C'est une question intéressante (et difficile) sur laquelle j'aimerais bien avoir des avis et références. Ce qui me manque, pour l'instant, c'est une discussion (étayée par de bonnes références accessibles par le net) confrontant les travaux et affirmations de Prigogine, à savoir l'interprétation de l'écoulement irréversible du temps comme présentant un caractère objectif, dynamique et valide à toutes les échelles d'observation, avec les points de vue bien plus répandus sur la question du temps considérant, au contraire, l'écoulement irréversible du temps comme ayant une origine thermodynamique statistique.
A ce sujet, les travaux de Balian, notamment, lient indissociablement, écoulement irréversible du temps, évolution irréversible et croissance de l'entropie dite pertinente (cf. Incomplete descriptions and relevant entropies). Cela découle du fait que, dans le formalisme de la physique quantique statistique (ça marche aussi en physique statistique classique), l'entropie S = Tr(Rho ln(Rho)) est invariante sous l'évolution unitaire de l'opérateur densité Rho(t) = U_(t) Rho(0) U_(-t). Du coup, pour briser l'unitarité des évolutions, la fuite d'information hors de portée de l'observateur macroscopique (myopie modélisée par projection orthogonale de l'état Rho(t) sur l'espace des états macroscopiques, états statistiquement caractérisés par la seule donnée des grandeurs pertinentes à l'échelle d'observation macroscopique) s'avère indispensable à la croissance de l'entropie des systèmes isolés.
De leur côté, avec l'hypothèse dite du temps thermique (cf. Diamonds's Temperature: Unruh effect for bounded trajectories and thermal time hypothesis), Connes, Martinetti et Rovelli font émerger un écoulement privilégié du temps (réversible par contre) dans une théorie quantique des champs, pourtant généralement covariante, grâce au manque d'information d'un observateur. Cette description incomplète (Hé, hé ! finalement Einstein avait donc raison sur ce point quoi qu'il puisse en avoir été dit) est modélisée via l'état d'un vide quantique sur l'espace-temps de Minkowski (dans le cadre d'une théorie quantique des champs conformément invariante) lorsque ce vide quantique est observé, par exemple :Envoyé par balian
- par un observateur inertiel de durée de vie finie, donc causalement enfermé dans son diamant de Lorentz (l'intersection entre le cône de futur de sa naissance et le cône de passé de sa mort, diamant de Lorentz à la base de l'algèbre des observables locales propre à cet observateur) ou encore
- par un observateur immortel mais uniformément accéléré (donc causalement enfermé dans son Rindler wedge, un diamant de Lorentz de taille infinie, dont découle la température de Unruh).
En ce qui concerne les travaux de Petrosky et Prigogine, ils font émerger l'écoulement irréversible du temps via une violation d'unitarité se passant totalement de l'observateur macroscopique et de l'entropie dite pertinente découlant de la description incomplète des systèmes physiques pertinente à l'échelle d'observation macrocopique.
Cf. The extension of classical dynamics for unstable Hamiltonian systems
Ce que je ne comprends pas, c'est que l'on voit fleurir presque partout l'affirmation, en phase avec le point de vue développé par les Balian, Gell-Mann, Bibtoll, Villani, Price... (point de vue rejoignant, à certains égards, les travaux de Connes, Rovelli et Martinetti même si leur approche vise seulement à faire émerger un écoulement privilégié du temps dans un formalisme généralement covariant et non à conférer un caractère irréversible à ces évolutions), selon laquelle l'information :The basic step is the extension of the Liouville operator LH outside the Hilbert space to functions singular in their Fourier transformation...The eigenvalue problem for the Liouville operator LH is solved in this generalized function space for LPS. We obtain a complex, irreducible spectral representation. Complex means that the eigenvalues are complex numbers, whose imaginary parts refer to the various irreversible processes such as relaxation times, diffusion.… Irreducible means that these representations cannot be implemented by trajectory theory. As the result, the dynamical group of evolution splits into two semigroups. Moreover, the laws of classical dynamics take a new form as they have to be formulated on the statistical level. They express “possibilities” and no more “certitudes”.Ce serait sur cette base seulement intersubjective, est-il défendu, que reposerait l'origine de l'écoulement irréversible du temps.
- ne se crée pas objectivement,
- ne se perd pas objectivement,
- mais se transforme pour devenir peu à peu inaccessible mais, en fait, seulement inter-subjectivement en raison de la myopie de l'observateur macroscopique.
Voilà, par exemple, ce que nous dit Villani sur ce thème :
Bref, on retrouve l'affirmation (affirmation que j'ai d'ailleurs moi-même défendue sur le fil "conservation de l'information" ouvert par Ansset) selon laquelle, d'un point de vue objectif, l'information se conserverait. On pourrait, est-il défendu, la récupérer si on était capable d'aller la chercher là ou elle se trouve. Simplement, elle se situe à un niveau microscopique où elle est, en pratique, seulement très très incomplètement accessible à l'observateur macroscopique.Envoyé par villani
Dans la même veine, (cf. Les idées d’Ilya Prigogine) Murray Gell-Mann s’exprime ainsi dans The Quark and the Jaguar (M. Gell-Mann, The Quark and the Jaguar, Londres. Little Brown and Co, 1994, p. 218-220)
Voilà ce qu'en pense Prigogine commentant cette longue citation de Gell-Mann.Envoyé par Gell-Mann
Les travaux de Petrosky et Prigogine semblent en effet établir l'existence d'évolutions objectivement irréversibles, indépendamment de la finesse de description de l'état des systèmes considérés, dans le cas des systèmes modélisables comme de grands systèmes non intégrables de Poincaré (modélisation pertinente dans la plupart des situations selon Prigogine).Envoyé par Prigogine
Prigogine ne semble pourtant pas avoir largement convaincu la communauté scientifique. Pour ma part, je ne vois pas bien ce que l'on peut contester dans ses travaux ni dans les conclusions qu'il en tire concernant la possibilité de définir la notion d'évolution irréversible sans recours au manque intersubjectif d'information de l'observateur macroscopique.
Ma question est donc la suivante : Selon le point de vue majoritaire à ce jour, les considérations de symétrie CPT (ainsi que l'unitarité des évolutions et la réversibilité qui en découlent) sont jugées valides à un niveau fondamental. Le paradoxe de la violation de symétrie CPT par l'écoulement irréversible du temps est censé être levé en interprétant l'écoulement irréversible du temps comme une émergence d'origine thermodynamique statistique, autrement dit, un manque d'information seulement inter-subjectif de l'observateur macroscopique. Y aurait-il des arguments scientifiquement étayés permettant donc de s'inscrire en faux par rapport aux conclusions de Prigogine (comme, par exemple, un éventuel passage à la limite implicite ou explicite dans ses modèles, qui pourrait être jugé physiquement non légitime), conclusions de Prigogine attribuant, au contraire, un caractère dynamique et objectif à l'écoulement irréversible du temps ?
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