Thèse.... Une bouteille à la mer....

[invite12179f36]

Bonjour à tous,
Je vous écris car je suis dans une situation un peu complexe. En seconde année de thèse, travaillant sur le meme sujet depuis 3ans, le bilan de l'expérience me semble loin d'etre positif. Je songe de plus en plus sérieusement à arreter en raison du ras le bol qui s'installe.
Pour résumer la situation, on dira que je travaille sur un sujet très délicat, pour lequel le recueil de données est particulièrement couteux et long. Depuis le M2 j'ai remanié 4 fois mon protocole de recherche. A chaque nouveau protocole, il faut entre 4 et 8 mois pour recueillir assez de données pour en vérifier la validité... Autant de temps perdu pour l'avancée réelle du boulot. J'ai sacrifié tous les week ends et les vacances, avec des horaires de dingue (de 8h à au delà de 23 heures le soir) pour pouvoir avancer dans mon recueil de données, mais celà n'a servi à rien. J'ai fait part au fur et à mesure des difficultés expérimentales liées à l'objet de mon travail à mes directeurs, mais la faute m'était rejetée, je n'étais pas assez présente,(sic) il fallait faire ceci et celà... Remarques prises en comptes, modification du travail en conséquence, et bilan ensuite : se voir reprocher les modifications en question, alors qu'elles avaient été précisées en réunion.... On me demande d'être innovante, ce à quoi j'aspire avec passion.Je propose; les idées sont rejetées en réunion, mais proposées pour un nouveau stagiaire, que je dois superviser.... (arg)... Aucun suivi sur lieu de recherche, quand je fournis des documents expérimentaux, ils ne sont pas lus, aucun retour sur le travail que je produits pendant plusieurs mois, mails sans réponse.... On finit par me répondre entre deux portes ou au détour d'un couloir. On me demande de fournir des données en urgence, ce que je fais, et celles ci ne sont exploitées.... que 3 mois plus tard, malgré mes rappels réguliers... Bref, un fiasco.
La derniere incohérence en date : je propose une réorientation du projet global, avec documents protocoles et prévisions de manips à l'appui, suite à réunions, j'apporte des modifications (x réunions, x modifications du projet.) Comité : présentation du dernier projet validé..... On me demande pourquoi je ne ferais pas telle ou telle manip.... ce qui correspond précisément à ma proposition n° 1.... A croire que rien de ce qui se dit n'est pris en compte ou retenu.
Total, bac + 7, pas de publi en 1er nom, une étude bancale, et des perspectives assez sombres. Et j'en ai ma claque de cette ambiance de travail. J'étouffe, je m'ennuie prodigieusement. Question finances je suis la tete sur le billot chaque année, car non alloc et déjà eu droit à du chantage sur ce point.
Je cherche du boulot actuellement histoire de prévoir mes arrières, mais aussi peut etre de partir (j'hésite encore à abandonner un projet qui m'a autant couté en investissement personnel, mais vu l'avancement, avec un minimum de lucidité, il est impossible que je présente un travail cohérent avant la fin du délai imparti pour ma thèse si il n'y a pas de profondes modifications du projet) tout en songeant à reprendre un autre master pour me réorienter. Je ne suis pas sure d'avoir assez de ressources pour continuer, je me sens vidée.
J'ai perdu toute estime de moi au niveau professionnel. J'ai fait un burn out il y a quelques mois, depuis je suis moins présente au boulot.
Avez vous déjà vécu celà? Qu'avez vous fait? comment vous etes vous réorientés? où avez vous trouvé de l'aide ou l'écoute nécessaire? Après avoir arreté une thèse, peut on postuler pour un autre projet plus en adéquation avec notre projet professionnel? Je crains les répercussions dans le réseau professionnel si je laisse tomber.
Que pensez vous de tout çà?
Merci.
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[inviteafe1cd13]

Bonjour,

rassure-toi, tu es loin d'être seule dans ton cas ... si tu le désires, tu peux aller voir sur les forums de phdcomics, où plusieurs personnes ont raconté des expériences similaires.
Je me souviens encore de ma thèse : passer 6 mois sur ordre de mon directeur de thèse à développer des calculs - avant que je ne découvre par moi-même que ces calculs avaient déjà été fait depuis longtemps et qu'il le savait pertinemment ; être tellement stressé que j'en faisais des nuits blanches, que j'en perdais tous mes moyens, et que le simple fait d'entendre sa voix au loin me faisait sursauter ; jongler avec 4 projets en parallèle, être harcelé toutes les 3 heures parce que j'avais laissé de côté un 5me projet "vital" (qui changeait à chaque fois) ; faire une crise de dépression grave qui m'a amené à trois doigts du suicide, qui a failli me faire couper tous les ponts avec mes amis, et qui a ruiné à jamais mes facultés de concentration ; découvrir trop tard que le sujet de thèse est moisi et ne conduira jamais à un poste ; batailler en vain pour faire des articles, se heurter à un torrent de mensonges à ce sujet, ce qui fait que je ne serai jamais qualifié ...
Ouais, on peut dire que j'ai connu le même genre de problèmes. Personnellement, je me suis obstiné de manière imbécile pour soutenir : j'ai profité de ma quatrième année faite avec un financement ATER au loin (que j'ai dû obtenir seul, mon chef faisant semblant de se bouger pour moi) pour prendre mes distances et le forcer à accepter que je passe en mode rédaction. Malgré leur sympathie pour mes souffrances, je n'ai reçu aucune aide solide des chercheurs du laboratoire ; j'ai reçu un vague soutien du conseil d'école doctorale pour faire comprendre à mon chef qu'une thèse se fait en moins de 4 ans. En fait, l'aide la plus précieuse que j'ai reçu alors que j'étais au fond du trou est celle qu'a prodigué la personne qui allait devenir ma femme - si je ne me suis pas suicidé, c'est principalement grâce à elle.
Et une fois le doctorat en poche, j'ai découvert les joies du postdoc, et je me suis rendu compte que, contrairement à ce qu'on m'avait seriné avant que je m'engage, j'étais tombé sur une période extrêmement difficile en termes de recrutement. En me battant comme un malade, j'ai réussi à décrocher un postdoc, puis un CDI ...

C'est difficile de donner des conseils, comme ça. J'ai connu des gens qui ont purement et simplement décidé de tout arrêter - ces personnes s'en sont très bien sorti, et ont décroché des jobs intéressants (si ça peut te rassurer). Ce que je pourrais dire :
- il faut se dire que, malgré ce qu'on peut penser, on est compétent professionnellement. Il ne faut pas écouter ces connards aigris qui se plaisent à te rabaisser, usant de leurs petits pouvoirs - tu VAUX quelque chose, tu as un REEL talent. C'est difficile, je sais, mais c'est une attaque psychologique contre toi, et il faut la combattre
- en tant que thésard, je sais qu'il est tentant de cumuler les heures, en se disant que c'est une compétition féroce et qu'il faut pondre absolument 50 Nature pour s'en sortir. C'est une grave erreur. Déjà le cerveau ne réfléchit plus correctement à cause de la fatigue ; tu t'affaiblis à cause du manque de sommeil ; tu es plus vulnérable à la dépression ; tu te coupes de la vraie vie, et tu te soumets plus à tes chefs ; et enfin tu n'arriveras pas à beaucoup plus.
Prends des vacances. Barre-toi ostensiblement à 18/19 heures, pars te ballader durant les week-end en oubliant ton téléphone portable. Les chefs qui mettent la pression ne se privent pas en général de flemmarder au boulot - s'ils te reprochent ton "manque de travail", tu leur balances à la figure que tu fais ton boulot.
- in fine, si tu ne veux plus continuer ta thèse, ne t'acharne pas. J'ai commis cette erreur. Dis-toi que, de toute manière, en France un docteur a moins de possibilités d'emploi qu'un diplômé de master. Si tu es aventureux/se, essaie de décrocher un PhD à l'étranger et de faire ta carrière ailleurs. "les répercussions dans le réseau professionnel si je laisse tomber", ça n'est valable que dans le cercle universitaire français - au contraire, il est même possible que les chercheurs sous les ordres desquels tu travailles sont bien connus pour leur comportement minable, et tu pourras avoir un capital sympathie supplémentaire en claquant la porte (vrai dans mon cas), et au pire si tu vas voir ailleurs les gens seront sans à-priori et plutôt compréhensifs ...
Le pire est de s'acharner à continuer quand même, jusqu'au dégoût. On obtient ainsi un doctorat, mais à quel prix ? Intellect brisé, plusieurs années de sa vie perdue, et un écoeurement tel de son sujet qu'on finit par changer de thématique de toute manière.
- un autre point qui me vient à l'esprit, mais il ne faut pas que tu oublies que c'est TA thèse et que c'est TOI qui mène le projet. Si tu estimes que leurs suggestions sont moisies, tu les jettes à la poubelle ; si tu estimes avoir une bonne idée, tu l'exploites, et tu publies - seul s'il le faut. Passer une thèse, c'est "tuer le père" : il arrive nécessairement un moment où tu deviens plus compétent que ton directeur de thèse dans le domaine que tu explores (sinon ton directeur aurait déjà publié). Les directeurs de thèse en général ne sont pas conscients de cette réalité, et s'accrochent à leur autorité dépassée ; il ne faut pas hésiter à faire exploser cette autorité.


... bon, c'est un pavé, moi aussi j'en ai gros sur la patate. Dis-toi que tu n'es pas seul, va sur les forums phdcomics.com, discute avec les thésards des autres labos. Sors-toi de ce carcan de pensée délétère, d'une manière ou d'une autre - oui, tu es très compétent et très doué, tu n'as pas à user ta vie dans le laboratoire sur simple ordre, et tes idées sont bonnes et méritent d'être exploitées. Et s'il faut que tu plaques tout pour arrêter les dégâts, n'aie pas peur de l'inconnu !
Hugs !

[invite12179f36]

Bonsoir,
merci beaucoup pour cette réponse. Tu as posé les mots plus précisément que je ne l'ai fait, mais je vis exactement tout ce que tu décris. J'en suis au stade dégout complet, le burn out total est passé, et en partie grace à mon compagnon, en thèse lui aussi, mais il existe des doctorants heureux, il a le bonheur d'en faire partie.
En ce qui concerne MA thèse, et MES idées, j'ai tenté à plusieurs reprises de les mettre en avant, je me suis battue lors de nombreuses réunions pour faire évoluer mon sujet dans l'une des seules optiques qui pourraient me permettre d'avancer de la bonne façon et soutenir honorablement. Mais celà va à l'encontre des projets du laboratoire et semble s'opposer à une certaine politique d'occupation du laboratoire de recherche. Par conséquent, je suis clairement le petit soldat qui doit défendre la position de l'équipe dans la bataille. Point. Je pense que c'est la place qui m'est allouée. Chaque fois que j'ai fait le forcing avec plus ou moins de diplomatie pour faire passer mes projets je me suis heurtée à des murs. Et si par malheur je faisais cavalier seule, je suis certaine que celà se retournerait contre moi. Je n'ai aucune possibilité de manoeuvre sur mon lieu de recherche, tout devant passer par e multiples conventions, et donc par l'aval de ma direction.
Bref, j'ai beau tourner le problème dans tous les sens, je n'y vois aucune issue. Et oui, je sais que mes idées sont bonnes, vu qu'elles sont utilisées pour d'autres. Du coup je les tais, je sais ne pas pouvoir tout faire, mais de là cautionner le vampirisme intellectuel....
Je vais aller voir sur phcomics, merci pour ce lien, je ne connaissais pas.
On reçoit tellement peu de témoignages en france de ceux qui sont dans cette situation, à croire que c'est une maladie honteuse un doctorat qui se solde par une queue de poisson....
Merci encore pour ce témoignage, il m'est précieux.
Bonne soirée.