Bonjour
je voudrais illustrer le dilemme qu'on sent actuellement entre les impératifs climatiques et les considérations économiques (assez perceptibles dans les résultats successifs des COP dont la plus récente) par une modélisation simple.
Admettons qu'on s'engage dans une décroissance de la production de CO2 à partir de maintenant. Il y a une infinité de courbes de décroissances possibles, mais pour le sujet on va considérer une famille de courbe particulièrement simple, la décroissance exponentielle , à un taux constant chaque année de - X % . La courbe suivie est alors en (1-X/100)^t = exp [ln(1-X/100)]t , proche de exp(-Xt/100) pour les valeurs de X assez petites, donc de la forme exp (-t/T) où T = 100/X est le temps caractéristique de l'exponentielle (t en années)
T représente le temps de division par e=2,718 ... un temps proche est le temps de division par deux de la production (demi-vie) de T1/2 = 100 ln2 /X = 70/X années. Ainsi diminuer de 2% par an divise la production par 2 en 35 ans, diminuer de 5 % par an divise par 2 en 14 ans etc ...
Il est donc assez simple de paramétrer la famille de courbes par la valeur de X ou de façon équivalente par T=100/X ou T1/2 = 70/X.
Il est aussi simple de calculer le total des fossiles qu'il reste à émettre pour ces courbes , c'est simplement la production actuelle multiplié par le temps caractéristique T donc Q = P * 100/X ( P = environ 35 Gt de CO2 par an si on ne compte que les fossiles)
Ca donne donc une famille de courbes avec des estimations très simples à faire, ne dépendant que d'un paramètre X (ou T, ou T1/2) . C'est un choix raisonnable car les résultats en terme de climat ou de conséquences économiques pour une courbe "quelconque" seront probablement très proches de ceux de l'exponentielle de même intégrale car le CO2 dépend peu de la forme exacte de la courbe, seule l'intégrale des émissions compte essentiellement
Du coup on a une famille d'essai à un paramètre sur lequel on peut essayer de chercher l'optimum.
Il est évident que des valeurs très petites de T (donc très grandes de X) genre diviser par 2 tous les ans, sont totalement inapplicables, la décroissance serait bien trop rapide et plongerait le monde dans un chaos total à coté duquel les évènements climatiques seraient l'équivalent d'une petite averse comparée à une pluie de bombes, si je puis me permettre la comparaison en ces temps troublés.
Des valeurs très grandes de T genre plusieurs siècles sont aussi exclues d'une part pour leurs conséquences climatiques, et de toutes façons on n'a surement pas assez de réserves pour ça.
On peut donc se dire qu'entre les deux, on a un optimum à la fois réaliste et souhaitable au milieu (optimum ne veut pas dire que tout va bien se passer, mais au moins que ça va se passer le moins mal possible ...). La question est de savoir comment on détermine cet optimum.
La réponse actuelle semble être : on se fixe à l'avance une valeur de la température à ne pas dépasser, on calcule l'intégrale des fossiles correspondante, on en déduit X.
Il y a quand même quelques problèmes dans cette démarche : ça suppose qu'on a intuité correctement la température optimale (comment ?) , et ensuite il y a des incertitudes assez grosses sur le lien entre T et CO2, les modèles climatiques étant en eux même incertains, ce qui fait qu'on est obligé d'adopter une démarche probabiliste : on ne garantit pas de rester en dessous de T, on donne juste une probabilité p (50 %, 90 %... de rester en dessous). Le calcul de p est lui même incertain et modèle-dépendant, et le choix de la valeur de p n'est pas anodin car il va changer assez considérablement l'estimation de Q donc de X (voir par exemple la dispersion assez grande dans les estimations du budget carbone : https://fr.wikipedia.org/wiki/Budget_carbone ). Se donner simplement un but en température ne se convertit donc pas simplement en valeur de X
Et surtout conceptuellement, le fait de se donner a priori une valeur de T revient à supposer que l'optimum est à cette valeur de T quelques soient les autres considérations (en particulier l'impact sur la société de la décroissance de production de fossiles). Cette supposition n'est justifiée que dans un cas, en théorie de l'optimisation : si les coûts des fossiles (climat, externalités), grimpent brutalement au dessus de T, qu'on a un genre de "mur" (ou de "falaise" suivant comment on représente les coûts ) à T qui fait que l'intersection des courbes coûts et bénéfices va toujours se retrouver à peu près à l'endroit de cette falaise. Si vous courez vers une falaise et que vous cherchez à courir le plus loin possible sans mourir , l'optimum est toujours au bord de la falaise quelle que soit votre vitesse....
C'est une supposition dont la validité est discutable : c'est en gros l'argument des "points de bascule" mais il est difficile de trouver des quantifications claires de l'impact de ces points de bascules et certains argumentent que les coûts sont incrémentaux et qu'il n'y a pas de falaise .
Le problème de l'argument de la falaise c'est que si les couts deviennent astronomiques au -dessus d'une certaine valeur (pouvant aller selon certains jusqu'à l'extinction de l'humanité ), alors une probabilité de 50 % est bien insuffisante pour de mettre en sécurité (vous n'allez pas courir les yeux fermés vers une falaise pendant un temps dont vous estimez qu'il vous donne 50 % de l'éviter n'est ce pas ?). Il faudrait des valeurs de p très supérieures, genre 99 ou 99,9% , mais ça demande des valeurs de X bien plus grandes (et on peut même trouver que ces points ont peut être été déjà dépassés et que ça ne vaut plus le coup de rien faire puisque c'est fichu de toutes façons- autant mener la belle vie comme quelqu'un qui sait qu'il a une maladie ne lui laissant que quelques mois à vivre !)
Et si il n'y a pas de falaise, se donner une valeur de T à l'avance n'est pas justifié, il faudrait rentrer dans une démarche bien plus fine d'analyse coût bénéfice pour trouver la valeur de X et donc de T (probabiliste)
On voit toute la difficulté du chiffrage de X et d'une démarche d'optimisation - mais est ce que ce n'est pas justement l'explication la plus simple que ça ne marche pas, simplement parce qu'on est incapable de poser le problème en terme d'optimisation de façon simple et convaincante ? (et tant que tout le monde ne sera pas convaincu de la nécessité de baisser les fossiles, évidemment ils ne baisseront pas, puisque ceux qui les économisent ne feront qu'en faire cadeau à ceux qui n'en voient pas la nécessité).
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