Hello
Le ministre de l'Education Nationale Luc Chatel a récemment annoncé la mise en place de l'enseignement de la philosophie dès la rentrée 2011, à titre expérimental. Apparemment cette décision a surpris tout le monde, ne répondant pas à une demande préalable du corps enseignant, et les réactions sont mitigées. Parmi les sceptiques, une réaction qui a marqué les esprits, celle de Fabrice Guillaumie, professeur de philosophie qui déclare dans un interview :
"Il faut d'abord définir ce qu'on entend par "philosophie". S'agit-il d'un idéal universitaire ou d'une conversation sur les valeurs de la vie ? Si c'est au sens de l'idéal universitaire, c'est impossible. Les élèves de terminale ont déjà beaucoup de problèmes avec l'abstraction. La philosophie est fondée sur des concepts, il est donc prématuré de l'enseigner dès la seconde. En revanche, tout le monde peut se poser des questions sur le sens de la vie dès la maternelle. Et cela peut amener les lycéens à découvrir des domaines intellectuels qu'ils ne peuvent pas découvrir par eux-mêmes. Il s'agit d'un éveil existentiel."
En plus du manque d'abstraction dont feraient preuve les élèves de Seconde, l'absence de maîtrise de la langue constitue, selon Fabrice Guillaumie, un obstacle rédhibitoire à la réflexion et donc à la pratique de la philosophie. Soit. Cette réaction, qui plus est venant d'un professeur de philosophie, m'interpelle : elle introduit un jugement de valeur (il y est question de philosophie "au sens de l'idéal universitaire") et l'on présente les lycéens comme des incapables.
La philosophie, si j'en crois ce qu'en disent les philosophes eux-mêmes, permet d'apprendre à penser par soi-même, la création et l'utilisation de concepts, invite à s'interroger sur sa propre pensée, sur la pensée des autres, sur le monde, la société, sur ce que l'expérience nous apprend…vous pouvez compléter cette liste, mais je crois qu'elle retrace bien l'essentiel (à mon humble avis). Cette liste s'inspirant directement du texte "présentations de la philosophie" d'André Comte-Sponville.
Dès lors, à la lumière de cette définition, en quoi l'enseignement de la philosophie serait-il prématuré en Seconde ? Pourquoi parler "d'éveil existentiel" en classe de maternelle ? La philosophie en tant que discipline n'est pas un corps monolithique qu'il faudrait être capable d'ingérer lors d'un cursus universitaire. Comme le disait Kant : on ne peut apprendre la philosophie, on ne peut qu'apprendre à philosopher. A n'importe quel âge. Les premiers pas sont certes difficiles, rébarbatifs, mais n'est-ce point le devoir et le travail des enseignants de se mettre à la portée des élèves ? de les initier ?
En quoi la philosophie se démarquerait-elle des autres disciplines ? Prenons le cas des sciences physiques ou des mathématiques : à ce que je sache, l'on ne demande pas encore aux élèves de Seconde de manipuler des espaces vectoriels, de résoudre des intégrales triples, ni de re-démontrer l'équation de Schrödinger. Enseignements qui, si j'en crois Fabrice Guillaumie, feraient partie de cet "idéal universitaire" de part leur niveau élevé de sophistication et d'abstraction. Étrangement, à en croire les programmes officiels, les élèves de Seconde suivent bel et bien des enseignements de sciences physiques et de mathématiques (en abordant par exemple le principe d'inertie Newtonien ou la trigonométrie). Peut-être suis-je un gros naïf, mais ma question est toute bête : pourquoi en serait-il autrement pour la philosophie ?
A mon sens, il n'y pas d'un côté la philosophie universitaire (la vraie de vraie, officielle) et d'un autre la philosophie frelatée pour maternelle qui mériterait uniquement le nom "d'éveil existentiel". Vérité d'évidence : on philosophe ou on ne philosophe pas, et l'âge n'a pas sa place pour pouvoir juger. "2+2 = 4" : il s'agit d'une vérité mathématique qu'un enfant de maternelle maîtrise, personne ne viendrait lui ôter cette compétence élémentaire, personne ne viendrait lui parler de mathématiques de "comptoir" ou "au rabais". Idem pour la philosophie.
Bref, mauvaise orthographe ou pas, les lycéens ne sont pas des idiots, et l'on pourrait tout à fait aménager l'enseignement de la philo en cours de Français, en orientant des études de textes philosophiques abordables, à partir d'auteurs comme Sénèque ou Alain (par exemple). Partir du réel, du quotidien, de l'actualité (les sujets sont infinis) et remonter à des concepts (tels que la mort, la responsabilité, etc.), tout ça c'est possible.
Qu'en pensez-vous ?
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