La question de la forme en biologie me parait fondamentale. À commencer à l’échelle moléculaire, celle de la forme et de la symétrie des formes. Stéréochimie, affinités électrostatiques, récepteurs, messagers et complémentarités des ensembles et en particulier des ensembles miroirs. Tout molécule a son symétrique or pour certain le miroir est équivalent à l’original vue leur symétrie dans tous les plans, chiralité isomorphique de la molécule d’eau. Pour les molécules plus complexes se posent leurs qualités stéréochimiques et celles de leurs miroirs respectifs. Les affinités moléculaires sont dynamiques et tout dans le vivant procède d’une logique d’interface, d’imbrication, d’affinités et de miroir. Quand les affinités nécessaires sont suffisantes entre deux systèmes moléculaires, ceux-ci s’assemblent et suivant les contraintes thermodynamiques, l’assemblage nouveau se simplifie vers une forme contractant l’information au gré des échanges s’effectuant à un niveau quantique. Se perpétuent et s’augmentent ceux qui auront le mieux contracté leurs complexités. S’il y a un modèle philosophique opérant, je crois que son origine peut s’établir au croisement des deux systèmes leibnizien et spinoziste, philosophies de la charnière baroque des 17e et 18e siècles qui ont pour la première fois pensé une nouvelle forme d’infini, actuellement sous-divisé sans fin et pour lesquelles perfection et réalité étaient synonymes : ce qui advient à la réalité, y advient en vertu de sa perfection et réciproquement c’est toujours la forme qui enveloppe le plus de réalité qui accède à l’existence dans le meilleur des mondes possibles, celle et celui contractant le plus de réalité donc de perfection.
(Cf. Deleuze, Le pli, Leibniz et le Baroque 1988).
Le vivant comme expression de la conservation et de la contraction de l’information suivant la capacité qu’a tout système ouvert à conserver s’il la transmet sa complexité c’est à dire l’information qu’intègre sa forme suivant un modèle néguentropique. C’est à ce niveau que la propriété miroir apparaît comme le mécanisme permettant la conservation de l’information au niveau moléculaire. Si une forme donnée impose à son environnement par le jeu des affinités électrostatiques de ses constituants moléculaires, l’image miroir de sa structure elle tendra à conserver l’information qu’elle enveloppe par réplication. Or c’est exactement ce qui est en jeu au niveau du noyau des eucaryotes et des virus. L’hypothèse selon laquelle les virus sont les acteurs fondamentaux de l’évolution et seraient à l’origine des noyaux me semble particulièrement intéressante. En effet ces unités ultramutantes de réplication de l’information (maximum d’information contenue, surface minimum, énergie dépensée minimum) que sont les virus me semble en faire les candidats privilégiés de circulation, de dissémination et d’invention de l’information. L’approche des virus en tant qu’agents pathogènes opportunistes ne reflète qu’une partie singulière de la dynamique de ces éléments d’informations auto-répliquantes comme il serait limitatif de juger des propriétés réplicatives des protéines à l’aune de celles particulières des prions. Le junk DNA mis en évidence comme majoritaire dans le noyau des eucaryotes serait la manifestation première de cette activité d’échange dont les virus sont des éléments dynamiques. Cette information non codante serait de l’information potentiellement codante en attente d’être promue par une modification ultérieure la rendant utile à la conservation de l’expression à priori codante de l’eucaryote qui l’enveloppe. De plus une partie importante de l’information à une valeur non pas directement d’expression d’une protéine mais renseigne sur la façon dont l’information qu’elle avoisine va être utilisée. Il ne s’agit pas de dire que les virus sont antérieurs strictement aux eucaryotes, bien qu’il y a fort à parier qu’ils eurent une part active dans l’apparition de leurs noyaux, mais que les évolutions de leurs phylums respectifs sont coextensives. Si la partie codante essentiellement utile à un virus hormis celles assurant directement sa réplication est celle codant les protéines de sa surface, on voit que c’est bien cette inventivité des virus à modifier leur interface qui est source d’une information potentiellement utilisable par les organismes intégrant sans en mourir l’information virale. En effet quel est le meilleur devenir d’un virus pour perpétuer son information sinon d’intégrer celle-ci à son hôte sans le tuer. L’information potentiellement utile est alors codante pour des protéines qui entrent en jeu dans des rapports d’interface et de voisinage comme les protéines de surface virales permettait au virus d’interagir positivement pour sa perpétuation dans son environnement. Il importerait de se pencher sur les mécanismes de promotion de l’information virale comme sur ceux des amorces informationnelles dont dépend la façon dont va être utilisée une même séquence codante. Pour conclure temporairement mon questionnement intuitif, je me demande s’il ne serait pas intéressant d’imaginer une manière de résoudre le paradigme inné/acquis en se demandant si les individus, qui sont l’expression ultime et les agents de leur propre réplication, ne participent pas activement (et ne seraient donc plus seulement les expressions temporaires de leur phylum) aux mécanismes de l’évolution par l’acquisition d’information au gré de leur existence, interactions immunologiques et transfections virales, en incorporant le fruit de leurs rencontres non létales à leurs gamètes et suivant à leur descendance. L’inné comme le fruit de l’évolution transmise à un individu dont les interactions avec son environnement, et l’acquis le champ d’augmentation possible de l’information comme il est aussi celui de sa transmission. Inné et acquis étant alors les pôles d’une même dynamique néguentropique.
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