaisistes.
Par contre, il semble avéré désormais, que cette population ait eu une parenté plus directe avec les cultures de mésoamérique plutôt que celles, septentrionales, telles les Mogollons ou les Hohokams. L’interpénétration des influences restent malgré tout évidente.
On peut noter dans l’organisation architecturale du site, plates formes et terrassements, jeux de balles (Ce dernier point devant être traité à part, j’y reviendrais ultérieurement), sont bien les éléments d’une relation importante avec les grandes civilisations mexicaines.
De vastes étendues cultivables étaient aménagées par un important réseau d’irrigation.
Casas Grandes demeura pendant plusieurs siècles un carrefour d’échange, marchand et culturel, entre l’Oasis-Amérique et les hautes civilisations précolombiennes de la même époque.
http://www.beloit.edu/~museum/logan/.../casasgrandes/
Sans pouvoir remettre la main sur l’origine précise de ma source, je me permets tout de même de vous parler des travaux de Charles Di Peso (Amerind Foundation).
Selon ce chercheur qui s’est livré à un examen approfondi de la poterie de Casas Grandes, pour toute la période allant de 1060 à 1340 de nôtre ère, on retrouve les représentations d’un panthéon riche de Dieux appartenant aussi, sans ambiguïté, à la mythologie Mixtèque-Puebla, dans le sud du Mexique. 1340 marquerait la fin d’une première époque et correspondrait à une destruction de la ville avant sa renaissance.
Une des fortes caractéristiques de la culture de Casas Grandes est le fait que les représentations des Dieux furent principalement figurées sur les poteries.
Ainsi les récipients usuels deviennent le support de prédilection de cette culture pour afficher sa religiosité alors que dans le même temps, ce principe, en Méso-Amérique, s’exprime d’abord dans l’architecture, la statuaire et les stèles.
On retrouve aussi, à un moindre degré qu’avec les Mixtèques, un lien indiscutable avec la mythologie Aztèque. La figure de Huitzilopochtli est assez fréquente mais plus encore celle de Quetzalcoatl qui dans ce cadre prend franchement les attributs d’une divinité solaire.
Mais attachons nous un instant à la description du site et à l’analyse chronologique de son développement.
Dans un premier temps, nous avons là un simple village d’agriculteurs, à l’image de quelques autres que l’on trouvaient alors, dans cette région.
Assez vite, par un contact privilégié avec les grandes cultures de Méso-Amérique, une cité se construit sur des spécificités particulières.
Des quartiers d’habitations de type Pueblo et Anasazi apparaissent, à plusieurs étages. Les portes en T et les disques de pierre sous les colonnes de soutènement des plafonds sont des caractéristiques authentiquement Pueblo.
Des plates-formes cérémonielles sont bâties et ceintes de mûrs en pierre nous rattachent par contre aux grands centres cérémoniels des hauts plateaux. Sans en posséder l’ampleur, la construction de ces successions de terrasses a demandé un travail considérable d’une importante main d’œuvre et sur de longues périodes de temps.
Comme je l’avais indiqué, je reviens plus en détails sur le jeu de balle.
Particulièrement bien connu dans la zone mésoaméricaine, il nous faut plutôt parler des jeux de balle, pour élargir le cadre géographique et culturel et faire ressurgir la réalité de l’extraordinaire diffusion de ce concept précolombien. La diversité de sa pratique et de l’ensemble des cultures qui s’y livrèrent est largement ignorée et je souhaite jeter un éclairage nouveau sur ce point.
La vision que nous avons du jeu correspond à ce que nous en connaissons principalement par les Mayas (pok ta pok) et les Aztèques. Un terrain en forme de double T (Tachtli- représentation de l’univers) renversé, deux anneaux de pierre fixés verticalement en hauteur sur des murs, de part et d’autre de l’aire centrale. Deux équipes de joueurs, de nombre variable, parfois harnachés de protections, coudières, ceintures etc…, se disputait le contrôle d’une balle (symbolisant le Soleil) pour essayer de la faire passer dans l’un des anneaux (pouvant être associé au cycle temporel du calendrier).
Plus qu’un simple jeu, il s’agit avant tout d’une cérémonie à caractère religieux à l’issue de laquelle on sacrifiait souvent une partie des participants. Nous ignorons si l’immolation concernait perdants ou gagnants, encore que ces termes soient mal adaptés à une pratique rituelle aussi étrangère à nos concepts occidentaux.
Il nous faut dépasser cette étroite vision du jeu de balle pour aborder l’expression plus large que peut revêtir la grande diversité de la pratique des jeux de balle, bien au-delà des seules hautes civilisations mexicaines.
A cet effet je vous livre quelques extraits du lien suivant qui reprennent bien les points que je souhaite développer.
http://tc.revues.org/document180.html#tocto1
Aire géographique nord américaine :
« Analyser la logique interne des jeux amérindiens revient à déterminer leurs possibles contraintes structurelles. La notion de règle implique des conduites rationnelles concrètes, le sport étant une compétition motivée par des enjeux, il est essentiel que les adversaires soient assujettis aux mêmes règles, de façon à réduire au minimum les variables qui pourraient favoriser l’un des protagonistes. Seule la valeur sportive des adversaires doit déterminer le vainqueur. Mais ce principe ne peut s’appliquer strictement à l’analyse des jeux sportifs amérindiens. Les rencontres entre tribus n’étaient pas rigidement standardisées : les dimensions du terrain étaient variables, les tenues et équipements également, les périodes de jeu, le nombre de points nécessaires à la victoire, les distances de course, et même le nombre de participants d’une équipe n’étaient pas fixes. Pour Emmanuel Desveaux (2001 : 289) »
« Le jeu de balle nord-américain semble se décliner à l’infini comme si étaient réalisées toutes les variations possibles à partir de la combinaison de quelques éléments de base, tels que la dimension du terrain, le nombre et le sexe des participants, la forme des accessoires, les occasions de jeu, etc. Il n’y avait pas deux groupes pour partager les mêmes règles ou façons en ce domaine. Du reste, plusieurs d’entre elles cohabitaient souvent au sein d’un même groupe. »
« Il existait cependant certaines constantes dans les jeux populaires de raquette (comme le lacrosse), de shinny (jeu de « double-balle »2); par exemple, l’interdiction pour les joueurs de toucher la balle avec les mains. Seuls bâtons ou raquettes étaient autorisés pour faire avancer la balle. De même, dans la « course avec balle3 », toute manipulation était prohibée. Plusieurs traits, comme la procédure pour commencer la rencontre ou pour comptabiliser les points, étaient communs à toutes les tribus. La position de l’aire de jeu par rapport aux points cardinaux était, elle aussi, immuable. On retrouve d’ailleurs cette particularité dans la pratique actuelle du base-ball par les Amérindiens : les bases sont ordonnées selon les quatre points cardinaux et l’on circule suivant la course du soleil »
Tout cela pour souligner la fantastique variété que prennent les jeux de balle dans l’ensemble de l’Amérique du nord jusqu’à l’isthme de Panama et plus rarement en Amérique du sud, et pourtant, l’étonnante récurrence de certains principes qui sous-tendent quelques valeurs fondamentales communes.
Dans ce registre, les Pr Scarborough et Wilcox ont publié une série d’articles intéressants (en 1991) qui identifie quelques grandes structures régionnales préhistoriques à partir de l’identification de divers zones géographiques dans lesquelles plusieurs cultures différentes partageaient une ou des pratiques de jeu de balle.
(Un point essentiel serait d’avoir une documentation des fouilles qui ont été effectuées à Paquimé et qui documentent les aires de jeu de balle en cet endroit. Je ne possède pas ces références et je lance un appel à qui pourrait en fournir un accès simple et gratuit.)
Je ne puis que relayer les allégations des chercheurs cités plus haut, qui affirment une relation évidente entre la pratique du jeu de balle à Casas Grandes (Paquimé) et celles (probablement un peu plus élaborées, des granges civilisations précolombiennes.
Entre 1958 et 1962, une grande campagne de fouilles fût entreprise par l’Amerind Foundation, à l’initiative de son Directeur, C. Di Peso.
C’est dans ce cadre général qu’il faut situer les travaux de J. Ravesloot qui étudia un ensemble de sépultures dans lesquelles furent retrouvés 445 corps.
Il résulte des études statistiques faites sur ces inhumations, une meilleure connaissance des structures hiérarchiques de cette communauté.
En ayant établit un ensemble de critères (un peu arbitraires selon certains chercheurs), localisation préférentielles ; soins apportés aux dépouilles ; qualités des offrandes, Ravesloot va classifier les tombes en quatre catégories.
Dans la première, celle d’une « classe dominante », on rangerait 28 individus.
On y trouve des hommes, des femmes et des adolescents qui auraient vraisemblablement assumés leurs rangs de façon héréditaire.
Pour les trois autres catégories, où il semblerait que le statut des individus soit acquis,
on trouve dans l’une d’elle exclusivement des adultes.
Un ouvrage intéressant traite plus largement de ce sujet. En voici un compte rendu :
http://jsa.revues.org/document1601.html
Pour en revenir précisément à nôtre sujet, Casas Grandes, nous sommes dans un système de hiérarchisation sociale assez éloignée des simples structures villageoises, et cela couvrirait une période allant environ de 1200 à 1450 ap.JC.
Cet apogée surviendrait donc au moment même de l’effondrement définitif de Tula, la capitale des Toltèques, que l’on soupçonne fort d’avoir été détruite par des Chichimèques.
De même Casas grandes sera détruite et incendiée au milieu du 14ème siècle par des hordes sauvages, proches parents, qui décidément auront jouées un rôle majeur, durant des siècles, dans les apparitions et les déclins de presque tous les foyers culturels, du Rio Grande aux rives du lac Texcoco, et plus encore...
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