Bonjour
Je suis récemment tombé sur le billet d'un des blogs du "Monde" (Passeur de sciences) relatant que de "faux souvenirs" de guerre auraient été créés par des chercheurs néerlandais chez des soldats revenus d'Afghanistan.
Le commentaire que j'avais posté s'étant pour des raisons inconnues (même si j'ai de fortes présomptions ) perdu sur les limbes du billet en question, je souhaitais le poster ici pour que des gens puissent confirmer/infirmer les critiques que j'y adressais à l'encontre de l'étude (et de la transcription qui en était faite par l'auteur du blog). Je pense être pour ça sur la bonne section du forum, toutefois, si tel n'est pas le cas, je prierais les modérateurs de bien vouloir le transférer dans celle qu'ils jugeront plus appropriée.
La version complète de l'étude est disponible ici. Elle n'est malheureusement disponible qu'en anglais, mais reste tout de même très abordable. Pour résumer : après leur retour au pays, des chercheurs ont fait mention à des soldats d'une attaque à la roquette s'étant déroulée contre leur camp pendant leur séjour en Afghanistan (attaque ne s'étant en réalité jamais déroulée). Après, leur avoir balancé cette fausse information, les chercheurs ont retrouvé ces soldats quelques mois plus tard, et surprise, 26 % d’entre eux ont assuré avoir été présents lors de cette attaque, pourtant fictive. Bon évidemment, si vous souhaitez réagir sur ce sujet, il serait nettement préférable d'avoir lu à la fois le billet et l'étude dans leur intégralité (ce qui reste plutôt rapide).
Voici le commentaire que j'avais posté :
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Je m'excuse de poser la question mais, est-ce que quelqu'un ici a seulement pris la peine de lire sérieusement l'étude en question ?
Je lis : "Quelques détails étaient apportés sur le bruit de l'explosion et les graviers que celle-ci avait projetés, à la fois pour renforcer la crédibilité de l'histoire et pour donner des éléments permettant de l'imaginer. Evidemment, personne ne s'en souvenait."
Evidemment ? Pas tant que ça, puisque 8 soldats ont déjà déclaré à ce moment là avoir vécu l’événement fictif (ce qui est loin d'être insignifiant quand on les compare au 55 qui l'ont déclaré lors de l'entretien suivant, après les 7 mois d'attente). Si ces 8 soldats ont effectivement été exclu des résultats finaux, cela laisse néanmoins entrevoir chez certains des sujets une propension à de sérieux problèmes de mémoire/mythomanie/influençabilité (au choix). Ça commence bien.
Ensuite, suis-je le seul à être dérangé par le manque d'information (pourtant déterminantes pour certaines d'entre elles) de cette "étude" ?
Par exemple, il n'est à aucun moment fait mention dans celle-ci si les soldats se trouvaient réellement sur le base le jour de la prétendue attaque. Et ce alors même que les auteurs font en introduction de leur étude la distinction entre une information erronée qui altère le souvenir original ("[...] misinformation that alters aspects of the original memory [e.g., remembering a hammer as a screwdriver or remembering a non-existing barn along a country road].") et la création d'événements entiers ("[...] to the creation of entire events."). Reconnaissons qu'il existe entre les deux une sacrée différence.
Aucune référence non plus à des attaques contre le camp, réelles cette fois-ci mais similaires à celle envisagée, durant le déploiement en Afghanistan des soldats interrogés. Et pourtant, là encore, la portée de l'étude n'est absolument pas la même selon la fréquence de ces potentielles attaques. Si celles-ci étaient plutôt courantes, alors un risque de confusion entre l'une d'entre elles et l'attaque fictive ne serait par exemple pas à écarter (les auteurs eux-mêmes mentionnent d'ailleurs ce risque). Au contraire, si aucune attaque ne s'était réellement produite, le "faux souvenir" prendrait alors une tout autre ampleur.
Il ne s'agit là que de deux des informations importantes qui font défauts dans cette étude, il en existe bien d'autres. Et quand à celles qui nous sont effectivement données, elles pourraient difficilement être plus vagues/évasives.
S'agissant de la façon dont l'information fictive a été introduite auprès des soldats durant l'entretien, on notera la manière dont les auteurs entretiennent une imprécision considérable : on ne nous parle que d'une information subtile ("Participants were given subtle misinformation about a missile attack at the base on New Year’s Eve"), d'une simple question posée sur l'exposition à un tel événement ("Participants were merely asked whether they had been exposed to such an event") ou encore d'une nouvelle information donnée à propos d'un événement fictif, incluant une brève description de l'attaque ("Participants were provided new information about an event that did not take place during their deployment. We provided a short description of the event including some sensory details").
Une brève description, mais qui détaille quand même la trajectoire des cailloux mis en mouvement lors de l'explosion ! Plus sérieusement, on aimerait quand même - c'est le cœur du sujet - connaître précisément la façon dont le "faux souvenir" a été instillé.
"Faux souvenir" dont il n'est au demeurant pas question dans l'étude ailleurs que dans l'introduction (qui fait écho à de précédentes recherches) puisque les auteurs lui préfèrent toujours la notion de "misinformation effect", ce qui me semble-t-il emporte une différence notable.
Rien non plus sur la réaction des soldats à cette information lors de cette entretien. Hormis les 8 dont j'ai précédemment parlé, on ne connaît absolument rien de la réaction des autres. Ont-ils déclaré ne pas en avoir souvenance ? Ont-ils déclaré ne pas avoir été présent sur la base ? Ou peut-être ont-ils clairement identifier événement comme ne s'étant jamais déroulé ? Mystère.
Enfin, je me permet de rapporter l'une des (nombreuses) réserves des auteurs eux-mêmes sur leur étude : "Several limitations of the current study should be considered before definite conclusions can be made. First, the main limitation is that the misinformation effect was based on a single item on a questionnaire. It remains unclear whether participants really remembered the event, or perhaps misunderstood the question".
Comment dire, outch. Le troisième et dernier entretien ne consistait en fait... qu'en un questionnaire. Le "faux souvenir" n'est donc caractérisé dans cette étude que par une croix dans une case. Fiable, à n'en pas douter. Surtout s'il on considère que certains l'ont coché sans rien comprendre (problème soulevé ici par les auteurs, et qui rejoint la corrélation avec le QI ^_^') ou tout simplement pour s'aligner sur la version fictive décrite lors du précédent entretien. En gros, ils ne savent absolument pas s'ils ont réellement intériorisé l'information comme un souvenir. Aïe.
On est donc loin du titre du billet de ce blog. Et, selon les dernières estimations de la NASA, à 10^6 années-lumière de sa conclusion - légèrement - vendeuse.
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La majorité des commentaires sur le blog en question se contentant soit de saluer la qualité du billet (sic), soit de fantasmer sur la malléabilité de la mémoire humaine (façon science-fiction), je me demandais donc si j'étais le seul à considérer que cette "étude" était en fait, pour être honnête, en carton-plâtre et que la transcription qui en était faite sur le blog était, quant à elle, sacrément bancale et vendeuse.
Merci de vos avis, qu'ils aillent ou non dans mon sens.
Cordialement,
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