Dans le débat « Ptite question d’intrication », à la page 9, B Chaverondier écrivit ceci :
« Le point fondamental que vous évoquez, c'est le passage d'un état intriqué système observé+appareil de mesure+environnement (1) à un état produit (2). Ce changement d'état physique porte un nom : il s'appelle la réduction du paquet d'onde.
A ce jour, personne ne prétend honnêtement avoir compris (ni savoir modéliser) ce phénomène sans conflit avec les principes de la mécanique quantique. Ca fait pourtant 70 ans qu'on s'y efforce. Ce phénomène viole en effet, l'unitarité, la réversibilité et le déterminisme de la dynamique quantique. »
J’ai noté dans ce texte, en particulier, la notion de « réversibilité » de la dynamique quantique.
J’aurais pu répondre à B. Chaverondier, dans ce débat sur l’intrication, mais je préfère le faire dans un nouveau fil, dont le sujet est la question de la réversibilité du temps, et plus généralement, de ce que l’on peut ou non déduire des propriétés de symétrie d’une équation.
Je pense résumer correctement le débat sur l’intrication et les idées de B. Chaverondier dans les propositions suivantes :
- La MQ est fondée sur deux familles de principes :
o La première famille concerne la description d’un système quantique par un vecteur appartenant à un espace de Hilbert, et son évolution temporelle (équation de Schrödinger au autre).
o La seconde famille de principes concerne la question de la mesure
- La question fondamentale est de savoir si la seconde famille ne pourrait être déduite de la première, ce qui la ferait passer du rang de principes au rang de théorèmes.
- Il se pose alors plusieurs problèmes fondamentaux, en particulier celui de la réversibilité du temps :
o Selon la première famille de principes, l’évolution temporelle du vecteur état est décrite par l’équation de Schrödinger :
§ dX/dt = i H X
Où H, l’Hamiltonien, est un opérateur hermitien, et par conséquent l’opérateur d’évolution temporelle U = exp(iH) est unitaire.
Autrement dit, étant unitaire, U représente une rotation dans l’espace d’état, qui conserve la norme de X.
o Selon la seconde famille de principes, la mesure correspond essentiellement à un opérateur de projection sur le sous-espace décrit par le vecteur propre de l’observable correspondant à la quantité mesurée, et à la valeur propre résultant de la mesure. C’est ce que B. Chaverondier évoque sous le nom de « réduction du paquet d’onde ».
- Question de la réversibilité :
o Fondamentalement, l’opération de projection n’est pas inversible, tandis que la rotation l’est. Il semble donc difficile de ramener la projection (mesure) à une suite de rotations (évolution temporelle gouvernée par un Hamiltonien H)
o Une autre façon de voir les choses est que l’opération de mesure correspond à une évolution temporelle irréversible du système quantique, tandis que l’évolution temporelle suivant l’équation de Schrödinger est à priori temporellement réversible.
Qu’en est-il de la réalité de la « réversibilité de la dynamique quantique » ? On peut lire dans certains ouvrages de Physique, qu’effectivement, le temps pour un système quantique est réversible, la preuve donnée étant que dans une transformation :
- t -> -t
- X -> X* (complexe conjugué)
L’équation de Schrödinger est invariante.
Il semble donc que l’on puisse déduire de cette propriété de l’équation de Schrödinger, l’équivalence des deux sens du temps au niveau quantique.
Considérons maintenant un système quantique extrêmement simple, constitué d’une seule particule évoluant selon un axe X.
A l’instant initial, on amène le système dans un état tel qu’il soit le plus proche possible de la limite d’incertitude d’Heisenberg, c’est à dire que les dispersions en X comme en k (quantité de mouvement) soient simultanément aussi faibles que possibles. Appelons cet état initial E1.
Quelle est alors l’évolution temporelle d’un tel vecteur d’état ?
C’est un résultat très classique, et facile à démontrer : au cours du temps, il y a « dispersion » du paquet d’onde, sous l’effet de la disparité des vitesses des composantes sinusoïdales.
Autrement dit, selon son évolution « naturelle », la fonction d’onde a tendance à voir sa variance augmenter au cours du temps, et non l’inverse. Il semble donc à ce niveau que les deux sens du temps ne soient pas équivalents.
Je me suis alors demandé comment ce résultat pouvait se concilier avec la propriété d’invariance de l’équation de Schrödinger.
La réponse que je propose est celle-ci : à n’importe quel instant t, il est tout à fait possible d’inverser toutes les valeurs de k des composantes de la fonction d’onde. On construit ainsi un « état initial » (que l’on appellera E2), qui va évoluer dans le sens inverse du système précédent, c’est-à-dire que la fonction d’onde va avoir tendance à se regrouper sur elle-même, et à voir sa variance diminuer jusqu’à se retrouver dans l’état initial du système précédent, dans lequel elle est aussi regroupée que possible, en X comme en k.
Le seul problème dans tout cela, provient des états initiaux : autant il semble possible physiquement de construire l’état E1, autant il semble douteux de pouvoir construire l’état E2.
Autrement dit, bien que le temps semble réversible au vu des seules propriétés de symétrie de l’équation (de Schrödinger), dans la réalité physique, il ne l’est pas nécessairement.
Il me semble que la question qui se pose alors est : « ne déduit-on pas souvent à tort des propriétés physiques, à partir des propriétés mathématiques des équations, sans avoir la prudence d’aller plus loin, et de vérifier qu’il n’ y ait pas d’autres conditions, comme des conditions aux limites, qui devraient elles aussi vérifier les mêmes propriétés de symétrie, pour que le système physique réel vérifie ces propriétés de symétrie ? ».
Si l’on doit ainsi admettre que la réversibilité selon le temps de l’équation de Schrödinger, ou encore de l’opérateur d’évolution temporelle U (opérateur de rotation) n’entraîne pas systématiquement la réversibilité temporelle de l’évolution du système physique, parce qu’il faut aussi prendre en compte les « conditions aux limites », ne lève-t-on du même coup l’objection citée par B. Chaverondier concernant la « réversibilité de la dynamique quantique » d’une part, et l’irréversibilité du processus de mesure (opérateur de projection) d’autre part ?
Attila
-----