Les gens qui évoquent la fin des ressources et les énergies bon marché ont une vision extrêmement statique et réductrice de la réalité économique et de son double caractère synchronique et diachronique.
Sur le plan synchronique, autrement dit, à chaque instant donné de l’histoire humaine, la rareté des ressources est un problème permanent apparu avec l’Humanité et qui l’accompagnera à jamais jusqu’à la fin des temps. C’est pourquoi il était normal que les hommes des années 1920 s’interrogent sur les ressources électriques et la possibilité de les élargir. Mais une fois de plus, la rareté à ce moment se posait par rapport aux disponibilités liées à la technologie de cette époque-là. Autrement dit, il s’agissait des préoccupations d’une humanité qui se limitait à quelques centaines de millions d’habitants.
Sur le plan diachronique, c’est-à-dire, à des instants différents, le problème des ressources énergétiques va toujours se poser, mais dans un cadre plus large. Les préoccupations actuelles de l’énergie incorporent ainsi outre le pétrole et le charbon qu’on connaissait à l’époque, l’énergie atomique, l’énergie solaire, le biocarburant, l’énergie marémotrice, et toutes ces nouvelles sources que la technologie a découvertes entre temps. La thématique des ressources rares reste donc permanente, mais elle se place à un niveau plus élevé de la civilisation et à une Humanité de plusieurs milliards d’habitants.
Dans l’avenir, quand on aura su extraire l'énergie du sable de la mer, la thématique se posera toujours, mais dans un cadre plus élargi encore.
La peur des ressources vient de la confusion entre les deux approches. C’est pourquoi l’inquiétude exprimée de manière récurrente dans ce forum n’a rien de nouveau dans l’histoire humaine, elle exprime au contraire une anxiété aussi vieille que l’Humanité, un épouvantail qui fait partie des archétypes, ces formes de peurs ancestrales apparues avec l’homme et son intelligence. Il y a 200 ans, qui savait qu’une nouvelle forme d’énergie était possible, juste avant la découverte de l’électricité ? Et même après sa découverte, qui pouvait imaginer qu’on pouvait en tirer du soleil ? Qui aurait pu imaginer qu’une formidable énergie se trouvait cachée dans les atomes et qu’un siècle plus tard, la France pouvait en tirer 70% de son électricité? Quel scientifique aurait parié qu’on pouvait fabriquer le carburant à base des plantes ? Or, il y a un siècle, ces inquiétudes étaient là. Mais l’humanité, grâce à sa science, y a répondu, et très bien !
Il y a un siècle, des conurbations monstrueuses comme Tokio-Yokohama, Paris, New York ou Mexico qui rassemblent des dizaines de millions d’habitants n’auraient jamais pu exister et fonctionner. Les métros n’existaient pas pour porter cette population, des ordinateurs n’existaient pas pour régler la circulation, des pompes géantes n’existaient pas pour traiter les eaux usées.
Quant au problème de l’espace dans les villes, les gratte-ciel inconcevables du temps des Romains et les HLM se chargent d’abriter des millions de ménages, indépendamment de l’opinion qu’on peut en avoir. Quant à la nourriture, il faut convenir qu’elle ne manque pas : la science a mis bon ordre pour les pays qui ont la chance de la maîtriser. La famine existe ailleurs justement parce qu’on y trouve pas les mêmes moyens technologiques.
Dans un siècle, quand nous serons tous morts, nos enfants reliraient avec amusement nos inquiétudes, comme nous rions de celles de Malthus et de bien d’autres. Et au moment où ils riraient, ils émettront aussi, hélas ! des inquiétudes analogues, pour être moqués à leur tour par leurs descendants, et ainsi de suite, jusqu’à la fin des temps..
Quant à l’effectif d’une communauté humaine, elle ne peut, hélas! jamais être stable : l’homme est en effet la seule créature qui, par elle-même, est capable de modifier son environnement et élever son niveau de vie, et par suite, sa longévité. Dès lors qu’une communauté humaine devient stationnaire, elle commence immédiatement à vieillir suivant une spirale irrésistible. La proportion grandissante des vieilles personnes pèsent de plus en plus sur les personnes actives qui réagissent en réduisant davantage le nombre des enfants et la communauté sombre dans ce que j’appelle « l’occlusion gérontale ». Elle perd alors toute possibilité de se renouveler et finit par disparaître. Cette pathologie bizarre explique le fait également bizarre que le niveau de vie, loin de favoriser la natalité, entraîne au contraire sa réduction. Ce qui dément, soit dit en passant, certains économistes qui réduisent l’enfant à un choix économique et non une exigence anthropologique de la perpétuation de l’espèce humaine.
On peut déjà le constater dans certains pays très développés dont le taux de croissance démographique baisse irréversiblement, malgré les revenus sans cesse en augmentation, malgré les incitations publiques, malgré les cadeaux, malgré les appels.
Ce qui est absolument étonnant dans notre débat, c’est la place que prétend se donner notre génération actuelle : nous nous survalorisons en fixant des bornes à un avenir que nous ne connaissons pas et en prenant des paris sur un monde à venir. Naguère, les gens ont prédit la fin de la science, de la technique, etc. L’avenir leur a donné tort. Comme il donnera toujours tort à tous ceux qui tenteront de fixer des limites à l’Humanité. Y compris nous-mêmes.
Quant au nombre des humains, il pourra avoir des centaines de milliards sur la terre et si cela ne suffit pas, l’Univers reste assez grand pour les abriter. Bien sûr, on dira que c’est spéculatif, mais il y a plus de spéculation à anticiper l’arrêt de l’humanité qu’à lire, dans le conquête spatiale, les balbutiements d’une ère nouvelle.
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