Première topique : sur le sens du paradigme mécaniste
Qu’est-ce que la Vie ? Pour répondre à cette question, il suffit d’examiner les systèmes vivants , de recueillir des données tangibles et de penser. C’est ce que fit le premier des scientifiques qui fut aussi philosophe, Aristote. Par la suite, quelques méthodes analytiques ont permis au savants des 18ème et surtout 19ème siècle de parfaire un schéma qui ne résista pas à la puissance analytique de la biologie du 20ème siècle. Le paradigme vitaliste reposant sur une essence spécifique de la vie, une âme si on veut, a été abandonné au profit du paradigme mécaniste qui selon Canguilhem, explique le vivant sans la Vie. Le mécanisme n’est pas une idée récente. Il remonte au 18ème siècle mais les conditions empiriques et théoriques lui permettant de s’installer fermement sont récentes. Un demi-siècle.
La conception mécaniste du vivant relève-t-elle de la science authentique (explication et compréhension) ou bien n’est-elle qu’un dispositif non ontologique mais technique dont l’avènement résulte d’une combinaison de facteurs intellectuels et technologiques ? Autrement dit, j’applique une généalogie technique calquée sur la pensée de Simondon et Ellul selon lesquels les ensembles super-techniques germent dès lors qu’un seuil de développement est suffisant. Ce schème est illustré par l’exemple du Chili qui selon Ellul, a pu bénéficier d’un transfert de technologie par le fait même que c’était déjà implantée une praxis technicienne doublée d’une mentalité adéquate. Plus exactement, Ellul fait référence à l’industrie des nitrates. Ainsi, parvenu à un seuil suffisant, la poursuite du développement technique peut s’engager et surtout les crédits insufflés sont justifiés par les instances supérieure qui gèrent le développement industriel du monde. Il va de soi que d’autres nations, spécialement en Afrique, n’ont pas eu cette possibilité car elles sont restées au stage pré-technique.
Si j’applique ce schème à la science du Vivant, alors on peut aussi émettre l’hypothèse que le paradigme mécaniste relève d’une combinaison de facteurs dont la Technique analytique est la clé centrale. Le reste relève pour une part de la Nature même de la Vie. Les mécanismes sont bel et bien des réalités et l’hypothèse atomique, moléculariste, génétistes, cellulaire est bien plus qu’une hypothèse. C’est la réalité. La Vie utilise des composants et se comporte à l’image d’un ensemble technique assemblé et doté de régulations intrinsèques. L’autre part, c’est justement l’entendement humain. Ici aussi, une certaine mentalité est requise pour que le paradigme mécaniste germe, à l’image des techniques industrielles qui s’implantent si les populations sont prêtes, en formation et en réflexion, à servir la Technique.
Il existe alors un parallélisme entre le constat d’Ellul sur les effets de la Technique sur l’homme et ceux concernant la pensée scientifique de la Vie. La Technique tend à supprimer le phénomène spécifiquement humain qui pourtant lui résiste. L’Homme a une âme et il le fait savoir mais la Nature n’a aucun moyen de dire ce qu’elle est en vérité. L’homme a une idée de la Nature, le scientifique s’appuie sur les techniques analytiques. La Technique supprime le Vivant dans sa spécificité comme elle tend à supprimer l’Homme mais l’Homme résiste. Enfin, disons que la Technique emporte d’année en année des parts de pouvoir sur l’Homme. Il y a des parts de marché comme il y a des parts de soumission. Ces constatations semblent éloignées du sujet et pourtant, une même topique rassemble le scientifique qui ne voit que des mécanismes dans la Vie et le technocrate qui ne veut plus voir et ne peut plus voir la spécificité de l’humain excepté son insertion ou bien statistique ou bien opérationnelle dans le Système social.
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