.
Un argument apodictique est un argument qui s'impose de tout évidence, ne laissant prise à AUCUN contre-argument.
Par exemple, << tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme, donc Socrate est mortel >> est un raisonnement apodictique.
De même, la démonstration de 2+2=4 (fût-ce d'après le système de Principia Mathematica) est apodictique (et même assez longue, d'ailleurs).
Par contre, << j'existe et les gens avec qui j'interagis ont une existence comparable à la mienne, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas de purs phantasmes projetés sur l'écran de mon cinéma >> n'a rien d'apodictique. Descartes en a fait ses choux gras.
Pourquoi dire que la réalité des autres (ou du monde) n'est paas apodictique, alors que toute personne saine d'esprit la tiendra pour une évidence ? C'est une évidence, c'est vrai, et la vie n'aurait aucune portée sans cette pensée, néanmoins nous parlons ici de l'apodicticité de la proposition, c'est-à-dire que nous l'envisageons de manière épistémologique.
En vérité, si on veut envisager cette question de manière rigoureuse, il faut partir de "Moi, le sujet" (ça, c'est sûr que ça existe), et de ce que Moi ressent : à savoir des phénomènes. Certains de ces phénomènes sont des pensées ou des émotions que J'ai, on les dira "internes". D'autres phénomènes constituent ce que J'appelle globalement "le monde", ou "les autres", --- mais attention, à ce stade du raisonnement, "le monde" ou "les autres" n'est qu'un mot, une étiquette que je mets sur ces phénomènes, sans certitude qu'ils correspondent à quelque chose de bien réel.
Mon problème est le suivant : comment Moi, en voyant Bob qui baille ou qui ris, puis-je en venir à être persuadé que Bob est un être pensant du même type que moi, qui ressent le même genre de choses que quand moi je m'ennuie ou je m'amuse ? Si je peux affirmer une telle chose, nous admettrons que j'ai conféré de la réalité à Bob.
Epistémologiquement, le problème est que "l'ennui' ou "la joie" sont des phénomènes du premier genre, ceux que nous avons appelés "internes" : je les connais parce que je les expérimente en moi --- mais quelle garantie ai-je que d'autres (qui d'ailleurs à ce stade ne sont que des images sur l'écran de mon cinéma interne) les expérimentent aussi ?
C'est le problème de l'intériorité : la conscience d'autrui ne communique pas directement avec ma conscience à moi. Si elles communiquaient, elles n'en feraient qu'une, et je serais cet autrui, je n'en serais donc pas plus avancé.
En fait, sur le plan de la logique pure, rien ne s'oppose à ce que Bob soit un androïde qui imite parfaitement l'être humain mais qui n'ait aucune émotion --- ou encore un phantasme qui n'ait aucune réalité.
---
Cependant, tout le monde admet que les phénomènes tels que Alice, Bob, Charles, etc. sont réels et vivants, comme Moi.
Voilà pourquoi à mon avis :
-- il y a en Moi une unité de traitement qui réalise un certain calcul, qui est le suivant :
-- cette unité de traitement associe des triplets (Moi, signe d'une émotion vécue par Moi, émotion en question) tels que (Moi, mon rire, ma joie) ou (Moi, ma tristesse, mon pleur)...
-- cette unité de traitement recueille les triplets du monde liés aux phénomènes appelés "les autres", et les code avec une variable libre X
Par exemple elle voit Bob pleurer et code (Bob, X, pleur de Bob)
-- par un procédé de type analogie (en fait, une sorte de règle de proportionnalité) elle attribue une valeur à X, dans le cas précédent, l'occurence de (Moi, ma tristesse, mon pleur) qui rencontre le triplet (Bob, X, pleur de Bob) induit à poser que X = tristesse de Bob
-- on en déduit une kyrielle d'interprétations du type (Bob, tristesse de Bob, pleur de Bob)
-- jusqu'à cette dernière induction, "Bob" dans le triplet n'était qu'une variable liée, une étiquette posée sur le phénomène. Mais, à force de manipuler un paquet de triplets où il est question de "tristesse de Bob", "joie de Bob", "ennui de Bob", etc., l'esprit de "Moi-le sujet" se forge la conviction que Bob est un objet du monde obéissant aux mêmes lois que "Moi-le sujet".
-- il en résulte que Bob est crédité de réalité et du statut d'être semblable à Moi.
---
Que dites-vous de cela ?
[P.S.: on n'a pas débattu ici du niveau auquel se déroule ce traitement symbolique. Il peut être neuronal, hyper-neuronal, ou même sub-neuronal, cela n'a pas d'importance.]
.
-----