Formation de l’anorthosite par flottation du plagioclase et les implications pour la croute lunaire.
Version courte:
L'intrusion magmatique stratifiée de Sept-Iles, sur les rives du Saint Laurent (Québec) a été étudiée pour son accumulation importante d'anorthosite (~500m) au sommet d'une sequence de troctolite et de gabbro. La modélisation de la cristallisation de cette intrusion montre que le changement de composition du magma basaltique modifie fortement sa densité (particulierement lorsque les oxydes de fer & titane précipitent) et permet aux plagioclases (anorthite) de flotter (au lieu de couler) pendant un certain intervalle de cristallisation.
Cet intervalle de cristallisation produit une couche d'anorthosite qui montre de tres fortes similitudes avec la croute lunaire. La modélisation pétrologique de l'intrusion de Sept-Iles et de l'océan magmatique lunaire semble indiquer un schema de cristallisation identique et une croissance de la croute lunaire du bas vers le haut, avec une segregation partielle des minéraux lors du reffroidissement. En plus des massifs d'anorthosite lunaires (Highlands), cette séquence de cristallisation explique d'autres particularités magmatiques et géophysiques lunaires comme les norites KREEP et la suite magnésienne.
Version Longue:
L’intrusion stratiforme(1) de Sept-Iles, sur les rives du Saint Laurent (Québec) est un corps magmatique de plus de 80km de diamètre et 5.5 km d’épaisseur mis en place dans les gneiss de Grenville il y a 564±4 Ma. Il est caractérisé par une séquence basale de troctolite(2a) et de gabbro(2b) et de l’anorthosite(2c) au sommet. Les accumulations d’anorthosite sont communes dans les intrusions stratiformes (Bushveld (RSA); Stillwater (Montana); Duluth (Minnesota)) mais Sept Iles est unique par l’épaisseur d’anorthosite enregistrée (~500m). L’anorthosite est essentiellement composée de plagioclase avec des quantités mineures de clinopyroxène, olivine et oxydes de fer et de titane (ilménite, magnétite). La composition en éléments majeurs du plagioclase est An68-An60(3), identique au plagioclase les plus primitifs trouvés dans les troctolites basales. Le plagioclase des gabbros est plus évolué (An60-An38).
L’origine des anorthosites de Sept Iles a été élucidée au travers de calculs de densité du plagioclase et du magma lors de la séquence de cristallisation. Le liquide initial est un ferrobasalte tholéiitique dont la densité augmente de 2.7 a 2.75 g/cm3, permettant aux plagioclases de flotter. Lorsque les oxydes de fer et de titane arrivent à saturation durant le refroidissement du magma, le liquide silicaté devient considérablement moins dense (2.16 g/cm3), ne permettant plus au plagioclase d’être plus léger que le magma. Le champ de composition dans lequel les plagioclases sont susceptibles de flotter va de An69 a An60 qui est identique à ce qui est observé dans les anorthosites du toit de l’intrusion de Sept Iles. Il est donc proposé que ces anorthosites sont formées par l’accumulation de grains de plagioclases flottés qui ont initialement cristallisé au fond de la chambre magmatique. Certains sont restés en place dans les troctolites basales alors que le reste a formé la couche anorthositique. Lorsque les oxydes de Fe-Ti ont commencé a cristalliser, la densité du magma a diminué, entrainant une dislocation partielle du toit anorthositique et la chute de blocs d’anorthosite (autolithes) dans la chambre magmatique. D’autre part, les plagioclases formés durant cette phase sont également plus évolués et retrouvés dans la chambre magmatique dans les gabbros.
Les réactions qui ont lieu dans la chambre magmatique de Sept-Iles ont été utilisées pour expliquer des particularités stratigraphiques de la croute lunaire. La cristallisation de l’océan magmatique lunaire est stratifiée avec une composition noritique(2d) à la base alors que des anorthosites ferrifères ont formés la partie supérieure de la croute. Le modèle de formation basé sur les observations faites à Sept Iles suggère que la croute lunaire est formée du bas vers le haut. Les anorthosites seraient crées par flottation sur l’océan magmatique avec une partie non négligeable de plagioclase qui n’a pu s’échapper de la matrice de cumulats présente au fond de l’océan de magma. Ce modèle de ségrégation est aussi capable d’expliquer la présence d’une croute mafique inferieure dont la signature géochimique serait liée à la suite magnésienne lunaire, sans la contamination des norites KREEP.
(1) : Intrusion stratiforme : Masse de roches magmatiques plutonique qui présente un rubanement vertical ou des différences de composition et de textures. Ce type d’intrusion est généralement large, couvrant des surfaces de 100 a 50000 km2 et des épaisseurs de plusieurs kilomètres. La plupart de ces intrusions sont Archéennes ou Protérozoique et de composition mafique ou ultramafique.
(2) : Noms de roches définissant des compositions bien particulières.
a : Troctolite : (olivine + plagioclase) =95%
b : Gabbro : (pyroxene + plagioclase) =90%
c : Anorthosite : (plagioclase) = 95%
d : Norite : (plagioclase + orthopyroxène + olivine) = 95%
(3) : Anxx : Titre en anorthite - Les plagioclases sont un groupe de minéraux évoluant entre le pole anorthite CaAl2Si2O6 et le pole albite NaAlSi3O8. Le titre en anorthite représente la quantité de calcium present et est d'autant plus élevé que le magma est primitif . ex : An68 = Ca/(Na+Ca) = 0.68
Reference :
Anorthosite formation by plagioclase flotation in ferrobasalt and implications for the lunar crust
Geochimica et Cosmochimica Acta 75 (2011) p4998-5018
Olivier Namura Bernard Charlierb Cassian Pirard c Jorg Hermannd Jean-Paul Liegeoise Jacqueline Vander Auweraf
a: Department of Earth Sciences, University of Cambridge, Royaume-Uni
b: Department of Earth, Atmospheric and Planetary Sciences, Massachusetts Institute of Technology, Cambridge, USA
c : School of Earth and Environmental Sciences, James Cook University, Townsville, Australie
d : Research School of Earth Sciences, The Australian National University, Canberra, Australie
e : Geologie isotopique, Musee Royal d'Afrique Centrale, Tervuren, Belgique
f : Departement de Geologie, Universite de Liege, Liege, Belgique
http://www.sciencedirect.com/science...16703711003413
Libre acces par Musee d'Afrique Centrale
T-K
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