A propos de l'intrication du vide, et du théorème Reeh-Schlieder
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A propos de l'intrication du vide, et du théorème Reeh-Schlieder



  1. #1
    Husserliana

    A propos de l'intrication du vide, et du théorème Reeh-Schlieder


    ------

    Bonsoir à tous,

    Cette discussion fait suite aux remarques que j'ai pu lire dans cette autre, abandonnée malgré moi :
    https://forums.futura-sciences.com/p...ml#post7221008

    (J'en profite pour remercier tous les intervenants : Antonium, La Limule, Gilgamesh, ThM55 )
    N'ayant toujours pas trouvé de réponses chez Dieter Zeh (je n'ai certes pas tout lu), je préfère ouvrir un autre fil pour poser des questions sur le vide, plus larges, et peut-être moins sujettes à interprétation.

    Gilgamesh mettait en lien une vidéo de Susskind où l'intrication du vide était posée comme un axiome, allant de soi (il soutient d'ailleurs la même chose dans cette seconde vidéo, à partir de 32mn30 :https://www.cornell.edu/video/leonar...3-entanglement).
    Double question dès lors ; de quoi s'autorise-t-on pour affirmer cela (ou qu'est-ce qui prouve au fond, cet état de fait que serait l'intrication) ? Et intrication entre quoi et quoi, dès lors ?

    A) Concernant la seconde, la vidéo aussi bien que certaines de vos réponses me semblent assez éclairantes. Il y aurait intrication entre des régions séparées d'un même champ, quand bien même cette séparation serait un intervalle de genre espace. Ces régions (Susskind parle de "cellules") constitueraient alors des sous-systèmes non-séparables. Par suite, tout ce qui est contenu une région quelconque, je veux dire toutes les variables de champ qu'elle contient, sont intriquées avec les variables contenues dans d'autres régions.
    Mais peut-on alors inférer, de cette intrication (entre des cellules, et par suite entre les variables ou degrés de liberté de ces cellules), celle que suggère Susskind (ainsi qu'Antonium dans sa réponse, il me semble ?), à savoir, une intrication entre des fluctuations du vide, ou des particules virtuelles ?
    La réponse me semble être oui, mais je voudrais être bien sûr.
    D'autant que dans un article récent, Susskind écrit : " In the vacuum of a quantum field theory, the quantum fields in disjoint regions of space are entangled. One way to picture this is that virtual pairs of entangled particles are constantly appearing for short times". Tirer de l'intrication des régions l'intrication de leurs fluctuations (ici virtuelles) est une chose, mais considérer que l'une est une traduction possible ("picture") de l'autre, c'est faire encore un pas supplémentaire, il me semble.

    Question subsidiaire: peut-il y avoir intrication entre les vides (les régions de vide) de champs distincts?

    B) Quant à la première, mes interrogations sont peut-être tout à fait triviales, mais tant pis, je me lance. Sur quoi se fonde-t-on pour affirmer l'ubiquité de l'intrication du champ à l'état de vide (que ce soit une intrication entre régions, modes de champs, ou particules virtuelles) ? Car il n'y a pas d'expérience de type Aspect pour cela : comment puis-je mesurer l'état fondamental, qui ne produit par définition aucun quanta mesurable par voie directe ? J'entends que l'on peut faire appel aux fluctuations du vide (et donc les tenir pour "indirectement attestable) afin d'expliquer certaines expériences de QFT ; mais comment établir que celles-ci sont intriquées ? Qu'est-ce que cela signifie, au fond, que quelque chose d'inobservable est intriqué, en termes physiques ?
    Est-ce là, au fond, une conséquence d'un théorème que j'ignore ? Ou d'une loi de conservation quelconque ?


    Enfin...je vois souvent mentionné dans les discussions de ce genre le théorème Reeh-Schlieder -- qui ne constitue pas, si j'ai bien compris, une réponse à ma question précédente, étant plutôt une conséquence de l'universalité de l'intrication en QFT. Je voudrais savoir s'il en existe une formulation (ou le cas échéant, s'il existe un théorème équivalent) indépendante de la théorie algébrique des champs.

    -----

  2. #2
    La Limule

    Re : A propos de l'intrication du vide, et du théorème Reeh-Schlieder

    Tu espère vraiment des commentaires sur un passage a la 32eme minute d'une vidéo en anglais?

  3. #3
    Husserliana

    Re : A propos de l'intrication du vide, et du théorème Reeh-Schlieder

    Le passage en question dure cinq minutes, mais on peut même s'en passer. Je crois que la citation de Susskind (extraite de Copenhagen vs Everett, Teleportation, and ER=EPR, 2016) et mes questions se suffisent à elles-mêmes, du moins je l'espère..! Autrement, je suis prêt à clarifier/désépaissir

    PS; la.vidéo offre une transcription de très bonne facture, en simultané !
    Dernière modification par Husserliana ; 14/10/2024 à 10h16.

  4. #4
    ThM55

    Re : A propos de l'intrication du vide, et du théorème Reeh-Schlieder

    Citation Envoyé par Husserliana Voir le message
    Enfin...je vois souvent mentionné dans les discussions de ce genre le théorème Reeh-Schlieder -- qui ne constitue pas, si j'ai bien compris, une réponse à ma question précédente, étant plutôt une conséquence de l'universalité de l'intrication en QFT. Je voudrais savoir s'il en existe une formulation (ou le cas échéant, s'il existe un théorème équivalent) indépendante de la théorie algébrique des champs.
    Je ne sais pas comment répondre aux autres questions. Mais d'après ce que je sais du théorème de Reeh-Schlieder, que j'ai appris dans le bouquin de Rudolf Haag, il énonce que si une théorie de champ dans Mink a un état d'énergie minimale (le "vide") |O> alors toutes les expressions obtenue en agissant avec l'opérateur de champ de la forme (ici je prends un champ scalaire pour simplifier la notation) pour tout n avec des x_i dans un domaine de l'espace-temps donne un sous-ensemble dense dans l'espace de Hilbert des états. Cela signifie en pratique que tout état quantique du champ peut être exprimée comme une combinaison linéaire d'états de ce type.

    C'est le genre de théorème qu'on a trouvés longtemps après que le formalisme de la théorie ait été introduit, mis en pratique, et subi le test de l'expérience. On peut très bien vivre sans: la preuve, les innombrables cours de QFT et de physique des particules qui l'ignorent en tant que théorème mais font comme si c'était évident. Mais il justifie a posteriori des manipulations non justifiées mathématiquement et permet, je suppose, aux adeptes de la rigueur mathématique de mieux dormir la nuit.

    A part cela, nous apprend-il quelque chose sur la nature? Je n'en sais rien, mais il est possible qu'une meilleure connaissance des fondements mathématiques de ce genre soit nécessaire pour sortir un jour de l'impasse où les théories de gravitation quantique (que ce soit les cordes, la LQG ou d'autres) nous ont enfoncés depuis 30 ans. Je dirais peut-être, peut-être pas, pourtant je suis belge, pas normand.
    Dernière modification par ThM55 ; 14/10/2024 à 10h49.

  5. A voir en vidéo sur Futura
  6. #5
    ThM55

    Re : A propos de l'intrication du vide, et du théorème Reeh-Schlieder

    Je n'ai pas insisté sur un mot dans l'énoncé du théorème, c'est un "domaine" de l'espace-temps. Mais c'est important. Cela veut dire que les opérateurs peuvent agir dans un domaine borné de l'espace-temps et pourtant on peut ainsi atteindre n'importe quel état du champ en faisant agir les opérateur locaux dans un domaine borné. Je suppose que c'est suite à cette observation qu'on lui fait jouer un rôle dans l'intrication du vide? Mais cela n'est pas si étonnant que cela en a l'air, puisqu'en faisant agir un créateur en un point de l'espace, on effectue en réalité une opération qui n'est locale qu'en apparence (penser aux relations d'incertitude).

  7. #6
    lafysikCmoi

    Re : A propos de l'intrication du vide, et du théorème Reeh-Schlieder

    Husserliana: In the vacuum of a quantum field theory, the quantum fields in disjoint regions of space are entangled
    Si deux régions sont vraiment disjointes, on ne peut pas le vérifier puisque il doit exister un instrument de mesure qui sert de lien physique entre ces deux régions. Cela ne veut pas dire que c'est l'instrument de mesure qui va interférer mais qu'elles sont, par définition, non disjointes. Donc l'hypothèse semble gratuite
    L'intrication est avant tout une superposition d'états connus mais avec un résultat imprévisible (et toujours la même phase entre les deux particules intriquées), alors qu'en plaçant les états dans des régions distincts, on aurait une superposition d'états inconnus, le résultat serait certes toujours imprévisible mais il n'y a aucune raison que les deux particules soient toujours distincts de la même phase, indéterminée, à priori une superposition d'état se trouvant dans des régions distincts ne peuvent mener à une intrication
    Perso, je me représente l'intrication par une sphère en croissance sur laquelle on trouve deux photons comme étant l'intersection entre cette sphère et notre monde, et sous un certain angle, elle est ondulée (en 2D, cela correspondrait à un cercle vu du dessus, et une ondulation sur la tranche, ou une superposition de deux ondulations distinctes d'une phase constante), et il n'y aurait pas d'écoulement du temps sur cette sphère, elle existerait d'un bloc (centrée sur l'atome émetteur), histoire de concilier onde, particule et intrication. Dans cette description, les régions intriquées ne sont donc pas disjointes

  8. #7
    ThM55

    Re : A propos de l'intrication du vide, et du théorème Reeh-Schlieder

    Citation Envoyé par lafysikCmoi Voir le message
    Si deux régions sont vraiment disjointes, on ne peut pas le vérifier puisque il doit exister un instrument de mesure qui sert de lien physique entre ces deux régions. Cela ne veut pas dire que c'est l'instrument de mesure qui va interférer mais qu'elles sont, par définition, non disjointes. Donc l'hypothèse semble gratuite
    L'intrication est avant tout une superposition d'états connus mais avec un résultat imprévisible (et toujours la même phase entre les deux particules intriquées), alors qu'en plaçant les états dans des régions distincts, on aurait une superposition d'états inconnus, le résultat serait certes toujours imprévisible mais il n'y a aucune raison que les deux particules soient toujours distincts de la même phase, indéterminée, à priori une superposition d'état se trouvant dans des régions distincts ne peuvent mener à une intrication
    Perso, je me représente l'intrication par une sphère en croissance sur laquelle on trouve deux photons comme étant l'intersection entre cette sphère et notre monde, et sous un certain angle, elle est ondulée (en 2D, cela correspondrait à un cercle vu du dessus, et une ondulation sur la tranche, ou une superposition de deux ondulations distinctes d'une phase constante), et il n'y aurait pas d'écoulement du temps sur cette sphère, elle existerait d'un bloc (centrée sur l'atome émetteur), histoire de concilier onde, particule et intrication. Dans cette description, les régions intriquées ne sont donc pas disjointes
    Je suis entièrement d'accord. Mais on pourrait placer l'instrument de mesure dans l'intersection des zones d'influence des deux régions locales disjointes. Cela n'établit pas un lien physique entre les deux régions (on parle de régions dans l'espace-temps). J'ai expliqué que le théorème de Reeh-Schlieder permet de représenter n'importe quel opérateur, même totalement non-local, comme limite de combinaisons linéaires d'opérateurs qui agissent localement sur le vide dans un domaine quelconque. J'ai dit que ce n'est pas si étonnant. En fait de manière beaucoup plus simple, on a déjà un "miracle" avec deux opérateurs de création. Supposons des opérateurs qui créent un fermion, l'un en un point x de l'espace-temps et l'autre en un point "au même instant" y (càd séparé par un intervalle de genre espace). On peut aussi les répartir avec des fonctions test localisées, puisque ce sont aussi des distributions, mais faisons le toujours dans des domaines séparés. Le miracle c'est que l'état obtenu est antisymétrique dans l'échange des particules dès l'instant de leur création et pourtant aucune information ne peut circuler de l'une à l'autre. J'ai l'impression finalement que c'est ce genre de "miracle" qui fait dire que le vide est un état fortement intriqué (sauf erreur de compréhension de ma part). Cependant un tel processus n'est pas réalisable physiquement par une évolution quantique unitaire, donc pas possible par exemple au moyen de systèmes du genre "ordi quantique" dont les portes sont toujours des opérateurs unitaires.

  9. #8
    Husserliana

    Re : A propos de l'intrication du vide, et du théorème Reeh-Schlieder

    Merci ThM55 !

    En effet, j’ai pu lire qu’on reconnaissait dans ce théorème la preuve formelle de l’omniprésence de l’enchevêtrement quantique (et de l’enchevêtrement maximal) dans l’état de vide…. Mais cela, moyennant l’approche algébrique, qui je dois bien l’avouer, me dépasse complètement.
    Ce que tu écris dans ton message m’aide je crois à y voir un peu plus clair. Alors je soumets ma « compréhension » du théorème à ton jugement (ou celui d’un autre forumer) : l’état de vide d’un champ a ceci de particulier qu’il nous permet d’approcher n'importe quelle partie de l'espace de Hilbert (ou de Fock) par des opérations sur cet état, moyennant des opérateurs appropriés (locaux, mais pas nécessairement unitaires) construits dans n’importe quelle région arbitrairement petite de l'espace-temps. Alternativement : tout état quantique du champ dans son ensemble peut être atteint (avec une précision arbitraire) en commençant par le vide et en agissant avec un opérateur confiné à une petite région de l’espace.

    Le fait est que cela n’a rien d’évident quand je considère le formalisme de l’AQFT. Du moins, il y a pour moi comme un saut, dans le passage des algèbres aux états. Mais je n’attends que d’être détrompé.

    Formellement, on associe à chaque région ouverte et bornée O dans l’espace-temps de Minkowski M une algèbre de von Neumann U(O) d’opérateurs bornés dont les éléments auto-adjoints représentent des quantités mesurables dans O. Dit autrement : les opérateurs de l’algèbre étant hermitiens, ils représentent non seulement des actions ou des opérations qui peuvent être effectuées dans O (possibles en principe, qu’importent nos capacités technologiques actuelles), mais aussi des grandeurs pouvant être mesurées par des actions effectuées dans O. Enfin, chaque algèbre agit sur le même espace de Hilbert H composé des états de l’intégralité du champ sur M.
    Le théorème repose en outre sur certaines conditions générales qui ne me semblent pas trop dures à avaler, comme le fait que les algèbres associées à des régions séparées par un intervalle de genre espace doivent commuter : que l’espace-temps dans lequel le système quantique évolue possède certaines isométries spécifiques ; et (surtout !) le fait que le tenseur* impulsion-énergie du champ demeure confiné à l’avant du cône de lumière. Je laisse enfin de côté sur la cyclicité de l’état de champ – sans doute nécessaire pour être rigoureux, mais qui m’échappe quelque peu… Mais disons que si le théorème se vérifie, on pourra dès lors dire que ω est « cyclique » pour toute algèbre locale d’opérateurs… de là à savoir ce que cela signifie physiquement…

    Le théorème de Reeh-Schlieder dit alors en substance que l’action des opérateurs associés à tout O de M sur l’état du vide ω dans H permet de s'approcher arbitrairement (en norme) de n'importe quel état dans H. Fait notable, l’action sur le vide des opérateurs localisés en O, qui peut être arbitrairement petit, peut « générer » n'importe quel état s’éloignant arbitrairement du vide pour les régions qui sont séparées de O par un « space-like interval ». En une formule compacte : chaque opérateur local est suffisant pour générer H en son entier.
    Il démontre ainsi que l’état du vide ω est en fait rempli de corrélations « maximales » : pour deux régions O et O′ tenues en respect l’une de l’autre par un intervalle de genre espace, (régions bornées et ouvertes, toujours), U(O′) est maximalement corrélé avec U(O) dans l'état ω**. Bref, nous constatons que l'état du vide ω est en fait intriqué dans toutes les régions d’espace-temps, seraient-elles hors du cône de lumière (et que ceci est valable pour tous les états d'énergie bornés).
    Mais à quoi cela tient-il ? En admettant que O se situe dans le voisinage d’un point particulier de M, comment l’action sur ω avec des opérateurs dans U(O) pourrait-elle approximer un état arbitraire du champ – et en particulier, un état qui ne ressemble pas du tout au vide dans une région éloignée, séparée de O par un « space-like interval » ? J’ai cru comprendre, en feuilletant le Haag que tu cites, que cela a maille à partir avec nos restrictions de départ : le fait d’exiger que notre tenseur soit confiné à l’avant du cône de lumière contraint le vide à être dans un état fortement corrélé… Admettons.
    En tous les cas, je peine à être plus rigoureux, dans le rapport du théorème à l’ubiquité des corrélations quantiques au sein de ω.
    *En anglais, je lis plutôt « energy-momentum spectrum ». Spectrum ici = tensor ?
    **N’y a-t-il pas un saut ici, de l’intrication des algèbres, donc des observables, à celle des états ? Quelque chose m’échappe.

    Mais enfin, m’autorisant de ce maigre rapport, j’en infère que les champs quantiques seront caractérisés, non seulement par l’omniprésence des fluctuations (du vide), mais aussi par l’ubiquité des corrélations à longue portée ; et que moyennant des opérations sélectives appropriées et en les appliquant dans une région localisée (mais pas moins arbitraire) du vide spatio-temporel (recouvrement de H et de M, en quelque sorte), n'importe quel état donné peut être « créé » – dans cette région particulière certes, mais aussi bien dans n’importe quelle autre région spatio-temporelle causalement séparée. Tout état, en somme, depuis une région aussi minuscule qu’on le voudra ; signe manifeste de l’ubiquité de l’intrication… Et tout cela, il me semble, se laisse déduire du théorème Reeh-Schlieder. Même si, vous le voyez, j’en reste à l’intuition.
    C’est qu’il faut en fait, il me semble, voir dans ce théorème une conséquence de l’intrication (plutôt que l’inverse), comme je l’avais énoncé dans mon message initial. Une conséquence du fait que les champs dans n’importe quelle région de M sont enchevêtrés avec les champs partout ailleurs dans n’importe quelle autre région de M, dans tout l’univers ; et de même, pour tout ce qu’ils enveloppent, leurs états possibles et superposés : tel contient un nombre infini de possibilités afférentes à tel champ, et ce nombre est donc enchevêtré avec un nombre infini de possibilités dans toutes les autres régions de tous les autres points de l’univers.
    - -> Etant donné que les degrés de liberté des champs (dans différentes régions de l’espace) sont enchevêtrés dans le vide (dans leur état de vide), alors, le fait d’agir sur ceux d’une région particulière peut effectivement produire/générer n’importe quel état possible.

    Mais cette création ou cette génération m’interpelle, voulant tout de même lui reconnaître un certain sens physique. Dans le contexte d’une mesure (c’est tout de même cela que les algèbres mettent en avant) le théorème de Reeh-Schlieder dit donc que lorsque nous effectuons une observation sur une région des champs quantiques dans une certaine région de l'espace, l’un des résultats possibles est de « faire naître » quelque part ailleurs dans l’univers littéralement n’importe quoi.
    Cela m’évoque une reformulation assez déroutante de ce théorème, que l’on doit à Reinhard Werner : en agissant sur le vide avec des opérations appropriées dans un laboratoire terrestre, un expérimentateur peut créer le Taj Mahal sur (ou même derrière) la Lune (région hors du cône, s’il en est) ! D’où parfois l’appellation « théorème du Taj Mahal ».
    Alors bien sûr, la probabilité que le Taj Mahal vienne à l'existence est extraordinairement faible, et donc négligeable FAPP. C’est absolument un cas où, simplement parce que quelque chose pourrait en principe se produire, il n’y pas lieu de s’en inquiéter.

    Tandis que pour des distances, disons, comparables à la longueur d’onde de Compton, le théorème prédit un comportement des corrélations dans l’état du vide qui est en principe testable expérimentalement, et qui est de nature véritablement quantique dans le sens où il implique une intrication quantique sur des sous-systèmes.
    Mais n’empêche : en principe, et quoique cela demeure indétectable, il « existe » un résultat de mesure qui correspond à la création d'une copie du Taj Mahal sur ou derrière la Lune. J’imagine qu’il faudrait être everettien pour accorder à cette existence un statut proprement physique.
    Mais admettons que je sois everettien : il me semble impossible que cette « génération » soit une espèce de création causale, la possibilité de créer ex nihilo un Taj Mahal ailleurs. C’est plutôt qu’il est déjà « là »(enchevêtrés à d'autres états du champ) dans les plis du vide ; et le mieux que l’on puisse faire depuis sa région locale est d’effectuer une mesure (essentiellement sur les paires de Bell intriquées) qui a pour résultat (avec une probabilité extraordinairement faible) que le Taj-Mahal sera trouvé ailleurs.

    Et me voilà au bout de mon errance. Si je me suis fourvoyé en cours de route, n’hésitez pas à me le dire.

  10. #9
    Husserliana

    Re : A propos de l'intrication du vide, et du théorème Reeh-Schlieder

    Je n'ai, je l'avoue, pas le courage de répondre aux derniers messages (merci à lafysikCmoi !), mais le ferai sans faute demain

  11. #10
    ThM55

    Re : A propos de l'intrication du vide, et du théorème Reeh-Schlieder

    Mais cette création ou cette génération m’interpelle, voulant tout de même lui reconnaître un certain sens physique. Dans le contexte d’une mesure (c’est tout de même cela que les algèbres mettent en avant) le théorème de Reeh-Schlieder dit donc que lorsque nous effectuons une observation sur une région des champs quantiques dans une certaine région de l'espace, l’un des résultats possibles est de « faire naître » quelque part ailleurs dans l’univers littéralement n’importe quoi.
    Cela m’évoque une reformulation assez déroutante de ce théorème, que l’on doit à Reinhard Werner : en agissant sur le vide avec des opérations appropriées dans un laboratoire terrestre, un expérimentateur peut créer le Taj Mahal sur (ou même derrière) la Lune (région hors du cône, s’il en est) ! D’où parfois l’appellation « théorème du Taj Mahal ».
    Alors bien sûr, la probabilité que le Taj Mahal vienne à l'existence est extraordinairement faible, et donc négligeable FAPP. C’est absolument un cas où, simplement parce que quelque chose pourrait en principe se produire, il n’y pas lieu de s’en inquiéter.
    Je ne suis pas convaincu par cette interprétation de ce théorème car comme je l'ai dit l'opérateur de création en question n'est en général pas unitaire. Rappelons que l'un des fondements de l'informatique quantique est de laisser le système effectuer des transformations unitaires (sauf quand on effectue une observation pour obtenir le résultat) car c'est la base de la physique quantique: la conservation des probabilités. C'est aussi ce qui fonde les algorithmes quantiques de partage de clés de chiffrement car une conséquence est l'impossibilité du clonage des états quantiques. Donc, non, on ne peut pas faire de la magie grâce à la physique quantique!

    J'aime bien rattacher les trucs qui semblent un peu ésotériques à des cas plus simples, cela aide à comprendre. Selon moi tout cela est au fond à la base de la théorie quantique des champs relativistes, dans laquelle on sait qu'on ne peut pas localiser une particule en un point et dans laquelle les fonctions de corrélation <0|phi(x)phi(y)|0> ne s'annulent pas pour x et y séparés de genre espace; je comprends le théorème de Reeh_Schlieder comme une généralisation, d'ailleurs facile à démontrer (*) . Mais dans le cas plus simple de la corrélation à deux points cela n'entraîne aucune violation de la causalité car la mesure des observables phi(x) et phi(y) (ou leur étalement par une fonction de Schwartz) n'interfèrent pas. Coleman explique cela très bien dans une des premières leçons de son cours de QFT et il montre comment cela entraîne la nécessité des anti-particules. Le véritable intérêt de ce théorème RS est à mon avis qu'il confirme mathématiquement le formalisme avec des créateurs et des annihilateurs agissant sur le vide, il montre en quelque sorte que ce formalisme simple est complet. C'est ce qu'on fait quand on calcule l'amplitude d'un processus de collision: les états initiaux et finaux sont construits par des créateurs à partir du vide et on ne doit pas s'inquiéter de choses cachées qui seraient plus compliqués.

    Il faut noter que la démonstration repose sur l'invariance des fonctions de corrélations sous les translations de Poncaré, donc dans l'espace-temps de Minkowski. Je ne sais pas comment cela se généralise en espace-temps courbe, ce serait intéressant de trouver des références sur le sujet. Il y en a sur Arxiv, je vais voir ça plus tard.

    (*) Cf Gordon W. Semenov, Quantum Field Theory, Springer 2023, section 7.9.1.
    Dernière modification par ThM55 ; Hier à 09h50.

  12. #11
    Husserliana

    Re : A propos de l'intrication du vide, et du théorème Reeh-Schlieder

    Je voulais justement insister sur le fait que la “création” en question n’est pas causale mais, dans un cadre everettien, une simple manifestation d’états déjà présents dans le vide quantique. Donc, la non-unicité des opérateurs de création ne me semble pas constituer une critique pertinente ici ; pas plus que ne l'est celle de la réduction du paquet d'ondes ; en contexte everettien, et sauf erreur, toute la dynamique est unitaire, et le non-unitaire ne témoigne que de nos propres limites de sujets épistémiques, voulant prendre connaissance de ces corrélations.
    Bien sûr, je ne prétends pas, même chez Everett, que le Taj Mahl lui-même est contenu dans le vide (c'était une approximation, grossière j'en conviens) ; mais le sont à tout le moins, toutes les potentialités nécessaires à sa manifestation.

    Maintenant, pas obligé d'utiliser Everett, qui ne concerne que la fin de mon message, d'ailleurs. Mais le recours à l'exemple du Taj Mahal est, de ce que je crois lire, récurrent dans la littérature. On lui donne sans doute bien des sens, mais cela suffit à me faire juger un brin hâtive l'accusation de "magie"...

    Que penses-tu du reste de mon message ? Vois-tu des erreurs ?

    Merci cependant, et.comme toujours, pour ta réponse affutée
    Dernière modification par Husserliana ; Aujourd'hui à 00h40.

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