Bonjour,
Il y a une expression et un discours qu'il me semble lire et entendre actuellement de plus en plus, c'est l'évocation d'une "perte de sens" que connaîtrait, prétendent certains, notre société.
Or, pour ma part, en lisant régulièrement des magazines et livres scientifiques, ou me promenant sur FS, il me semble au contraire en découvrir tous les jours davantage, du "sens" ! Et je suis d'accord avec Michel Serres quand il dit que c'est au contraire aujourd'hui, avec l'apport de théories comme l'évolution et la théorie du Bg Bg, que l'on peut enfin établir une vision plus ou moins claire et cohérente de notre histoire (Philosophie magazine n° 11 de juillet-août 2007 p. 50).
Alors "perte de sens", comme le prétendent certains, ou au contraire accroissement ?
Et "perte de sens" par rapport à quoi ? Quel "sens", défini par qui, à quelle époque, serait ainsi perdu ?
Ce qu'il me semble, c'est que nous fonctionnons dans une société bicéphale.
D'un certain côté, la science règne en maîtresse dans tous les domaines : technologie, médecine... (dont tout le monde profite allègrement).
Mais d'un autre côté, le "grand public" mais aussi de nombreux "penseurs" en sont restés, intellectuellement parlant, aux "Humanités" du XIXème siècle : lettres, latin-grec, histoire-géographie, arts classiques. Il ne s'agit évidemment pas de dénigrer ces disciplines, mais ce que je constate, c'est que les sciences n'ont pas droit de présence dans la "culture". Être "cultivé", c'est connaître les grands philosophes, écrivains, peintres et musiciens, les principaux lieux géographiques et faits historiques, plutôt que les grands scientifiques (à part quelques figures comme Pasteur - figure du "génie français", récupérée par un certain chauvinisme franchouillard - ou Darwin et Galilée - figures récupérées par un certain anti-cléricalisme). On peut montrer que les rares figures scientifiques célèbres auprès du grand public le sont plus pour des raisons de "récupération" idéologique et opportuniste que par passion pour la science. Einstein est un nom connu de tous, mais l'importance de ses travaux, même à un niveau très vulgarisé, intéresse véritablement combien de personnes ?
Je prendrais encore pour preuve :
- une émission "populaire" comme Questions pour un champion, comme autrefois Le jeu des 1000 francs, censée poser des questions de "culture générale", ne pose jamais - ou presque - de questions scientifiques ;
- dans les conversations "de salon", s'il est de bon ton de parler d'arts, de littérature, de politique ou même de philosophie, on ne parle jamais des découvertes scientifiques ; d'ailleurs, on n'y "connaît rien" ;
- s'il existe des cafés littéraires ou philosophiques, il n'existe pas de "cafés scientifiques" ;
- il n'est pas du tout mal vu de prononcer la phrase : "J'ai toujours été nul en maths" ; non seulement cette phrase ne soulève pas la réprobation, mais elle laisse plutôt entendre que, si on la prononce, cela signifie que l'on était excellent "ailleurs", et que c'est cela qui compte... Mais personne ne dit jamais "J'ai toujours été nul en anglais" ou "J'ai toujours été nul en géographie" en espérant en tirer un certain prestige.
Non seulement la science n'est pas perçue comme pertinente dans la "culture générale", mais elle est plutôt accusée de tous les maux : armements sophistiques, pollution... Ce qui montre une grande confusion dans les idées la concernant.
Citation de Michel Serres : "La séparation des sciences et des lettres est un artefact universitaire, créé de toute pièce par l'enseignement" (p. 53).
Alors, "perte de sens", pas "perte de sens" ?
Qu'en pensez-vous ?
Paminode
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