Les contradictions commençaient pourtant dès le résumé : "Alors pourquoi opposer les modèles [agricultures conventionnelle et bio] au lieu de les associer ?" immédiatement suivi par un passage à tabac de la bio : "Pourquoi vouloir revenir à un passé où l'insécurité alimentaire était la norme ?"
Une étude plus récente que son livre montre que l'Europe pourrait être entièrement autonome du point de vue alimentaire en 2050, rien qu'avec de la bio locale, donc ses opinions personnelles ne suivent pas vraiment ni l'actualité scientifique, ni les tendances générales de la population.
Certes, l'Europe, ce n'est pas l'Afrique ou l'Inde ou la Chine, les problématiques sont tellement différentes qu'il faudrait plusieurs (vrais) livres à ce sujet pour chacun de ces continents ou pays, mais justement, l'ampleur du problème pousse à mettre en place des solutions propres plutôt que celles que l'Occident a utilisé pour dégrader le climat, l'environnement et notre propre santé.
En fait, rien n'est binaire, en agriculture comme partout ailleurs. Si on peut associer la bio aux avancées scientifiques, l'opposition aux pesticides toxiques doit rester. Le progrès technologique permet déjà de se débarrasser entièrement des herbicides de synthèse avec des solutions de désherbage mécanique robotique autonome légères, qui conviennent d'ailleurs parfaitement à la bio en raison de la forte main d'œuvre nécessaire au désherbage et des passages plus fréquents qu'un épandage d'herbicide. Ces robots restent pour le moment très confidentiels, plutôt pour le maraîchage que les grandes cultures, même si on en produit ici à Toulouse, mais il était déjà évident l'an dernier que le bouquin à écrire était "Pourquoi les ingénieurs et scientifiques vont sauver le monde".
En tout cas, je suis d'accord avec elle pour les OGM, et pourtant je suis dans la bio depuis les années 1980. Les balbutiements du début de cette science relevaient effectivement de l'apprenti sorcier : Au début on tirait avec une vraie arme à feu des balles à particules d'or sur lesquelles étaient collés des brins d'ADN modifié qui venaient fracturer les chromosomes et se placer à n'importe quel endroit du génome. Aujourd'hui, la technologie CRISPR/Cas9 permet à n'importe quelle université ou labo de faire de la recherche génétique précise. Il vaut quand même mille fois mieux insérer une séquence de gênes protégeant le blé de la rouille, une maladie qui fait des ravages en ce moment dans les champs africains, plutôt que croiser une variété traditionnelle de blé avec une variété résistante, ce qui est déjà très délicat pour une plante autoféconde sans pollinisation, mais surtout, qui crée une variété intermédiaire 50 % traditionnel et 50 % de l'autre "parent" (c'est le principe de la reproduction sexuée), en espérant que le trait de résistance à la rouille fait partie de ces 50 % sinon tout est à recommencer. Puis, il faut résorber tous les autres traits indésirables de l'autre parent en cultivant et sélectionnant ces hybrides sur plusieurs années (plusieurs décennies pour les arbres à fruit) jusqu'à ce que le trait recherché soit fixé et que la nouvelle variété ressemble un peu à l'ancienne, ce qui ne sera jamais le cas, car les critères de sélection sont surtout visuels et éventuellement quelques qualités nutritives, mais ne vont pas forcément porter sur le goût, l'ensemble des qualités nutritives, l'adaptation de la plante à son environnement traditionnel et plein d'autres qualités ou défauts qui faisaient l'originalité de cette variété traditionnelle, dorénavant perdue à jamais.
De tels traits de résistance aux maladies (ou aux nouvelles conditions climatiques) sont indispensable au développement massif de l'agriculture bio, qui n'a pas le droit aux pesticides de synthèse. Les OGM ont donc leur utilité, mais ne sont qu'un outil et ne résolvent pas tout. L'utilité du "riz doré" par exemple est contestable, car il ne s'agit pas juste d'un déficit en carotène, mais d'un grave déficit alimentaire sur plusieurs niveaux, qu'un régime à 90 % de riz caroténé plutôt qu'à 90 % de riz blanc n'arrangera pas. Un bouillon cube à la carotène et avec les minéraux et vitamines manquants marcherait même mieux, mais des cultures vivrières, des protéines, oléagineux et de vrais légumes variés dans l'alimentation seraient encore meilleurs.
J'essaierai toutefois de trouver et lire son livre, même si à la lecture de ce fil, je pense être déçu. Merci en tout cas de l'avoir signalé, tout livre et toute opinion m'incite à des discussions productives sur chaque point plutôt que de tout réfuter en bloc. Comme les "paysans" (déjà, ce terme bobo... ou céréaliculteurs (sérialkilleurs, en anglais, je crois) le disent, dans tout livre, il y a du bon grain et de l'ivraie. J'ajouterai que dans tout bon livre, il y a du bon grain et de l'ivresse...
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