Evaluation chiffrée dans l'enseignement

[doryphore]

Bonjour à tous, je suis enseignant en mathématiques au collège. Il m'arrive de remettre régulièrement en question ma façon de travailler afin que mes méthodes de travail permettent au plus grand nombre de progresser et chaque fois la première chose que je souhaite modifier est l'utilisation de la note chiffrée pour évaluer les production d'élèves.

Les textes réglementaires nous obligent à faire figurer sur le bulletin une note sur 20 et c'est pourquoi les enseignants notent systématiquement toute production écrite pensant à tort qu'en multipliant les notes participant à la moyenne trimestriel il parviendront à donner le moindre sens à celle-ci.

Toute personne ayant assisté à un conseil de classe sait que ces moyennes trimestrielles peuvent avoir un impact décisif sur l'orientation d'un élève or, tout enseignant sait aussi que la seule chose qu'il ne peut pas contrôler (en maths), s'il est un tant soit peu honnête, c'est le classement des élèves sur un devoir.
Le seul intérêt d'une note chiffrée, c'est de pouvoir classer les élèves les uns par rapport aux autres.

Or, ce classement n'a selon moi aucun intérêt pédagogique et ne devrait avoir aucun rôle à jouer dans les décisions d'orientation.

Je souhaiterais ici obtenir le témoignage de certaines personnes élèves et enseignants sur leur vécu face aux notes et l'avis des spécialistes en psychologie (étudiants en psycho ou sciences de l'éduc. ou plus...) sur les impacts probables de la note chiffrée compte tenu du fait que les élèves ressentent probablement l'injustice qui y est associée.
-----

[[PSO]Fabrice.g]

La question que tu soulèves est intéressante, et met en avant un point très important des études en sciences de l'éducation.

Avant de vouloir mesurer quelque chose (à l'aide d'une note), je pense qu'il convient d'opérationnaliser cette chose, c'est-à-dire d'en trouver une définition opérationnelle, qui soit mesurable. Qu'est-ce que, en tant qu'enseignant, tu attends de tes élèves ?

Les textes réglementaires nous obligent à faire figurer sur le bulletin une note sur 20 et c'est pourquoi les enseignants notent systématiquement toute production écrite pensant à tort qu'en multipliant les notes participant à la moyenne trimestriel il parviendront à donner le moindre sens à celle-ci.

Avant même de se poser la question "qu'est ce que je mesure ?", il est également crucial de se poser la question de "comment je le mesure ?". Chaque méthode d'évaluation, chaque outil de mesure, a une part d'erreur qui lui est propre. En utilisant de manière systématique la même méthode de mesure, on n'évalue pas uniquement l'élève, mais également la part d'erreur propre à cet instrument de mesure, si bien que multiplier les examens, ou devoirs, de même nature (uniquement des QCM, uniquement des dissertations, uniquement des questions ouvertes, etc.) ne sert pas correctement le but d'évaluation de l'élève. Le seul but que pourrait servir une telle pratique, serait d'évaluer la progression de l'élève sur la matière, avec tel outil⁽¹⁾. Progression qui n'est pas réellement renseignée par la moyenne.
Il ne faut pas non plus oublier que, dans la note attribuée à un élève, il y a, non seulement une évaluation des compétences de l'élève dans la matière et une certaine quantité d'erreur, mais également une évaluation indirecte de la méthode employée par l'enseignant, et également de l'interaction entre cette méthode et l'élève.

Je souhaiterais ici obtenir le témoignage de certaines personnes élèves et enseignants sur leur vécu face aux notes et l'avis des spécialistes en psychologie (étudiants en psycho ou sciences de l'éduc. ou plus...) sur les impacts probables de la note chiffrée compte tenu du fait que les élèves ressentent probablement l'injustice qui y est associée.

Pour ce qui est des impacts d'une certaine forme de stigmatisation par la note, et de nombreuses autres formes de stigmatisation, je t'invite à lire ces 2 livres :
- Croizet, J.-C. & Leyens, J.-P. (Eds). (2003). Mauvaises réputations. Les réalités et les enjeux de la stigmatisation sociale. Paris : Colin.
- Toczek, M.C. & Martinot, D. (2004). Le défi éducatif: Des situations pour réussir. Paris : Armand Colin.

(1) Pour utiliser une métaphore, je prendrais l'exemple du pèse-personne. Si je me pèse sur une balance A (la mienne), celle-ci va afficher un poids de 78kg. Si je me pèse sur une balance B, celle-ci va me donner un poids de 80kg. Je ne peux pas savoir, sur la base de ces informations, combien je pèse, mais si je me repèse le lendemain sur ces mêmes 2 balances, et que la balance A affiche 80kg, alors, je sais de manière sûre que j'ai pris du poids. Si bien qu'un outil donné (la balance A ou B) ne peut pas me donner une évaluation exacte de mon poids (elle me donne une évaluation de mon poids + une certaine quantité d'erreur, propre à chaque balance), mais que l'utilisation systématique de cette outil peut me donner une indication sur ma progression.

[shokin]

Le seul intérêt d'une note chiffrée, c'est de pouvoir classer les élèves les uns par rapport aux autres.

Je n'ai jamais vu les choses ainsi. Je voyais plutôt au plus un suivi de l'évolution. Chaque chapitre est différent.

http://www.letemps.ch/dossiers/2006ecolegenevoise/

C'est un instrument de mesure quantifié (quantitatif), ce qui est, il me semble, plus pratique qu'un instrument de mesure qualitatif (et fort soumis à la subjectivité des interprêtations).

Shokin

[doryphore]

Je tenais tout d'abord à vous remercier pour les interventions et les références bibliographiques ou journalistiques que vous m'avez communiquez.

Je rejoins Fabrice pour son analyse de la situation. Malheureusement, quand bien même les choses à évaluer seraient parfaitement rendues évaluables (ce qui extrêmement difficile dans la majorité des cas), la communication d'une note englobant plusieurs "compétences" évaluées perd déjà tout sens autre que statistique.
Quand à l'évolution dans le temps des compétences, elles ne peuvent rarement se faire sur une durée supérieure à un mois, ce qui est nettement insuffisant et quand bien même un humain armé d'outils pédagogiques aussi fiables soient-ils n'aura jamais la même régularité qu'un pèse-personne déréglé...

Ainsi, j'estime que l'impact psychologique de l'utilisation des chiffres dans l'évaluation des élèves est bien trop grave pour pouvoir être justifié par l'illusion d'une précision scientifique de l'évaluation des compétences d'un élève ou de son évolution.

Mais avant d'en faire une conviction, je pense que je vais d'abord lire les auteurs suggérés.

Quand à l'exemple suisse, il montre selon moi les limites de l'adaptation du corps enseignant et de l'opinion publique à un changement global de méthode et rien d'autre.

Encore merci à vous deux

[A voir en vidéo sur Futura]

[invite73192618]

Un petit mot pour dire qu'on a eu récement au Québec un changement sur la notation, avec supression des notes chiffrées et focus sur les "compétences transversales". J'ai l'impression que c'est à ça que tu penses.

Hé bien l'idée est probablement très intéressante, mais visiblement les limites de l'adaptation des parents, ainsi que du corps enseignant, ont été largement fracassées. Il me semble qu'une transition plus douce, avec des écoles pilotes dans un premier temps, n'est pas du luxe pour ce genre de réforme. Ca permet au moins de s'assurer que la nouvelle méthode vaut réellement plus que l'ancienne, toute criticable que l'ancienne puisse être en théorie.

[doryphore]

Un petit mot pour dire qu'on a eu récement au Québec un changement sur la notation, avec supression des notes chiffrées et focus sur les "compétences transversales". J'ai l'impression que c'est à ça que tu penses.

Hé bien l'idée est probablement très intéressante, mais visiblement les limites de l'adaptation des parents, ainsi que du corps enseignant, ont été largement fracassées. Il me semble qu'une transition plus douce, avec des écoles pilotes dans un premier temps, n'est pas du luxe pour ce genre de réforme. Ca permet au moins de s'assurer que la nouvelle méthode vaut réellement plus que l'ancienne, toute criticable que l'ancienne puisse être en théorie.

En fait, je crois que l'enquête PISA a fait pas mal de dégâts. En voulant à tout prix adapter les méthodes finlandaises à leur propres cursus, sans prendre en compte les facteurs humains et culturels de leurs pays pourtant bien côtés des gouvernements ont créés des sortes de mini-séismes.

[invite73192618]

En fait, je crois que l'enquête PISA a fait pas mal de dégâts.

Je ne connais pas. Pourrais-tu nous en dire plus sur PISA?

[shokin]

Pisa 2001

Pisa 2003

Pisa Canada 2006

Shokin

[doryphore]

Pisa 2001

Pisa 2003

Pisa Canada 2006

Shokin

Pour compléter les liens donnés par Shokin, j'indiquerai que l'enquête PISA est une enquête visant à évaluer les différentes stratégies d'apprentissage des états sur des aspects jugés importants par l'OCDE donc relativement pragmatiques.
En gros, les élèves sont-ils capables d'autre chose que d'appliquer de manière directe les méthodes acquises et ceci dans des contextes aussi proches que possibles de situations qu'ils risquent de rencontrer dans leur vie.

Au niveau des états la Finlande et Hong-Kong tirent généralement bien leur épingle du jeu et ceci de manière significative (statistiquement parlant) par rapport à la France.

Au niveau régional, les belges flamants ont d'excellents résultats, on pourrait aussi citer un ou deux cantons suisses et le Québec.

En dehors de ces évaluations, l'enquête PISA permet d'établir certaines corrélations entre différents facteurs socio-culturo-économiques et la réussite scolaire.
Elle établit aussi sans ambiguïté qu'un élève travaillant dans un contexte d'anxiété, même s'il vérifie un peu plus souvent ses résultats, échoue plus régulièrement qu'un élève non anxieux.

[invite73192618]

Merci, je vais aller faire les lectures.