Je reviens sur une remarque, avant d'enchaîner sur un pavé :
[Re: remarque]
Surprise :
- les lignées HeLa sont des cellules cancéreuses qui ont survécu à la mort de la patiente
- le cancer de la face des diables de Tasmanie est un des rares cancers transmissibles / pseudo contagieux, avec notamment la survivance des lignées cancéreuses par rapport à leur hôte (au travers de la transmission)
[/Re]
Ce sont des cas très particuliers. En effet, d'après une étude faite il y a quelques années, les lignées HeLa continuent de muter, au point que leur génome et même leur caryotype sont méconnaissables. Cependant ce sont des lignées extrêmement gourmandes tant en énergie qu'en matière première du fait de leur métabolisme élevé -- et de leurs divisions incessantes. Cela les rends relativement fragiles à toute forme de pénurie.
Relativement à des tissus qui pourraient par exemple bénéficier d'un taux de renouvellement plus élevé si toutes les cellules étaient immortelles, se posent plusieurs problème :
1) la gestion des ressources en stock
2) la régulation structurelle globale/collective
3) le renouvellement des stocks de ressources
4) la survie collective
5) la survie individuelle
Par analogie, une espèce "immortelle" ressemblerait à une tumeur : tous les individus auront un métabolisme élevé, duquel découlera un taux de mutation en conséquence (plus ça se divise/renouvelle, plus ça mute). Il y aura nécessairement des morts en cours de route pour cause de mutations délétères, davantage pour cause de pénuries variées. S'il s'agit d'individus à reproduction sexuée plus ou moins obligatoire, on pourrait même voir des individus devenir stériles ou infertiles à force de mutations cumulées, sans oublier les impossibilités mécaniques de croisement qui peuvent survenir -- des culs de sac en somme. Au final, seul d'éventuelles lignées à reproduction asexuée prendront l'ascendant car plus promptes et efficaces quant à se reproduire. Il y aurait donc plus d'invididus plus vite, mais aussi plus de mutants plus souvent. On voit donc bien que la dérive génétique et la sélections naturelle ne seraient nullement "empêchée" par une "immortalisation spécifique", au détail près des points 1) à 3).
Or les ressources sont le point crucial et limitant de l'affaire : sans ressource, pas de survie ; sans parler d'une éventuelle reproduction.
Un individu victime de cancer a plus de chance d'en mourir de façon inversement "proportionnelle" à son âge. La raison : un métabolisme jeune est élevé/rapide -- souvent plus résistant voire résilient aux accidents aussi. Les cellules cancéreuses ont par définition un métabolisme élevé et prolifique. Il y a donc une forte consommation de ressources dans les deux cas. Or un organisme parvient à survivre tant qu'il parvient à renouveler suffisamment ses stocks pour mainenir son homéostasie. Si le taux de consommation des ressources finit par épuiser les réserves, à chaque période de pénurie des cellules vont mourir, indépendamment de leur rôle. Or si toutes les cellules utiles au renouvellement et à la gestion des ressources disparaissent/meurent, toutes cellule qui dépend de leurs rôles est condamnée à mourir. Pour faire simple, dans la mort par cancer il s'agit généralement :
- soit de la perte d'une fonction vitale par dégradation
- soit de la mort par "inanition" au niveau cellulaire puis généralisé
Ça c'était pour l'aspect cancéreux. Mais il y a d'autres possibilités stratégiques. Par exemples...
Des organismes survivent à des conditions défavorables en ralentissant leur métabolisme, parfois de manière extrême. De l'hybernation aux spores et autres tonnelets, l'individu passe par une phase où il ne survit qu'à l'aide de réserves gérées avec une "parcimonie" que n'autorise pas un métabolisme élevé : il faut donc ralentir le métabolisme. C'est un pari plus ou moins risqué : durant cette phase, aucun renouvellement des stocks, et une protection relative quant aux aléas environnementaux. Certes, certaines de ces formes de résistance sont parfois coriaces, sauf à dépasser la limite de temps imposée par les réserves ou à dépasser les limites de résistance aux conditions environnementales. Néanmoins c'est une méthode de préservation de l'individu efficace. Cependant arrive un moment où la sénescence reprend ses droits par simple entropie.
Autre méthode : le bourgeonnement. Il s'agit comme évoqué plus haut de faire du jeune avec du vieux. On peut le faire à partir d'un individu entier (comme Turritopsis nutricula) ou d'une partie seulement (comme les hydres). Je m'avance un peu : peut-être peut-on parler de certaines régénérations tissulaires spectaculaires (tel les repousses de membre/organe) comme d'une forme de "bourgeonnement" local. En ce cas pourquoi les salamandres ne sont pas immortelles ? Tout simplement parce que la machine est soumise à deux phénomènes : la sélection par l'environnement/contexte et l'entropie.
L'individu n'est qu'une ponctualité pseudo-ordonnée, locale et temporaire. Son maintien consommera de plus en plus d'énergie au fil du temps puisque l'entropie ne fait qu'augmenter. Il arrive toujours un moment où l'énergie nécessaire au déplacement évènementiel (création/maintien d'ordre local dans une structure bornée par accroissement du désordre à l'extérieur de cette structure) devient insuffisante. En fait elle l'est dès le "départ", d'où cumul de dégradations "contenues" au cours d'une lente dégénérescence jusqu'à la sénescence. Toute structure dynamique flirte avec le chaos. C'est d'ailleurs ce même chaos qui occasionne des ponctualités ordonnées -- en fait juste des variations remarquables (de notre point de vue) du chaos.
Le vivant est donc un phénomène sur le fil du chaos puisqu'il en est issu (émergence).
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