Nous ne sommes pas les marionnettes impuissantes d’un univers déterministe
Sommaire
Résumé
1. Si nous n’étions pas myopes, nous serions aveugles
1.1. Notre information et notre manque d’information sont intersubjectifs
1.2. Etats macroscopiques et reproductibilité des informations
2. Notre grille de lecture d’observacteur macroscopique engendre les asymétries T
3. Notre futur n’est pas gravé dans le marbre
4. Conclusion : nos choix déterminent notre futur
Bibliographie
Résumé
L’avenir est déterminé par le passé, à l’exception des sauts quantiques que personne ne peut contrôler. Les causes ont des causes, ont des causes et elles remontent jusqu’au big-bang. Cela veut-il dire que nous n’avons pas de libre arbitre ? Prenons-nous des décisions ? Bien sûr que nous n’avons pas de libre arbitre [1] Je ne crois pas au libre arbitre, S. Hossenfelder.
Nous serions donc les marionnettes privées de responsabilité d’un univers déterministe ? C’est un point de vue. On peut en avoir un autre. Sans notion d’état macroscopique, appartenant en propre à l’observateur macroscopique et non à une physique parfois perçue comme objective, aucune des informations intersubjectives dont sont tirées les propriétés et lois de la physique n’existe. De plus, les résultats d’observation d’un état quantique dépendent de ce que l’observacteur décide d’observer. La physique du 21ème siècle requière l’observacteur macroscopique, sa grille de lecture et ses choix.
1. Si nous n’étions pas myopes, nous serions aveugles
1.1. Notre information et notre manque d’information sont intersubjectifs
Les observacteurs macroscopiques, c’est-à-dire les êtres vivants, sont sensibles à la pression, à la chaleur, à la lumière, au caractère acide, basique, salé, sucré, chloré d’un milieu… bref, aux mêmes effets physiques. Les grandeurs physiques pertinentes pour nous, observacteurs macroscopiques, ce sont des grandeurs quantifiant ces effets à une échelle d’observation macroscopique. Ces grandeurs macroscopiques : température, pression, volume et masse de diverses substances chimiques… ne permettent qu’une caractérisation très incomplète de l’état exact, dit microphysique, d’un système.
Pour caractériser complètement l’état d’un gaz monoatomique par exemple, il faudrait connaître la position et la vitesse de zillions d’atomes. Le manque d’information de l’observacteur macroscopique connaissant, par exemple, seulement champs de pression, de densité et de température de ce gaz, Balian l’appelle entropie pertinente [2] Incomplete descriptions and relevant entropies. L’information et le manque d’information (l’entropie) que nous associons aux systèmes avec lesquels nous interagissons sont, en fait, très voisins (intersubjectifs) pour tous les observacteurs macroscopiques.
De la "grille de lecture" thermodynamique statistique commune aux observacteurs macroscopiques (les êtres vivants) émerge une information intersubjective sur les systèmes avec lesquels nous interagissons.
1.2. Etats macroscopiques et reproductibilité des informations
Les états microphysiques évoluent constamment et considérablement. Par exemple, quand nous écrivons un numéro de téléphone sur une feuille de papier, l’état microphysique de ce bout de papier et de l’encre qui y est déposée aura changé du tout au tout dès que nous l’aurons mis dans notre poche et même dès le moment où nous aurons fini de l’écrire (a fortiori le lendemain). Pourtant, ce n° de téléphone reste valide le lendemain. Tout le monde lira le même (s’il est écrit correctement). Comment cette reproductibilité est-elle possible ?
Les états microphysiques ont tendance à rester piégés dans des états macroscopiques d’équilibre. Il s’agit d’états où, à notre échelle d’observation, rien ne semble changer (comme une goutte d’encre une fois diffusée dans un verre d’eau). Ces états macroscopiques résistent donc à des agressions de l’environnement et à des lectures successives par des observacteurs différents. Ces états d’équilibre sont des informations irréversiblement enregistrées, accessibles, décodables et reproductiblement lisibles par des observacteurs macroscopiques distincts. Ce sont les traces du passé.
Par contre, les traces du futur (les atomes d’un futur animal par exemple) ne nous sont pas reproductiblement et intersubjectivement accessibles et décodables. Pour nous, observacteurs macroscopiques, les traces du futur n’existent donc pas.
L’information enregistrée dans des états macroscopiques d’équilibre, incomplète, intersubjective et reproductiblement lisible, caractérise notre "grille de lecture d’observacteur macroscopique". Elle détermine les lois et propriétés physiques que nous attribuons à (notre interaction avec) l’univers,
Si nous n’étions pas myopes, nous serions aveugles.
2. Notre grille de lecture d’observacteur macroscopique engendre les asymétries T
Les résultats d’observation sont des enregistrements d’information par nos sens et/ou nos appareils de mesure. Ils caractérisent des états macroscopiques et jamais (directement) des états microphysiques. Il y a donc perte d’informations, dites non pertinentes (création d’entropie pertinente), par enregistrement irréversible d’information, violant ainsi la réversibilité des lois de la physique. “The thermodynamic arrow isn’t just a T- asymmetry, it is a PCT-asymmetry as well” [3] Time’s Arrow & Eddigton Challenge, H. Price.
Notre grille de lecture thermodynamique statistique d’observacteur macroscopique :Les traces du passé ne sont pas enregistrées au fil du temps. Les traces du passé et l’absence de traces du futur déroulent le temps [4] Le temps macroscopique, R. Balian.
- Détermine le partitionnement des états microphysiques variables en états macroscopiques stables
- Engendre des traces accessibles, décodables et reproductiblement lisibles par les observacteurs macroscopiques, dites traces du passé, mais aucune trace du futur.
- Permet la classification des évènements en évènements passés et évènements futurs
- Permet d’enregistrer un écoulement irréversible du temps via les traces du passé
- Engendre le principe de causalité, c’est à dire :
- La possibilité de nous servir de corrélations entre évènements passés et évènements présents grâce à notre accès à des traces du passé et à des choix appropriés
- L’impossibilité de nous servir de corrélations entre évènements futurs et évènements présents en raison de notre absence d’accès à des traces du futur.
C’est notre grille de lecture qui engendre les asymétries temporelles violant déterminisme et réversibilité.
3. Notre futur n’est pas gravé dans le marbre
Les lois d’évolution des systèmes isolés conservent l’entropie. Elles sont dites unitaires. Même dans le cas de l’évaporation des trous noirs il n’y a pas de perte objective d’information [5] The most famous paradox in physics nears its end. Les lois d’évolution sont déterministes et réversibles.
Sans l’observacteur macroscopique et sa grille de lecture thermodynamique statistique, il n’y a donc :…et donc pas de lois et propriétés physiques de l’univers tirées de ces informations. On ne peut donc pas éliminer l’observacteur, ses actions et l’acte d’observaction de la physique.
- Pas d’indéterminisme
- Pas d’irréversibilité
- Pas de traces du passé, donc pas d’information extraite de ces traces…
Hormis son existence, l’univers n’a donc pas de propriété physique objective. On ne peut pas éliminer l’indéterminisme au prétexte de son caractère seulement intersubjectif. Le déterminisme est une propriété de lois d’évolution, utiles par leur capacité prédictive, et non une propriété objective de l’univers lui-même.
L’hypothèse d’un futur prédéterminé, gravé dans le marbre, par des lois déterministes et réversibles, interprétées comme objectives, est une interprétation réaliste dépassée de la fin du 19ème siècle.
4. Conclusion : nos choix déterminent notre futur
Nous sommes, définitivement, des observacteurs de l’univers. Via l’anthropocène [6], nous sommes responsables de la 6ème extinction de masse [7][8], une extinction de masse dont, selon nos choix, l’espèce humaine n’est pas nécessairement exclue. Nous devons impérativement relever les défis géopolitiques, écologiques [9] et climatiques [10] à ce jour sous-estimés et incorrectement pris en compte.
La responsabilité individuelle et collective de construire notre avenir ne doit rien à l’indéterminisme et encore moins à un déterminisme sociobiologique objectif illusoire. Le mécanisme de la récompense [11] est certes très stable. Toutefois, notre culture mondiale du 21ème siècle, bien plus commune que nous n’en avons conscience, est une donnée d’entrée déterminante pour la réponse de ce mécanisme. Cette culture, c’est-à-dire notre hiérarchisation de ce que nous estimons avoir de la valeur, devrait pouvoir être modifiée de façon appropriée dans un délai de l’ordre d’une trentaine d’années. Ce délai est compatible avec une limitation des dommages dus aux interactions commerciales et militaires entre nations et aux modes de production et de consommation de 8 Mds d’êtres humains à ce jour inappropriés à un monde fini.
Notre responsabilité, tant individuelle que collective, consiste à :
- Identifier et réfléchir aux enjeux critiques à partir des informations dont nous disposons
- Nous informer et acquérir des compétences additionnelles si nécessaire, puis faire des choix appropriés
- Être conscients de ces décisions et de leurs conséquences
- Vérifier la pertinence de nos décisions au regard de leurs conséquences observées
- Apprendre de ces retours d’expérience et faire de nouveaux choix si nécessaire.
Nous ne sommes pas les marionnettes impuissantes d’un univers déterministe. Nous sommes individuellement responsables et collectivement capables de façonner l’avenir de notre monde.
Nos attentes, nos objectifs, nos choix de priorité et nos actions déterminent notre avenir.
Bibliographie
[1] S. Hossenfelder, I don't believe in free will, juin 2023, vidéo (20 minutes)
[2] R. Balian, Incomplete descriptions and relevant entropies, Am. J. Phys. 67, 1078, 1999
[3] H. Price, Time’s Arrow and Eddington’s Challenge, Séminaire Poincaré XV Le Temps (2010) 115 – 140
[4] R. Balian, Le temps macroscopique, Colloques de la Société Française de Physique :
le Temps et sa Flèche ; Paris, France ; 1993-12-08
[5] G. Musser, The most famous paradox in physics nears its end, Quanta magazine, Oct. 2020
[6] Muséum National d’Histoire Naturelle, Anthropocène : l’Homme acteur des changements environnementaux, mai 2022
[7] Muséum National d’Histoire Naturelle, Sixième extinction de masse : la disparition des espèces a été largement sous-estimée, janvier 2022
[8] R.H. Cowie, P. Bouchet, B. Fontaine, In press. The Sixth Mass Extinction: fact, fiction or speculation? Biological Reviews, DOI : http://doi.org/10.1111/brv.128
[9] Earth beyond six of nine planetary boundaries, Sci Adv. 2023 Sep; 9(37): eadh2458. Published online 2023 Sep 13.
[10] J.M. Jancovici, L’humanité fonce dans le mur, Entretien avec Jean-Marc Jancovici, HugoDécrypte
[11] L.A. O’Connell, H.A. Hofmann, Evolution of social behavior, Genes, hormones, and circuits: An integrative approach to study the evolution of social behavior, Frontiers in Neuroendocrinology, Volume 32, Issue 3, August 2011, Pages 320-335
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