Bonjour
je voudrais engager une réflexion sur un phénomène que j'aurais envie de baptiser les "distorsions cognitives sociétales" (que j'abrégerai en DCS). On connait les distorsions cognitives à l'échelle individuelle (cf par exemple ici : http://www.psychomedia.qc.ca/psychol...te-definitions ), qui nous concernent tous. On a tous nos défauts de jugements, nos peurs irraisonnées, ou au contraire nos croyances injustifiées. Ce qui m'intéresse, c'est quand ces distorsions atteignent le débat public et s'installent parfois comme des comportements collectifs pouvant avoir un grand impact sur notre vie.
Je ne parle pas des théories du complot qui en général sont portées par des petites minorités (parfois très actives en particulier sur les réseaux sociaux), et qui portent sur des théories "abracadabrantesques". Je parle de débats qui acquièrent un statut d'opinions respectables et entrent dans les débats publics officiels, mais qui ont néanmoins des bases objectives très faibles.
En essayant de les définir, je dirais que leurs caractéristiques seraient :
* elles sont qualitativement rationnelles et partent toujours de faits objectifs et identifiés comme des dangers potentiels
* elles sont cependant quantitativement irrationnelles, c'est à dire qu'elles souffrent de distorsions dans l'évaluation de leur importance : soit que l'effet qualitatif est statistiquement non significatif ou à la limite de la significativité, soit il est réel mais de bien moindre importance que d'autres, mais tout le débat se trouve porté sur un point mineur.
* elles tournent souvent à des débats passionnés dans la société, les tenants de ce débat étant le plus souvent très peu au courant des faits objectifs, et ne cherchant même pas à les connaitre - ils s'appuient seulement sur le "qualitativement rationnel" en insistant sur les dangers potentiels, mais sans le quantifier, et esquivent les débats sur la quantification. Tres souvent les évaluations sont contradictoires et chaque camp mettra en avant l'évaluation qui ira dans son sens, en "écartant" celles qui n'y vont pas. Il y a des techniques souvent utilisées pour déconsidérer les études, par exemple prétendre qu'elles sont biaisées par les sources de financement, par les liens qu'ont les auteurs avec des mouvements politiques et/ou des intérêts économiques, etc ... (attention je ne dis pas que ces biais n'existent jamais, je dis seulement que les discussions tournent essentiellement autour de ces points quand il s'agit de DCS, et non pas de la validité scientifique intrinsèque des études).
* évidemment le développement des réseaux sociaux fait que ces débats prennent un importance considérable dans la "reseausphère", avec de nombreux sites, des débats tendus, voire facilement insultants dans les commentaires - la notion de faute et de culpabilité sera très souvent mise en avant pour parler à ses contradicteurs. Une caractéristique assez générale des DCS est leur irruption importante dans le contexte humoristique, les humoristes se faisant les antennes de la société pour tourner en dérision une des positions (sans avoir eux mêmes de données scientifiques pour trancher, ils ne se font que se faire l'écho des croyances sociétales).
* elles prennent souvent un tour politique, c'est à dire qu'elles deviennent emblématiques d'un certain courant politique (pas toujours le même, mais ça touchera plus naturellement des positions "extrêmes" qui sont souvent plus revendicatives que les autres). Elles jouent ainsi souvent un rôle sociétal important en pouvant faire basculer les opinions sur l'attitude des responsables politiques, qui se retrouvent piégés à devoir se prononcer sur des mesures dont la plupart du temps ils ne maitrisent pas l'information nécessaire (et souvent parce qu'elle n'existe pas), et qu'ils auraient surement préférer éviter, mais on les contraint à prendre position.
Après ces généralités, je vais donner deux exemples de DCS qui me semblent illustrer ce genre de distorsion, comme vous verrez les "camps" ne sont pas toujours les mêm
Premier exemple : les dangers du glyphosate
Le glyphosate est un organe-phosphoré herbicide, très employé dans l'agriculture et qui a été longtemps considéré comme une solution "miracle", de faible toxicité et mobilité. Comme on sait ces caractéristiques ont été contestées de plus en plus violemment par des mouvements écologistes , qui se sont emparés en particulier de la classification comme "probablement cancérogène" par le CIRC (catégorie dans laquelle on retrouve les viandes transformées ou grillées). Je ne vais pas faire l'historique des débats, mais je pense qu'on y retrouve toutes les caractéristiques ci-dessus. Evidemment il est tout à fait légitime de s'interroger sur la toxicité d'une molécule, mais absolument rien ne montre que c'est un danger majeur pour la société , alors que c'est symboliquement devenu un emblème d'un supposé empoisonnement de masse par les produits chimiques. Pour un exemple de sketch sur le sujet : https://www.youtube.com/watch?v=G0ygzBBhRq4 (j'aime bien Sofia Aram par ailleurs, c'est juste une illustration de la distorsion sociétale sur le sujet). C'est devenu maintenant un enjeu majeur de jugement des politiques "écologiques" des états, alors que personne n'est capable de fournir le moindre chiffre, par exemple, sur le nombre de morts qu'il ferait annuellement en France, au contraire d'autres causes parfaitement connues , identifiées, mais qui ne motivent personne.
Deuxième exemple plus récent : le port du masque dans les espaces publics
l'exemple est intéressant par la rapidité avec laquelle les pouvoirs publics ont changé de discours : au début le masque était présenté comme inutile voire dangereux, et rapidement ( à partir du moment où on a pu en disposer ), il s'est imposé dans le discours public comme l'arme essentielle contre la pandémie. En particulier, le port du masque en public est devenu un signe ostentatoire de "bon citoyen" , ou au contraire un symbole de contestation du pouvoir établi. En réalité une étude récente montre que les contaminations se font essentiellement dans des espaces clos, où les gens se connaissent bien et enlèvent le plus souvent le masque. Je ne veux pas dire que le masque soit inutile en soi, juste que l'obligation de le porter dans la rue n'a certainement aucun impact important sur l'épidémie, et que c'est devenu un axe majeur de communication sur les mesures à prendre, alors qu'on a très peu communiqué sur l'action (surement plus importante) de limiter le plus possible ses interactions sociales (c'est le vrai sens de "distanciation sociale", qui n'est pas à mon avis originellement la distance physique à respecter quand on est proche des gens, mais simplement de rencontrer moins de gens !). Là encore vous pourrez vérifier que la liste des critères ci-dessus est bien remplie.
Il y en a plein d'autres, mais je vous laisse y réfléchir et les trouver par vous mêmes...
la question intéressante (si vous êtes convaincus de l'existence de ces DCS) c'est : comment les repérer et apprendre à les corriger ?
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