Bon, un document qui a le mérite d'être annoncé longtemps à l'avance, et, semble-t-il, de reposer sur des bases sérieuses et étayées (sur le plan statistique c'est évident).
Il laisse cependant un sentiment de légèreté dans l'argumentation, notamment sur les plans physique et économique, d'optimisme un peu déraisonnable dans certaines projections, et surtout d'erreurs de positionnement stratégique dans le contexte prévisible des 30 ou 40 années à venir... Certains raisonnements paraissent même à la limite du rationnel, reposant sur des paris un peu osés, pour ne pas dire très risqués... Et certaines argumentations sont singulièrement optimistes pour les solutions proposées et tout aussi singulièrement pessimistes pour les solutions rejetées; on s'abstient de confronter les affirmations avec l'expérience acquise, ni même avec les évaluations des experts
( c'est systématique pour ce qui concerne l'énergie marine), on confond "gisement" et production, on confond aussi possibilité scientifique et réalité industrielle; plus grave, on élimine d'un revers de manche les difficultés voire les impossibilités... Tout cela n'est pas critiques de détails ou rectification d'erreurs secondaires, mais bien d'éléments faisant varier les situations d'un facteur deux ou trois...
Tentons un première approche (qui risque d'être longue, bien que partielle).
Le positionnement stratégique est erroné
Ce rapport se consacre exclusivement à la gestion de l'électricité. Certes, c'est important (l'électricité constitue environ 1/3 de l'énergie consommée en France), mais oublier que la période qui nous sépare de 2050 sera aussi celle où nous entrerons dans la pénurie d'énergies fossiles, nous obligeant à des reconversions, des transitions énergétiques importantes, est une erreur grave. Car le scenario le plus probable sera qu'une partie au moins de ce qui est consommé sous forme d'énergie fossile se tournera vers les deux seules alternatives dont nous disposons actuellement, les ENR et le nucléaire, toutes deux disponibles essentiellement sous forme d'électricité... Et ce ne sera pas marginalement, mais d'un ordre de grandeur supérieur à ce qui constitue actuellement la production électrique... C'est d'ailleurs, à mon avis, une urgence absolue pour des raisons d'émissions de gaz à effet de serre.
Dans ce cadre, faire reposer un scenario sur une baisse programmée de la production d'électricité, c'est nous conduire droit au mur; c'est une erreur d'un facteur 3 !!! pas une paille. Il serait bien plus pertinent de programmer que les économies possibles dans la consommation électrique (économies qu'il faut absolument développer) seront immédiatement réinvesties dans la transition concernant les énergies fossiles (les gisements d'économie de pétrole, de gaz ou de charbon sont innombrables: habitations et bâtiments tertiaires, industrie, transports...); il est d'ailleurs assez amusant de voir le scenario Ademe insister sur la ressource "stockage" des 10 000 000 de véhicules électriques projetés, mais de négliger leur consommation...
On remarquera que le scenario "Negawatt", qui inspire largement ce rapport, n'a pas commis cette erreur grossière et prend en charge la globalité du problème de l'énergie.
Comment expliquer une "erreur" aussi grossière, susceptible d'invalider toute la démarche? l'Ademe a pour vocation la maîtrise des énergies, pas seulement de l'électricité... Il y a gros à parier que comme le soupçonne yves35 (#7) que ce soit "coté "politique" ou "communication", à moins que l'objectif non avoué de l'étude soit non la maîtrise de l'énergie, mais la seule "sortie du nucléaire"...
Des éléments économiques manquant de robustesse
Là aussi , les calculs sont étranges... La plupart des données utilisées sont celles en cours actuellement; certes, il est bien délicat de prédire une évolution à 40 ans des prix des diverses énergies (et bien fol qui s'y risque), mais ne pas remarquer que les ENR bénéficient aujourd'hui d'un statut de priorité sur le réseau qui favorise radicalement leur amortissement est une erreur grave; aujourd'hui, il est facile d'accorder cette priorité (il suffit d'arrêter une centrale utilisant d'autres sources), mais dans l'hypothèse d'une production 100% ENR, on voit mal comment attribuer une priorité à qui que ce soit; la rentabilité issue d'un taux d'utilisation annuelle ne sera donc plus la même, et le "prix du kWh" augmentera en conséquence. De la même façon, le coût du "stockage", à court ou moyen terme, est systématiquement oublié...
Enfin, et c'est là le plus grave, le coût des investissements pour aboutir à 100% d'enr est soigneusement tu, au profit de considérations étranges sur le surcoût et les taux d'annualisation, avec ou sans circuits de financement favorisés (pourtant, favorisé ou pas, il faudra bien que quelqu'un paye !!!). Si il faut installer, si j'ai bien compris, environ 200 GigaW , avec un investissement de l'ordre de 2000€/kW, le total est de l'ordre de 400 Mrds€ (diable!), encore à ce prix n'avons nous ni le renforcement du réseau (dont la nécessité est largement démontrée par ailleurs), ni les capacités de stockage indispensables (10 000 000 de véhicules avec 10 kWh de batteries, c'est encore un coût à 20 Mrds€; mais pour des step supplémentaires, c'est bien plus)... pourtant, cette évaluation à la louche est sans doute encore optimiste, puisque elle rejoint les investissements de l'Allemagne de ces dernières années...
Effectivement, il valait mieux ne pas trop aborder cela dans cette étude... ça aurait pu faire peur.
Des principes physiques carrément niés
Ils sont légion dans cette étude, ces lois ou réalités physiques purement et simplement ignorés.
- sur le stockage (qui ne tient pas un rôle mineur dans le scenario): on oublie que les sites propices aux step sont pratiquement tous utilisés en France, pour des stockages de très courtes durées (quelques heures, pour les pointes de conso), que les volumes sont énormes (se chiffrent en km3) et les dénivelés importants (1000 m), que s'il fallait en construire d'autres, il faudrait noyer des vallées entières (une en haut, une autre en bas) au grand dam, soyons en sûr, des écologistes locaux (Sirvens multiplié par 100 ou 1000)... bref, compter là-dessus, c'est la pensée magique des jeunes enfants...
- sur l'option "power to gas to power", on oublie purement et simplement le rendement de conversion à chaque opération; faisons ce court calcul: produire du CH4 à partir de l'électricité et du CO2, c'est un rendement de 0,6 (on dépense 1 kWh électrique pour récupérer 0,6 kWh d'énergie chimique) et pour reconvertir le CH4 en électricité, c'est environ 0,44; soit un rendement global de 0,26... Concrètement on dépense 4kWh électriques pour en récupérer 1 !!! ce n'est par power to gas to power, c'est power by the window... le tout au nom des économies d'énergies...
- sur l'énergie hydrolienne, on feint d'ignorer que les experts ne reconnaissent guère que deux sites, en France, propices à cette énergie, pour un potentiel exploitable de quelques fractions de pourcent; il est vrai que l'on n'en est qu'à la phase d'expérimentation, toutes les rêveries sont donc permises (on avait fait les même rêves lors de l'inauguration de l'usine de la Rance).
- on confond gaillardement la cause du pic de consommation hivernal avec le chauffage électrique ou l'ecs, alors que tout le monde sait que ce pic est du essentiellement au retour des familles au domicile (donc éclairage, cuisine, équipement électrique et électronique...); le chauffage électrique est responsable d'une surconsommation hivernale de durée plus longue, et plus "plate"... c'est pas grave, grâce au smart-grid, vous éclairerez, regarderez la télé et ferez la cuisine à 13 heures, quand le soleil brille et produit... ça vous plait pas, c'est le même prix (très cher).
- on noie l'apport du photovoltaique dans un salmigondis statistique, alors que tout le monde sait, et ça n'est pas une probabilité statistique, c'est une certitude, que à partir de 17-18 h en hiver, le soleil se couche et ne produit plus rien (c'est d'ailleurs à cause de ce caractère taquin du soleil que les hommes se sont mis à consommer de l'énergie pour s'éclairer et se chauffer, la nuit notamment, et l'hiver); l'hiver, à partir de 17 heures, quand il n'y a pas de vent (par exemple en situation anticyclonique, qui amène aussi un froid certain), on ne sait pas ce qui prendra le relai (en tous cas, pas les step, pas les batteries des voitures, et pas le gaz to power...).
Bof, j'arrête là... un peu par lassitude... mais je continuerai si on insiste...
En fait, l'abondance de références sur l'état actuel de la consommation d'électricité, sur la possibilité de faire autrement, sur certaines évolutions nécessaires, cache mal les graves erreurs de stratégie et de méthodologie. Et ne comptons pas trop sur nos voisins ( "l'import" auquel il est souvent fait appel dans cette étude), la problématique de l'énergie chez eux ne sera pas foncièrement différente de la notre, à une ou deux exceptions près...
Allez, à plus...
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